John Kruger (Arnold Schwarzenegger) est L’Effaceur, meilleur agent de Witsec, le programme de protection des témoins. Il est célibataire et sans histoire, patriote et plein de moralité. Il travaille seul et réussit toujours sa mission, même dans l’improvisation. Lorsqu’il accepte de prendre en charge Lee Cullen (Vanessa Williams), John découvre vite que la jeune femme est la cible d’agents corrompus du gouvernement, à la tête desquels opère son mentor DeGuerin (James Caan). L’enjeu est le témoignage de la belle dans une affaire de trafic d’armes futuristes, des fusils EM capables de tirer à la vitesse de la lumière. Seul contre tous, trahi et très remonté, Kruger va tout faire pour garder en vie sa “love interest”. Fort heureusement, en plus de ses muscles et de son talent, il pourra compter sur l’aide bénévole de quelques-uns de ses anciens protégés…

Avant son mandat de gouverneur de Californie en 2003, Arnold Schwarzenegger, c’était Conan le Barbare et Terminator. C’était aussi des métrages cultes à l’épreuve du temps. Les succès de Total Recall, Predator et True Lies sont autant dus à sa présence qu’à leurs réalisateurs talentueux. Mais si le mythe Schwarzy est né de chefs-d’œuvre, la carrière de l’homme est pleine de projets allant de « honnêtes et bien dans leur époque » (Le Contrat, Commando) à « salement opportunistes et/ou anachroniques » (La Fin des Temps, Dommage Collatéral, Terminator 3).

Sur son CV, L’Effaceur apparaît comme le titre charnière entre son passé glorieux et un futur obscur, soit l’inverse de ce que promet l’accroche du film (« Il effacera votre passé pour protéger votre avenir »). La formule de l’actioner bourrin a certes fait ses preuves, tout comme le concept indémodable qu’est l’acteur. Hélas, ce film est un blockbuster boiteux, ainsi qu’une première esquisse de l’idéologie qui parasitera une part de la filmo de la star au début des années 2000.

L'Effaceur (1996)

La citation qui tue

(Arnold, après avoir flingué un alligator : ) Sac à main !

La chronique à effacer

L’Effaceur est un film de Charles Russell, affectueusement surnommé « Chuck » à ses débuts. Sa carrière est un peu le décalque de celle d’un autre oublié du box-office, Renny Harlin. Comme le réalisateur de Cliffhanger, Charles commit un épisode des Griffes de la Nuit dans les années 1980 (Les Griffes du Cauchemar). Après quelques cartons notables (The Blob, The Mask), il fut propulsé au rang de jeune espoir du divertissement musclé et efficace. En fait, il fit plus ou moins adieu à la gloire après un ratage. Renny Harlin avait entamé son déclin à cause de L’Île aux Pirates en 1995. Pour Russell, le début de la fin s’appela L’Effaceur. Mais si le blockbuster du bourrin finlandais mérite d’être redécouvert aujourd’hui, les aventures de John Kruger divisent un peu plus.

Arnold Schwarzenegger est avant tout, et il le sera toujours, un concept sur lequel se sont basés tous ses projets depuis au moins Predator : le principe du « Schwarzy contre (remplir le blanc) ». Tout au long de sa filmographie, le Chêne autrichien dut régulièrement trouver un adversaire à sa mesure, pour une excitation et une qualité toujours déclinante avec les années. « Schwarzy contre le T-1000 ». « Schwarzy contre la classe de maternelle ». « Schwarzy contre les fêtes de Noël ». « Schwarzy contre Satan ». « Schwarzy contre lui-même ». Etc. Aujourd’hui, hélas, ce serait plutôt « Schwarzy contre le temps » (cf. Fubar, la récente série Netflix, réminiscence de True Lies où il peine à lever le cigare).

Vieille soupe, pas de pot

L’Effaceur suit la formule consacrée. Cette fois, il s’agit de « Schwarzy contre les fusils du futur » (une idée apportée par le scénariste Walon Green). Techniquement parlant, le film a tout pour être un gros bis rigolo dans la lignée du mythique Commando. Sur une BO guerrière d’Alan Silvestri (Predator, Judge Dredd), égayée de riffs de guitare électrique un brin parodiques, la star enchaîne les fusillades farfelues. En particulier lorsqu’interviennent les fameux fusils laser, dont il esquive les tirs en courant. Ces armes n’étaient donc qu’un gouffre financier.

