JJ (Elsa Pataky) est une soldate ricaine qui a défendu son honneur et ses droits face aux avances d’un général pervers, soutenu par une hiérarchie sexiste. C’est donc tout naturellement qu’elle est mutée au fin fond de l’océan Pacifique. Il s’y trouve l’une des deux seules bases d’interception de missiles ballistiques US. Si elles ne fonctionnent pas, en cas d’attaque nucléaire, kaboum ! Comme c’est un film, le premier jour de JJ coïncide avec une attaque simultanée sur les deux bases Interceptor. Tandis qu’on apprend la chute du complexe situé en Alaska, les agents d’entretien de la base dégainent des flingues et prennent le PC d’assaut. JJ s’enferme juste à temps à l’intérieur. Si ses ennemis parviennent à entrer, ils saboteront la station, permettant à des terroristes russes de raser entièrement l’Amérique…
Interceptor de Matthew Reilly appartient à un genre essoré depuis vingt ans, auxquels reviennent ponctuellement certaines productions anachroniques : le « Die Hard-like ». Si vous vous demandez ce que c’est, voilà le topo. Des terroristes ou pseudo terroristes prennent en otage ou investissent un lieu clairement délimité, clos ou non, dont l’isolement empêche les autorités d’y pénétrer et/ou d’y appliquer la loi. Il revient à un ou plusieurs héros de serrer ce qu’il a entre les jambes et de foncer dans le tas, l’objectif étant de sauver sa vie/sa femme/sa famille/ses amis/le pays/le monde/tout ça à la fois. Si en chemin, il peut se montrer inventif dans le démastiquage de truands, c’est tout bénef’.
« Die Hard dans (remplir le blanc) »
Tout a commencé en 1988 avec Piège de Cristal (Die Hard en VO). Les suites officielles ont eu la bonne idée d’innover en ouvrant toujours plus le terrain de chasse. Mais dans les années 1990, tous les petits malins du business ont voulu surfer sur le succès d’un film au concept simplissime. Pour être original, il suffisait de changer de décor (même si le succès de Die Hard venait autant de son pitch que d’une réalisation efficace et d’un casting impeccable).
Note : à chaque époque son modèle. Dans les années 2000, on a copié n’importe comment la réalisation de Paul Greengrass après le second film sur Jason Bourne. Et aujourd’hui, depuis l’émergence de John Wick, on voit surtout se multiplier les actioners colorés et stylés.
Pendant dix ans, on a donc eu droit notamment à Passager 57 (dans un avion), Piège en Haute Mer (sur un navire de guerre), Piège à Grande Vitesse (dans un train), Cliffhanger (à la montagne), Broken Arrow (dans le désert), The Rock (à Alcatraz), Mort Subite (dans une patinoire), ou encore Air Force One (dans le gros avion du président). On ne cite ici que les films cinéma les plus fidèles à la définition. Speed (un bus), Speed 2 (un bateau de croisière) et Ultime Décision (encore un gros avion) sont des déclinaisons intéressantes.
Des années plus tard, quelques retardataires prennent régulièrement la température, probablement parce que nous vivons à une époque aussi nostalgique que dénuée d’imagination : La Chute de la Maison Blanche (dans la maison du président), White House Down (idem) ou encore Skyscraper (dans un immeuble… haha). Puisqu’on parle de Netflix, La Terre et le Sang appartient bien à la définition, ainsi que SAS : Rise of the Black Swan sorti l’année dernière.
Interceptor, ou la mort du genre
Depuis Piège de Cristal, on en a vu des navetons, particulièrement en DTV. À bien des égards, Interceptor rappelle un autre nanar d’époque, Etat d’urgence avec Dolph Lundgren (1997). On y passait toute la deuxième partie en huis-clos dans un simulacre bon marché d’abri anti-atomique. Mais bien qu’Etat d’Urgence affiche 15 ans au compteur, il est plus dynamique, ambitieux et amusant que le nouvel actioner de Netflix.
Interceptor s’enferme presque tout le temps dans une salle de contrôle en plastique ? Etat d’Urgence commençait sur les chapeaux de roue, avec une course en voiture frappadinque (et hors propos) sur les toits de la ville ! Interceptor met en vedette Elsa Pataky, que le grand public connaît surtout pour être la femme de Thor ? Dans Etat d’Urgence, la tête d’affiche était quand même la légende Dolph Lundgren. Un acteur limité, certes, mais qui retient l’attention quand cette tare est associée à son écrasante présence physique. (« Est-ce que ce type existe ?! » est une question qui revient fréquemment à l’esprit.)
