Mikhail Rostov (Richard Lynch) est un ancien agent du KGB, extrêmement en colère contre tout et tout le monde. Il hait les Etats-Unis, leur capitalisme à deux balles, leur étalage de bons sentiments et leurs sapins de Noël. Il échafaude donc un plan pour y semer la terreur. Après avoir récolté des fonds par le trafic de drogue, il fournit en armes un bataillon constitué des pires représentants du Mal. Russes, Allemands, Mexicains, ils sont tous là ! Les terroristes ne chôment pas. Ils perpétuent des massacres sur la population en assumant l’identité des forces de l’ordre. Ils plastiquent des églises et menacent des bus scolaires. Un seul homme semble pouvoir les arrêter : Matt Hunter (Chuck Norris), ex-agent de la CIA taciturne et balèze. Il l’est tellement qu’il donne des cauchemars à Rostov, au sens littéral. Persuadé que Hunter sera un obstacle, Rostov met tout en œuvre pour l’éliminer, et réciproquement...
Chuck Norris armé de deux pétoires, dominant une foule de soldats en furie devant le Capitole en feu, surplombés d’une accroche monumentale ?! Bien sûr que j’achète ! Estampillé « gros nanar » depuis trente ans, Invasion USA arrive enfin en box collector chez ESC. Était-ce nécessaire ? Pas du tout. Mais qu’est-ce que c’est marrant !
La citation qui tue
(Hunter : ) Si tu te pointes encore, tu peux être sûr que tu repars avec la b*** dans un tupperware.
Un film canon, euh, Cannon
Invasion USA est une production de la Cannon, firme qui a connu ses heures de gloire dans les années 1980. Au départ, il s’agissait d’une société américaine spécialisée dans des productions bas de gamme. Les choses ont décollé après son rachat en 1979 par deux producteurs d’origine israélienne, Menahem Golan et Yoram Globus. Si vous avez déjà vu au générique d’un film “une production Golan-Globus”, vous savez maintenant de qui il s’agit.
On leur doit de vraies perles d’opportunisme et de ringardise. Soit des rip-off de succès populaires, comme Indiana Jones, avec Allan Quatermain et les Mines du roi Salomon et sa suite fauchée, ou encore Le Temple d’Or (Firewalker en VO). Soit avec des franchises rachetées, comme avec le Justicier 2, 3 & 4 ou l’infâme Superman IV.
La Cannon a ainsi ouvert les portes de la notoriété à Jean-Claude Van Damme (Bloodsport), Chuck Norris (Portés Disparus) et Dolph Lundgren (Les Maîtres de l’Univers), sans parler d’autres stars de vidéo clubs. En gros, Mémé et Yoyo étaient au film d’action bon marché ce qu’est devenu Blumhouse au film d’horreur aujourd’hui (Insidious et ses suites et spin-off, Paranormal Activity, Halloween Ends, etc.). Mais après quelques budgets plus gros dont les films se sont plantés, la boîte commença à péricliter. Les années 1990 ont sonné le glas du groupe, absorbé par la MGM.
C’est en 1985, au milieu de leurs années fastes, et vers la fin de la Guerre froide, que sortit Invasion USA.
Chronique invasive
Réalisé par Joseph Zito, Invasion USA est mémorable, pour quelques bonnes raisons, surtout drôles. Pourtant, l’espace d’un instant, on pense tenir quelque chose de sérieux.
Malgré un titre qui vous explose à la tronche sans prévenir, et un canardage bisseux de bungalow en plein bayou, le début du film arrive à distiller le malaise. C’est notamment grâce à son méchant, si puant qu’on peut le sentir depuis Pékin. En plus de sa gueule malsaine, Rostov réussirait à flanquer la pétoche avec ses répliques, chargées de haine et de cynisme. « Ils sont victimes de leur propre décadence », « ils sont leur pire ennemi et ils l’ignorent », « demain, l’Amérique aura changé de visage », etc. Mazette ! Ça c’est du teasing.
