Fast X commence avec Dominic Toretto (Jésus Vin Diesel) apprenant à son gamin de six ans à faire des drifts, contant fleurette à sa dulcinée Letty (Michelle Rodriguez) et enchaînant les barbecues avec sa « Fast Family ». Jusqu’au jour où Dante (Jason Momoa), fils du méchant atomisé dans Fast 5, revient pour se venger. Il ne jure pas de tuer Dom, mais de « tout lui prendre ». Et il est allé à bonne école pour ça, celle du Joker. Un peu de celui de The Dark Knight, mais beaucoup, hélas, de celui du Suicide Squad de 2016. Comprendre que ses plans sont absurdement tordus comme chez le premier, mais que, comme le second, on dirait « Priscilla, Folle du désert » après une overdose d’ecsta…
On entamait le début de la fin avec Fast and Furious 9. Pourtant, on n’avait aucune idée des tréfonds que Vin Diesel et ses producteurs étaient encore capables d’atteindre. Le film précédent repoussait les frontières de la crédibilité (et il y avait du level !) jusqu’à envoyer ses héros dans l’espace. Cette fois, Fast X repousse les limites de la décence. Votre serviteur trouvait déjà que le 7ème opus était un doigt d’honneur à l’intelligence, et le spin-off Hobbs & Shaw, un ego trip infect à la gloire de The Rock. Fast X cumule ces deux tares (l’ego de Diesel remplaçant celui de Johnson). Malheureusement, il ajoute encore de nouvelles infamies à sa checklist déjà longue.
Flashback of the Furious
C’est curieux de voir cette série alterner un coup sur deux entre un prétexte acceptable et un foutage de gueule total. Le numéro 7 promettait la vengeance burnée de Jason Statham, pour finalement nous servir une intrigue de vol technologique bidon. Le 9ème film sortait d’un chapeau le frère disparu de Dom, pour finalement… nous servir une intrigue de vol technologique bidon. Même Hobbs & Shaw nous promettait le Tango & Cash du XXIème siècle pour, à l’arrivée… nous servir une intrigue de vol technologique bidon. Vous voyez le pattern ?
Fast X semble vouloir revenir en arrière pour tenir tardivement ses promesses. En fait de Deckard Shaw (Jason Statham), c’est la vengeance de Dante, revenant du cinquième film, qui, pour une fois, représente un réel danger pour la Fast Family. Oui, mais voilà, la saga ne cesse de faire des spins depuis Fast and Furious 7. Elle ne sait plus se réinventer et aller de l’avant. Du coup, on retrouve absolument tous les ressorts employés précédemment pour dérouler l’intrigue (la quoi ?), développer les personnages (haha !) et créer la surprise (bâillement).
Fast food
Le réalisateur français Louis Leterrier (L’Incroyable Hulk, Insaisissables) est arrivé en catastrophe sur le projet, après le départ de Justin Lin pour “différends artistiques” (ben tiens). Il aurait soi-disant réécrit tout le 3ème acte dans son avion pour Los Angeles. N’a-t-il vraiment réécrit que ça ? Parce que ce tome dix tient du n’importe quoi du début à la fin. Tout va aussi bien ensemble qu’un collage de vignettes sur un pendule avec du scotch réalisé par un gamin de quatre ans. Comme tel, c’est marrant. Le marmot y a passé du temps, et il a forcément mis tout ce qu’il aimait avec ce qu’il pouvait. Mais c’est pas de l’art contemporain, et à cet âge, c’est normal !
L’âge mental est justement le problème, ici. Avec Fast X, tout le monde, du public à la star principale, sait très bien dans quoi il s’engage : du divertissement bête et méchant. Ce qui est angoissant, c’est comment la définition de l’expression a changé. Dans les années 1980, on avait des films bêtes racontés intelligemment par des professionnels au sens noble. Ils n’étaient pas toujours engagés pour l’amour de l’art, et souvent cravachés par leurs producteurs/stars. Mais ils connaissaient leur travail et le faisaient bien. Ils livraient UN FILM, qui serait ensuite vendu comme un produit par ses exploitants.
Quitte à regarder des films idiots remarquablement dirigés, peu importe votre âge, autant revoir (en vrac) tous les Indiana Jones, True Lies, A toute Epreuve, Une Journée en Enfer : Die Hard 3, Mission Impossible 5, Time and Tide, Mad Max : Fury Road, The Dark Knight, Skyfall… Pas besoin d’être vieux ni cinéphile pour apprécier l’amour du cinéma de Spielberg, la méticulosité de James Cameron, les expérimentations de Tsui Hark, la mise en scène de John McTiernan ou le découpage de John Woo, pour ne citer qu’eux. Leterrier n’est d’ailleurs pas un mauvais faiseur. Hélas, à chaque nouveau film de commande, la machine hollywoodienne le broie toujours un peu plus. Ici, complètement.