Les rebondissements sont lamentablement drôles, avec une agence gouvernementale plus forte que la CIA. Les méchants ont des “gueules” et peuvent tomber le masque devant témoins sans griller leur couverture. Les dialogues manichéens sont taillés au burin. James Caan, dans le rôle du méchant DeGuerin, grimace avec un bonheur non dissimulé. Quant aux effets spéciaux, ils sont presque tous bons à jeter. À l’arrivée, on ne sait plus trop si Le Contrat rencontre James Bond, ou si True Lies percute Austin Powers. Déjà anachronique à sa sortie, L’Effaceur était tellement B qu’il en devenait drôle. Aujourd’hui, ses SFX font tellement cheap qu’il ressemble à un DTV tendance Z. Avec un budget de 100M$ de l’époque, ça fait un peu mal.

Pour sa défense, on dit que pendant le tournage, un clash permanent opposait producteur et réalisateur, et qu’Arnold fit office de tampon entre eux pour permettre au film de se terminer. Ceci explique peut-être l’influence très forte de la star et de ses futures aspirations politiques, qui crève d’autant plus les yeux après revisionnage de la chose.

Moralisator

Avec le recul, on ne peut subir L’Effaceur sans songer que Schwarzy est devenu politicard. Intentionnellement ou non, le métrage suintait déjà les ambitions de l’acteur, dont la candidature de gouverneur de Californie n’arriverait qu’au début du nouveau millénaire. On ne fait pas ici la critique de l’homme politique ni de son travail, mais de la façon dont les projets de la star ont taché ce qui aurait dû n’être qu’un divertissement calibré de plus (ce sera encore plus flagrant avec Collateral Damage en 2002). En clair : L’Effaceur est l’occasion d’une bonne grosse louche de propagande pour Arnold.

En sa qualité de meilleur agent du service de protection de témoins, John Kruger a aidé à cacher, reloger et réhabiliter avec succès moult représentants des minorités américaines (latinos, italiens, asiatiques). Il négocie même gentiment avec des enfants de la classe afro sur le prix d’un 4×4, lesquels, en revanche, il a bien arnaqués. Arnold, lui-même immigrant, se fait porte-étendard et défenseur de toutes les classes baratinées ou oubliées par le gouvernement, quitte à verser dans le cliché le plus ringard. Sans surprise, l’exilée chinoise est concierge, l’ex-narco colombien est devenu curé, et l’Italien se fait passer pour un livreur de pizza… N’espérez pas le salut du côté des élus. Ils sont presque tous pourris jusqu’à la moelle, avec un trio de vilains opérant depuis les hautes sphères du pouvoir.

L'Effaceur (1996)

C’est d’autant plus dérangeant que, conséquence soûlante, l’ami Kruger est moralisateur à donf ! « Vous êtes un meurtrier », « il est plus facile de risquer sa peau que la vôtre », « ce que vous êtes est dans votre cœur », « il a retiré un trafiquant de drogue et son poison de nos rues ». Etc. Un vrai boyscout, le mec.

Faux-cul à mort

S’il ne s’en tenait qu’à ça, ce serait seulement niais. Mais ces poncifs passent carrément pour de la mauvaise foi quand on compare les paroles du monsieur avec ses actes. L’Effaceur est un divertissement rated R, gore et violent comme on n’en fait plus. Il met en scène un héros à l’impassibilité et au sadisme extrêmes. Le sang gicle. Les os craquent. Les exécutions sommaires abondent. En surface, c’est rigolo. Mais ces qualités (hem) sont incompatibles avec la morale affichée.

L'Effaceur (1996)

On pourrait sourire du fait que John Kruger soit un proto-Sam Fisher, le futur héros des jeux vidéo à succès Splinter Cell. Malgré sa sauvagerie et sa carrure d’haltérophile, il est absurdement doué pour l’infiltration et l’évasion, merci les coupes au montage. En plus, cette espèce de Terminator humanisé, vaguement réceptif au concept de douleur, n’existe que pour sa mission, bien qu’il connaisse à peine la femme qu’il protège. En vrai saint, il s’avère prêt à mourir pour elle… mais surtout, à tuer n’importe qui d’autre !