Et là, ça dérape
On attend tellement la suite que le soufflé retombe une fois qu’on a compris l’orientation du film. S’il a le sujet et le potentiel pour un grand thriller d’action, Invasion USA se réclame moins du sérieux de L’Aube Rouge (réalisé par John Milius), et plus de l’absurdité d’un cartoon de Tex Avery.
En 1984, le film suscité montrait déjà les troupes d’assaut de la Mère-Patrie et de Cuba atterrir en parachute dans une cour d’école, avant d’y mitrailler femmes et enfants. Un an après, l’opus de Zito ressert la formule d’une invasion au sens propre. Sauf que cette fois, il s’agit d’une armée de terroristes débarqués sur les plages de Floride comme à Omaha Beach !
Un passage aussi spectaculaire que débile, qui confirme à quoi on va avoir affaire. À partir de là, tout le deuxième tiers du métrage n’est qu’une version live d’un épisode des Looney Tunes. Tel ce poissard de Vile Coyote, les méchants exécutent un plan frappadingue pour tuer un max d’innocents, avant que Matt Hunter ne passe par hasard dans le quartier, façon Droopy, pour leur renvoyer leurs bombes à la figure.
Ce gimmick, véritable gag de répétition, rend chaque scène du deuxième acte automatiquement drôle. Surtout que ce bon Chuck pousse loin le curseur du héros stoïque, insensible et surpuissant. À n’en pas douter, Invasion USA est le point de départ de la tendance aux « Chuck Norris facts ». Certaines répliques ont même fini sur nanarland.com.
Précurseur… mais quand même bête
Plutôt que d’être véritablement raté, Invasion USA tient davantage du film d’action farfelu qui s’assume. Ce qui donne un intérêt estimable à la chose, c’est son caractère précurseur dans cette vision du terrorisme à grande échelle. Certes, cette vue est simplifiée par des ambitions de pure castagne. Mais cela n’a pas empêché de la reprendre vingt ans plus tard dans un autre contexte avec la respectable série 24 heures chrono.
Dans la saison 6, des kamikazes explosaient partout depuis des semaines. Alors que le pays était terrorisé et au bord du gouffre, un seul homme pouvait sauver la situation : Jack Bauer, avec qui le grand méchant avait précisément un compte à régler. Jack flanquait alors la pâtée aux ennemis de la Liberté, des Arabes fournis par des Russes, eux-mêmes espionnés par les Chinois. Ça faisait beaucoup de monde à tuer, souvent seul et sauvagement. Aucun doute, les producteurs de la série adorent la perle de Joe Zito. Dommage qu’ils en traitèrent le sujet avec la même maladresse.
(Plus près de nous, on peut aussi citer La Chute de Londres en 2016, tout aussi bête. Mais il était moins ouvert à la globalisation, puisque les méchants venaient tous de la même région du monde.)
Cellules grises mortes
L’argument est plus débile qu’invraisemblable, puisqu’il fait vraiment peur (la raison pour laquelle Guerre Intérieure m’a tant obsédé jadis). Entre la Guerre froide des années 1980 et la Guerre sainte des années 2000, seule l’immigration dans le pays a donné à réfléchir aux terroristes.
Le concept de cellule dormante étant encore vague en 1985, Invasion USA joue la carte de la surenchère grotesque. Nos russes à casquettes débarquaient à l’époque à cinq cents sur la plage comme en Normandie, et fonçaient sur une rangée de camions destinés à les emmener à Chicago, Denver, Philadelphie, New York, partout où ça devait péter. Plus crédible et plus fort, les fouteurs de merde prenaient l’apparence de flics et soldats en uniforme pour répandre la terreur. Ils flinguaient des civils innocents devant témoins pour diminuer la crédibilité des forces de l’ordre.