Faire semblant de bien faire
Curieusement, beaucoup de franchises de jadis ont, pour la plupart, fini par s’enliser (Die Hard) ou s’égarer (James Bond). C’est la faute d’un changement des mentalités, merci notamment au streaming et aux réseaux sociaux. Dorénavant, à moins que ce ne soit plus que jamais, les blockbusters et autres films d’exploitation sont pensés dès leur conception, avant même leur mise en chantier, comme de purs et simples produits. Produits mercantiles montés uniquement par une tête d’affiche pour alimenter sa propre aura (tous les projets avec de Dwayne “The Rock” Johnson depuis dix ans) ou produits dérivés (Uncharted et moult adaptations de jeux vidéo). Ce qui compte, c’est d’entretenir la notoriété de la star ou de la marque.
Le résultat importe moins que le produit. On s’inquiète de faire du “contenu” avant d’obtenir un “film”. Le savoir-faire vaut moins que de simplement faire. Même un enfant en bas âge peut créer une vidéo et faire sensation sur les réseaux sociaux. Du moment que ça engrange de la thune, dix secondes sur TikTok ou 2h de blockbuster à 350M$, c’est pareil (non).
Si la saga suit cette logique, c’est son problème. Mais qu’elle parvienne encore à survivre et cartonner avec une telle ligne de conduite, en feignant toute forme d’exigence, c’est juste une honte. Il y avait de quoi rire gentiment des opus précédents, à différents degrés, sans prendre de haut ceux qui aiment, ou au moins, sans que ça ne les dérange. Mais le succès appelle l’excès.
A retourner voir ces films, on autorise leurs instigateurs à tirer sur la corde. Cela leur donne toujours plus de raisons de croire qu’ils peuvent se permettre n’importe quoi. Eh oui, même s’en foutre de ce que vous pensez. De toute façon, ils vous diront eux-mêmes, sourire Colgate en prime, que c’est le film le plus génial de tous les temps, fait avec le cœur, l’envie, un esprit de famille. Mais aussi, c’est quand même un peu pour le pognon, parce que faire du cinéma, c’est avant tout une profession.
Une petite pensée pour Paul Walker, dont on continue à ignorer la mort dans les films, et paradoxalement, à l’exploiter malgré tout à chaque nouvelle itération (ici, avec la fille de l’acteur dans un rôle de figuration). Un hommage sans fin, c’est toujours plus fédérateur qu’un chef-d’œuvre du cinéma. Allez, fi de leur cynisme et, peut-être, de ma mauvaise foi. Revenons à la saga.
Déclin par déclinaison
Fast and Furious est sorti au début des années 2000, un moment charnière à partir duquel les tendances, les technologies et la communication se sont accélérées exponentiellement. C’est notamment grâce à cela que la marque a survécu à deux décennies, et à presque autant de mutations du cinéma d’action.
Elle est parvenue à s’adapter jusqu’à maintenant, mais au prix de son intégrité artistique, laquelle était minuscule pour commencer. Le premier film était déjà opportuniste, déclinaison de Point Break à la sauce « courses clandestines ». Que fallait-il attendre après vingt ans et neuf films ? Des déclinaisons de déclinaisons, et un appauvrissement quasiment consanguin.
Au milieu des années 2010, la série s’était réinventée en s’inspirant du film de casse (Fast 5), puis en marchant sur les plates-bandes de Mission : Impossible (Furious 6). C’étaient des films bêtes, mais racontés encore avec une certaine ingéniosité, le sens du rythme, de l’inventivité et une générosité sincère.
Dix ans après, à l’image de John Wick 4 ou de Spectre, la Fast Saga copie Marvel. Chaque nouvelle sortie doit être un micro événement au méga budget, autant qu’une référence dans l’excès et l’autocitation. Elle se nourrit maintenant d’elle-même, puisant son inspiration dans son propre passé, recrachant jusqu’à l’absurde les mêmes visages, les mêmes motifs, les mêmes scènes. Ce n’est même plus pour se faire plaisir. C’est clairement une obligation contractuelle. D’un rencard entre potes pour se gondoler, Fast and Furious est devenu un rendez-vous forcé, aussi divertissant qu’un entretien de 2h30 avec son patron d’entreprise.
Fast X, ou l’enfer de Dante
Quitte à citer Dante avec son méchant grandiloquent, autant aller dans le sens de Fast X et faire grossièrement l’analogie avec les neuf cercles de l’Enfer.