Dans sa guéguerre contre agents et sénateurs corrompus, le Schwarz ne fait pas de concession. Certes, le bourrin en chacun de nous se réjouit de voir des ripoux déchiquetés par des alligators en toc. Mais quand notre héros dégomme de l’agent de sécurité par dizaine, alors que lesdits agents sont, à l’évidence, des types hors du coup qui ne font que leur travail, on commence à se poser des questions.

L’Effaceur : premier ou second degré ?

Le sous-texte douteux n’est pas aussi extrême que dans le mythique Rambo III avec Stallone, tout aussi violent et rigolo. Mais la réception de L’Effaceur dépend quand même de l’état d’esprit du spectateur. Pris indépendamment de son contexte de sortie, le véhicule de Sly demeure un film d’action correctement emballé, qui coche des cases et met le paquet. L’Effaceur a l’air d’avoir été monté en kit, avec des effets visuels souvent foireux, des scènes d’action qui ont l’air bricolées, et un scénario remanié qui perd souvent de vue ce qu’il veut vraiment raconter. Un quart de siècle plus tard, une chose reste évidente : Schwarzy était déjà en campagne.

L'Effaceur (1996)

Paradoxal, L’Effaceur l’est autant dans son enrobage que dans ses intentions. En tant que pur produit filmique, c’est un rejeton tardif des opus ayant fait la gloire de la star dans les années 1980, avec une production value datée, voir discutable. Vu qu’il arrive après True Lies, qui monta les ambitions d’un cran, et Last Action Hero, qui avait déconstruit le mythe et s’était moqué de ses clichés, on se situe en deçà des attentes. Normal qu’aujourd’hui, on voit surtout un spot pour “Schwarzy président !” maquillé en blockbuster schizophrène. Il se veut défenseur de belles valeurs, mais il promeut, au nom de l’Entertainment, une justice aveugle et la loi du Talion.

Le tout se termine sur l’exécution, sans une once de pitié, du trio de méchants trop puissants pour s’inquiéter des tribunaux. En cela, le film de Charles Russell précède la filmographie complexe et décomplexée d’Antoine Fuqua, le réalisateur de Shooter (2007), dont la vengeance et la violence préventive constituent une bonne part. De Schwarzenegger, peut-être qu’Antoine est un lointain cousin germain.

L'Effaceur (1996)

La scène qui efface tout

Le money shot emblématique du film, c’est bien évidemment Schwarzy armé de ses deux gros fusils laser. Mais si l’on n’y avait pas eu droit, il faut reconnaître qu’une autre scène valait à elle seule le prix de l’admission.

À bord d’un avion en vol, Kruger se fait droguer et désarmer par l’infâme traître DeGuerin. À son réveil, notre héros se voit offrir un pot-de-vin par son mentor. Une proposition que décline poliment l’Effaceur en lui plantant dans le bras une dague cachée.

Malin, John bondit vers la trappe d’urgence et la fait sauter, provoquant la dépressurisation de la cabine. Il assomme un lascar, récupère son pétard, et tient en respect les autres assaillants. Problème : le réacteur est situé juste à l’arrière de l’avion. Si Kruger saute, il passera dedans « comme de la merde dans un cul d’oie » (dixit James Caan). Comment va-t-il s’en sortir ?

La suite est digne des élucubrations du James Bond de GoldenEye (1995), et surpasse avec vingt ans d’avance les singeries de Tom Cruise dans Mission : Impossible 5. Bien sûr, on n’a pas vraiment balancé Arnold dans le vide, mais en a-t-on besoin pour se gondoler ?

Dans un film normal, à un moment ou un autre, on essaie toujours de se débarrasser du héros en l’écrasant en voiture ou en camion. Mais quand il a la carrure de Conan le Barbare, on emploie forcément les grands moyens.

Malgré ses défauts évidents et son idéologie discutable, L’Effaceur reste recommandable pour les fans du “bon vieux Schwarzy”. C’est la dernière fois qu’on l’a vu éclater des bad guys , enchaîner des vannes foireuses, et accomplir des exploits physiques que lui seul, avec sa carrure, pouvait nous faire gober.

L’Effaceur est disponible en dvd et bluray chez Warner Home Video.