Mais le sérieux s’arrête là. Chuck Norris est un ancien de la CIA qui ne fait paradoxalement rien pour rester discret. Le méchant fait des cauchemars sur lui et jure de le trucider. Et puis, on rigole des saynètes burlesques façonnant le deuxième acte. Rien que l’attaque du bus et son retour à l’envoyeur sont restés dans les annales.
Invasion USA, ou la guerre chez soi
Mais tout ça n’est qu’un hors-d’œuvre. Le morceau de bravoure du film est un final explosif en plein cœur d’Atlanta. (SPOILER : ) Piégés par Hunter, tous les homme de Rostov se retrouvent cernés par la Garde nationale. Fantassins, chars, hélicoptères, il ne reste plus le moindre centimètre carré praticable sur terre et dans les airs ! La fusillade est statique, mais dantesque. On se demande par quel miracle les soldats américains ont réussi à ne pas se dégommer entre eux.
On finit avec un duel hommage à Clint Eastwood et Charles Bronson. L’ami Chuck repompe les troisièmes épisodes de l’Inspecteur Harry et du Justicier, en explosant le méchant d’un coup de lance-roquette, brandi comme une carabine dans un western. À savourer en VF, pour profiter d’un effet d’écho inédit sur la dernière réplique du film. (FIN DU SPOILER)
Une scène démente, censée surpasser les attentes du fan de film d’action et d’ambiances de fin du monde. Bien sûr, Michael Bay et Marvel ont réussi à la surpasser, depuis. Dommage que le film de Zito soit une perle de ringardise, le pinacle de l’actioner réac des années 1980 avec Rambo III. Il pousse le bouchon si loin qu’il est impossible, surtout aujourd’hui, de prendre au sérieux ses clichés racistes, son patriotisme neuneu et son héros monolithique. Un immanquable, donc.
L’invasion de l’édition
Au même titre que Street Fighter, aussi culte soit-il, on peut se demander si Invasion USA méritait un collector. Mais la pilule passe quand on la vend dans un écrin de la trempe des boxes VHS “made in ESC”. Bien sûr, niveau image et son, il ne faut pas rêver. Vu son âge et sa réputation, la copie ne vaut pas les éditions 4K du dernier Michael Bay. Mais nulle doute que c’est l’une des meilleures façons de (re)découvrir le film. Et puis, quand il s’agit d’un plaisir coupable de vidéo club de mon enfance, j’aime bien le revoir avec un minimum de grain et (à l’occasion) ses petits défauts de pellicule.
Comme d’habitude, on est plus gâté en goodies qu’en bonus. Les disques proposent deux interventions plutôt courtes. L’une par l’inévitable Arthur Cauras, l’autre, en compagnie d’un chroniqueur de nanarland.com. Pour les plaisirs matériels, on a droit à un double mini-poster, dix photos de production et un magnet à l’effigie de Chuck. Enfin, on trouve un nouveau numéro du mini magazine “KO Mag”. Très instructif, retraçant notamment le parcours de Chuck Norris sous l’ère de la Cannon. On n’en demandait pas tant.
Difficile d’imaginer que les plus jeunes, élevés avec Jason Bourne et les derniers Fast and Furious, y voient un intérêt. De toute façon, cette sortie n’est pas pour eux. Elle est destinée à nous, les vieux, alors que nous devenons comme nos parents. En dépit du bon sens, on radote, assénant à qui veut l’entendre que c’était mieux avant.
Certaines choses, oui. Mais pas Invasion USA, tellement bête et abusé qu’il synthétise parfaitement tout ce qui marchait et clochait dans le cinéma américain d’exploitation, en particulier avec la Cannon. C’est la raison pour laquelle il faut s’en souvenir, et aussi, pourquoi il vaut mieux en rire.
Invasion USA est disponible depuis le 4 janvier 2023 chez ESC éditions en boîtier collector VHS, et en combo Blu-ray + DVD.