Voici neuf raisons de se révolter contre la voie prise par la série :
- Le film recycle ad nauseam des idées déjà vues. Encore un méchant qui veut se venger. Encore des flashbacks réécrivant le passé de la franchise pour introduire des nouveaux visages au forceps. Etc.
- On viole toujours plus les lois de la physique, ainsi que du bon goût. Les cascades sont aussi absurdes que leurs CGI dégueu.
- Les scènes d’action en images de synthèse sont lisibles, mais les fusillades et les bastons sont plus brouillonnes que jamais, et souvent dénuées de tout enjeu.
- On désamorce une bonne idée, ou on ne l’exploite pas jusqu’au bout. (Coucou la voiture-canon de Jakob, qui fait trois petits tours et puis s’en va.)
- Tout le monde est là, mais personne n’existe. Fast X suit trois, voire quatre sous-intrigues impliquant tous les personnages. Sauf qu’ils déambulent sans but, et pire, sans résolution, parce que deux suites arrivent, coco !
- Toujours plus éclaté entre toutes ses stars, le film se perd en palabres plutôt qu’en castagne. Quand, en plus, ça implique l’insupportable Tyrese Gibson, aïe aïe aïe !
- On réécrit les personnages pour les rendre toujours plus « family friendly » . (John Cena devient un clown, alors que rien n’y prédisposait son personnage auparavant.)
- Dominic Toretto est littéralement sanctifié par des dialogues in-the-nose. De voleur de radiocassettes dans la banlieue de LA, propulsé espion par la force des choses, le monsieur se vend maintenant en sauveur christique. Et la star principale assène chacune de ses répliques avec un sérieux papal désarçonnant. Dans sa course à la popularité à tout prix, après que la franchise ait penché du côté de Tom Cruise avec Mission : Impossible, on dirait que Vin Diesel lorgne maintenant sur le statut messianique de John Wick/Keanu Reeves. Mais n’est pas l’Élu qui veut !
- Pour le
teaserdessert, vous prendrez bien un caméo foireux, suivi d’un deuxième en digestif à mi-générique. Avec tous ces morts qui ressuscitent et ces stars qui (re)veulent leur part, qui peut encore prendre au sérieux les aventures de Babar et ses tutures ?
Les vivats dans la salle en voyant revenir (biiiip) et (biiiip) confirment que les gens ne s’intéressent qu’à la hype. On savait depuis longtemps que ce n’était pas pour l’histoire et les personnages. Mais ce n’est même plus pour l’inventivité ou la qualité du spectacle, ni même pour rigoler de son absurdité. C’est juste pour rester dans le coup. Comme ça, on peut en parler sur Insta, à la machine à café du boulot ou dans la cour de récré.
Vite fait, bien fait pour ma gu****
Comble du manque d’idées, la bande n’a même pas concocté un énième titre débile dans la lignée des précédents. Une occasion en or leur pendait pourtant au nez : Fast X Furious. Au moins ont-ils gardé le symbole de la multiplication, excellente allusion au bordel ambiant.
Pour enfoncer le clou, Fast X fait ce qu’aucun épisode n’avait fait auparavant : conclure sur un gros cliffhanger de p***. Toute cette aventure n’est qu’un interminable préambule. Forts de leur aberrant succès, Diesel & Cie annoncent maintenant à la dernière minute qu’il s’agit du premier volet d’une trilogie. Un triptyque annoncé comme épique, façon Le Seigneur des Anneaux. J’ai tellement hâte de voir la communauté de Dom se reformer, franchir le multivers, traverser Jurassic Park puis Waterworld, affronter le requin des Dents de la mer, et finalement s’associer à Tom Cruise et la Momie pour attaquer le château de Dracula, à bord d’une armée de monster trucks.
C’est drôle. Ils semblent croire qu’ils ont encore beaucoup de choses à dire. Pourtant, quand vient le générique de fin, on a l’impression qu’il ne s’est rien passé. À 350M$ l’addition, jusqu’où le gâchis s’arrêtera-t-il ? Si vous voulez en parler, rendez-vous à la machine à café…
LES + :
- C’est bon, on a fait le tour. J’aurai pas
besoinenvie d’aller voir Fast and Fur11ous. - Jason Momoa est si ridicule qu’il en devient marrant.
- Ah non, ça va, hein ! J’ai mieux à faire, maintenant.
LES – :
- J’ai payé pour le voir. Mon argent servira partiellement à financer les quatorze suites qui viendront à partir de là. Je me sens si coupable.
- Tout le reste !