Street Fighter : L’Ultime Combat se passe à Shadaloo, une province d’Asie. Le terrible général M. Bison impose une dictature armée depuis un petit moment. Mégalo, il prend en otages une soixantaine d’envoyés humanitaires et réclame vingt milliards de dollars pour leur libération. Payables en 3 jours, sinon, c’est l’exécution. Le colonel américain Guile (Jean-Claude Van Damme) ne l’entend pas de cette oreille. Il prépare l’assaut à la tête d’un bataillon de l’Organisation des Nations Alliées, l’équivalent des casques bleus de l’ONU, mais avec des flingues. Fier comme la bannière étoilée, Guile vient libérer un copain, mais aussi se taper en « un contre un » avec le tyran pour prouver qu’il a les plus grosses. Mais il lui faut des alliés dans la place. Il se tourne alors vers Ryu (Byron Mann) et Ken (Damian Chapa), deux escrocs, pour gagner la confiance du fournisseur de Bison, Sagat (Wes Studi)…
Pas de panique, les autres street fighter sont là pour le show. Même sans bonne raison, le film introduit Chun-Li, Vega, Honda, Balrog, Cammy, T-Hawk (qui a sacrément maigri), DeeJay, Dhalsim, et même Blanka, ou plutôt, un cosplay du personnage. Ils sont tous là… Quitte à ce que certains ne se battent même pas ! Ce n’est pas la seule chose qu’on reproche à ce film dans la catégorie « adaptations de jeux vidéo ratées ». Mais c’est quand même la plus importante. Après Super Mario Bros. un an auparavant, Street Fighter : L’Ultime Combat commet la même erreur. Certes, on a un film qui reprend des motifs et des personnages, jusqu’à absurdement reproduire leurs accoutrements. Mais on oublie trop souvent d’intégrer, et de soigner le moment venu, ce qui fait l’intérêt du produit adapté : la baston.
La citation qui tue :
(Un bureaucrate : ) Colonel Guile ! Vous vous oubliez, je crois.
(Guile : ) Non. C’est vous qui avez oublié vos c****** !
Street Fighter : l’origine
L’origine du film est assez surréaliste. Un jour, Steven E. De Souza, scénariste derrière Piège de Cristal, Commando ou encore 48 heures, reçoit un coup de fil. C’est le producteur Edward R. Pressman qui appelle. Des pontes de Capcom sont là pour affaires mais repartent le lendemain à midi. Si, avant leur départ, De Souza parvient à leur pitcher une idée de film tirée du jeu Street Fighter II, et si les Japonais sont impressionnés, ils leur cèderont les droits pour le faire. De Souza accepte, à condition que si la combine marche, en plus d’écrire le scénario, il réalisera le film. Son premier film.
Steven fait comme tout bon scénariste dans ce cas. Il passe une nuit blanche à enchaîner les cafés, écrire ses idées et regarder les infos. Nous sommes alors en plein conflit en Bosnie, et l’actualité lui donne l’idée de situer l’action dans une dictature, qu’essaie de renverser les forces armées de l’ONU, pardon, l’ONA. Il n’y a plus qu’à intégrer les personnages suivant les besoins de l’histoire.
Mission accomplie. De Souza rend un traitement de dix pages seulement, mais les Japonais disent oui. Ils ne sont pas inquiets des retours critiques. En même temps que ce film américain, ils ont aussi prévu un long métrage animé basé sur Street Figther II, qui sera bien plus fidèle au matériau de base (et mieux reçu sur le plan critique).
Où est passé le street fighting ?
Ce n’est pas pour pinailler, mais j’aime bien quand le titre d’un film est adéquat. Street Fighter : L’Ultime Combat est un cas fascinant. Certes, il reprend personnages, looks, et parfois coups spéciaux. Mais on se demande bien où est passé l’esprit du jeu et, littéralement, le street fighting. De Souza disait qu’il avait voulu faire un film entre Star Wars, James Bond et le film de guerre, et… Il a réussi, en fait.
C’est juste que de tels ingrédients, 1) n’ont pas grand-chose à voir avec le sujet du jeu, et 2) il faut savoir les doser pour que le miracle se produise. Mais le tournage local est pavé de problèmes et les producteurs nippons ont leurs exigences (comme de caser TOUS les personnages du jeu). Certaines idées sont absurdes (le bateau furtif de Guile), et le planning de production archi serré. Van Damme est noyé sous la cocaïne, et Raul Julia (M. Bison) atteint d’un cancer bien avancé de l’estomac. Difficile d’en faire, des miracles, surtout pour un réalisateur dont c’est le tout premier fait d’armes.
Dommage que la trahison au matériau de base soit ce que l’on retient le plus. Malgré la déception, Street Fighter : L’Ultime Combat est un film assez généreux à l’esprit bon enfant. Bison et son repaire sont dignes des meilleurs/pires Bond cuvée Roger Moore. Raul Julia en Bison y va à fond malgré son état de santé, et rien que pour ça, il faut le voir. La musique guerrière du compositeur Graeme Revell donne de l’élan aux scènes les plus molles ou les plus drôles (même en vo). L’humour saugrenu ou enfantin véhiculé par des personnages, Zangief en tête, et certaines références qu’on ne voit pas venir font mouche, comme la recréation d’un combat de kaiju devant deux Japonais médusés.
Basta, la baston
Mais voilà. Le tout ressemble à une comédie débile dans la lignée de Hot Shots 1 & 2. La réalisation est fade, les costumes kitschs, et les quelques coups spéciaux employés semblent totalement hors contexte. C’est quand même Street Figther, le film. Avant les fusillades, les explosions et les poursuites, on attend des sonic boom, des hadoken, bref, de la bagarre qui en jette ! Mais les adaptations hollywoodiennes d’alors en étaient à leurs balbutiements, et côté baston, Street Fighter : L’Ultime Combat rationnalise un peu trop les choses (Mortal Kombat n’arrivera que l’année suivante). Quand rixes il y a, au mieux, elles déçoivent, au pire, elles consternent.
Pourtant, caster Van Damme en Guile semblait judicieux. Certes, le plus belge des karatékas joue un ricain pur jus malgré son accent à couper au rasoir. Mais avant Street Fighter : L’Ultime Combat, JCVD a émergé à Hollywood grâce à Bloodpsort et Full Contact, deux films de tournoi et de combat de rue dans la lignée du jeu de Capcom (la preuve). Avec la licence, le spectacle ne pouvait que monter d’un cran, non ? Non ?
Non. Contrairement aux métrages cités, le studio engage d’abord des acteurs avant d’être des combattants. Raison invoquée : il est plus facile de leur apprendre des chorégraphies que d’enseigner la comédie à des vrais warriors. Ajoutez à cela le cancer de Raul Julia, le boss final en personne. On comprend que quand ça cogne, c’est souvent entrecoupé ou surdécoupé pour masquer les faiblesses de tous. Dommage pour le combat final entre Guile et sa Némésis. Au final, popularité du jeu aidant, Street Fighter : L’Ultime Combat a tout de même été un carton.
Le poing sur le film
Pour résumer, le film a tout de la comédie d’action neuneu des années 90. Vu sous cet angle, il remplit grandement son pari, que ce soit l’humour, l’esthétique et la réalisation. Mais c’est un beau plantage en tant qu’adaptation vidéoludique. Que cela ne nous empêche pas de rire devant la bêtise de Zangief, les gags et références dans la lignée des Y a-t-il un flic… ?, mais surtout, la performance au taquet de Raul Julia. Je le dis avec un immense respect, quand on sait que le cancer l’a emporté juste après.
D’autant que, avec un recul de vingt ans, le résultat n’est finalement pas si honteux. On peut même le savourer avec nostalgie parce que, depuis, en matière de trahison comme de mauvais cinéma, on s’est quand même farci les horribles films de Uwe Boll (Postal, Far Cry, House of the Dead, Alone in the Dark, BloodRayne, King Rising, pitié, arrêtez !), un autre Street Fighter minable (La Légende de Chun-Li), la saga Resident Evil de Paul W.S. Anderson, deux Tomb Raider hilarants et un anecdotique, Assassin’s Creed, Max Payne, deux Hitman foireux… Et qu’aucun n’est aussi amusant à regarder que le premier film du scénariste de Commando.
Street Fighter : l’héritage
Au début des 90s, les jeux vidéo donnaient souvent plus dans le style que dans l’histoire. Après tout, on s’en fichait un peu. Ils prolongeaient même souvent une expérience ciné. Des jeux comme Contra, Streets of Rage et Final Fight satisfaisaient les appétits des fans de ciné bourrin des années 80. Les amateurs de Van Damme et Full Contact lançaient des parties de SFII entre deux visionnages de VHS. Puis une révolution s’est amorcée dans le sillage de la Playstation de Sony. Resident Evil et Tomb Raider ont prouvé, 3D aidant, qu’on pouvait davantage s’approcher de l’idéal ciné de vivre une aventure, avec des icônes originales de surcroît (Lara Croft en tête).
Depuis Street Fighter : L’Ultime Combat et son curieux mélange de comédie volontaire/involontaire, de l’eau a coulé sous les ponts. On est quand même passé de la Super Nintendo et de la Megadrive à la PS5 et aux Xbox Séries. Les moyens ont pris de l’ampleur. Les grosses licences ne se sont pas privées pour injecter plus de narration et de sérieux dans leurs jeux, en s’inspirant des codes du Cinéma. Mais depuis tout ce temps, le Cinéma semble toujours à la peine pour prendre au sérieux les JV et en tirer de vraies œuvres filmiques, y compris les plus récents, tout en gardant leur attrait. Les adaptations les plus libres ont l’air de mieux s’en tirer dans le genre, comme Détective Pikachu ou Sonic, le film.
Finalement, la bande-annonce colorée et bourrée de clins d’oeils du prochain reboot de Resident Evil rappelle plus que jamais l’époque tâtonnante du Street Fighter de 1994. Est-ce l’hommage ultime du réalisateur de cette chose envers la pub japonaise que Romero tourna en 1998 pour RE2 ? (Jugez par vous-même.) Ou est-ce que l’adaptation de jeux vidéo n’aura jamais droit qu’à l’incompréhension, voire l’inconscience, des studios et des réalisateurs choisis ? On verra en novembre, puis l’année prochaine dans les salles avec la sortie de l’arlésienne Uncharted. Pour le reste, ce sont les services de streaming qui récupèrent tout ce qui traîne en la matière, que ce soit décliné en film (Mortal Kombat 2021, le futur The Division) ou en série (live comme The Last of Us, ou animée avec – encore – Tomb Raider, pour ne citer qu’elles).
Le poing dans l’édition
Vu sa réputation, il faut vraiment le vouloir pour se payer un collector de Street Fighter : L’Ultime Combat. C’est pourtant la nouvelle initiative d’ESC. L’édition est aussi réussie que ses grandes sœurs, dans son magnifique écrin en forme de VHS.
Le film est présent en bluray mais aussi en DVD, évidemment. Il constitue le plus gros bonus, étant donné qu’une édition digne de ce nom n’existait pas vraiment chez nous. Sauf un steelbook « meh » honteusement coté jusqu’à maintenant. Petit bémol : la scène post-générique façon Marvel (ou Les Maîtres de l’Univers) n’est pas doublée en français, apparemment pour une question de droits sur la copie utilisée. Si vous êtes pointilleux à ce point-là, gardez votre enregistrement sur K7 datant d’une vieille diffusion sur M6.
Le reste est toujours aussi bienvenu, mais sent la routine depuis les premières box dédiées à Van Damme : un magnet assez classe, un petit poster double-face, et un mini KO Mag avec rétrospective sur les jeux vidéo au ciné, et interviews de De Souza et Van Damme. Charmante attention, on trouve aussi un jeu de 10 mini cartes « style Pokemon » dédiées aux personnages du jeu dans le film.
Enfin, rayon suppléments, Steven E. De Souza a droit à son commentaire audio. Alexis Blanchet nous raconte la genèse du projet, tandis que Maître Arthur Cauras poursuit sa rétro sur la carrière de JCVD. Plus anecdotique, mais non moins sympathique, le régisseur des cascades Manu Lanzi, avec qui on aimerait bien boire une bière, décortique avec passion l’évolution des chorégraphies de Van Damme. Pour le dessert, il reste quelques scènes coupées, sans grand intérêt, et une featurette d’époque de 5 mn en très basse qualité.
Encore une fois, hormis l’habituel manque de chapitrage dans les menus (grrrrrrr), c’est un nouveau coup d’éclat de la part d’ESC. Surtout pour un film qui, plus que les précédents, n’en méritait peut-être pas tant. Oui, même avec toute la bonne volonté et la meilleure nostalgie du monde.
Street Fighter : L’Ultime Combat est disponible depuis le 8 septembre 2021 chez ESC éditions, en boîtier collector VHS, en combo Blu-ray + DVD et Blu-ray simple.