Qu’on ne s’y trompe pas, les deux films sont miteux. Mais Interceptor a perdu ce qui faisait le sel des productions auxquelles il rend hommage. Dans les années 1990, on était capable de filmer une dinguerie presque je-m’enfoutiste, s’autorisant les pires excès et blagues débiles. Regardez Etat d’Urgence aujourd’hui, il provoquera toujours moult éclats de rire, moqueurs ou complices.
En 2022, la façon de faire a changé, et surtout, la mentalité de toutes les parties impliquées. Le film de Matthew Reilly reprend peut-être un concept vieux de trente ans. Mais il s’agit bien d’un film des années 2020, avec les normes artistiques et qualitatives, et un peu de la charge politique auxquelles il faut s’attendre.
Ouvertement opportuniste et un peu malsain
JJ est une femme combattant pour son droit à être un soldat avant tout, alors qu’elle a lourdement subi le harcèlement et les violences psychologiques d’un entourage masculin, militaire de surcroît, extrêmement toxique. Oui, ces choses existent. Oui, elles sont dégueulasses, et elles ne touchent pas que l’armée et la politique. Ce qui est également vrai, c’est qu’en 2022, pointer ces problèmes du doigt revient à enfoncer une porte ouverte. Une thématique de moins en moins contestataire et de plus en plus opportuniste à Hollywood. Et le faire sans subtilité, ça craint. C’est sans doute pourquoi Matthew Reilly, réalisateur/scénariste, va plus loin. Il dégonde la porte et surfe carrément avec, sur une vague de complaisance.
Avoir quelqu’un à défendre, à protéger ou à sauver, ça facilite toujours l’identification. C’est peut-être cousu de fil blanc, mais c’est un truc qui marche. Pour JJ, la sécurité de son père, sa seule famille, est rapidement écartée après une scène expédiée. Puisque ça, c’est fait, il reste logiquement le devoir pour la motiver. Mais le film insiste particulièrement sur le traumatisme et les mauvais traitements de l’héroïne (et elle en a bien bavé). Son parcours ressemble alors à une vengeance, une thérapie de fortune doublée d’un ego trip malsain. La miss énervée a l’air de vouloir prouver aux autres qu’elle vaut bien un mec, et qu’elle est une héroïne, une vraie. Le plan final lui donnera raison.
Honnêtement, s’ériger contre la masculinité toxique, c’est bien. Mais ce n’est pas le message que j’en ai tiré. Curieusement, j’ai surtout eu l’impression qu’Interceptor m’a crié dans l’oreille qu’égocentrisme et autosatisfaction étaient les valeurs à défendre en 2022. Je suppose que ça passe, puisque le message est glissé sous couvert d’une cause juste, même si très souvent enfoncée dans la gorge du spectateur (comme dans un autre film).
Faisons fi de ces déductions absurdes. On regarde surtout Interceptor pour le spectacle et pour se marrer. On va bien en profiter, non ? Non ?!
Interceptor, une production au rabais
C’est vrai qu’Interceptor est con. On a droit à tout : premices absurdes, rebondissements faciles, exploits physiques parodiques, compte-à-rebours stoppés à la dernière seconde et non-sens complètement assumés. Les méchants sont pressés d’entrer dans le PC pour le détruire ? Aux trois quarts du film, ils décident de couler la base par défaut… Ce qu’ils pouvaient faire depuis le début, puisqu’on découvre qu’ils ont un bouton pour ça ! On pourrait écrire un poème, mais je ne suis pas Boileau.
La c#nnerie n’est pas le vrai problème. Un film bête, ça se savoure toujours, surtout que l’auteur s’y connaît. Il s’agit du premier film de Matthew Reilly, écrivain australien à succès, spécialisé dans les romans de genre façon blockbuster (oh merde, un collègue !). Sauf que le monsieur donne souvent dans le détournement farfelu et opportuniste. Par exemple, son roman The Great Zoo of China est un décalque de Jurassic Park… avec des dragons.
Fan de gros films hollywoodiens, Reilly a visiblement une affection naturelle pour le B tendance Z. Certains de ses romans avaient d’ailleurs été optionnés par des studios, mais sans jamais qu’un projet se concrétise. Aujourd’hui, grâce à Netflix, il peut enfin voir une de ses histoires à l’écran. D’une part, il a écrit un scénario « original » pour l’occasion. D’autre part, il réalise en personne. Il faut bien commencer un jour, mais…
Interceptor ne cache pas sa misère. Décors en toc, action molle surdécoupée et overdose de CGI évidents sont de la fête. Mais surtout, ce manque de moyens trahit l’une des règles fondamentales du « Die Hard-like » : exploiter l’environnement. On a une plateforme entière comme lieu de l’action, mais on s’enferme dans un PC de vingt mètres carrés pendant les trois quarts du film. Et quand on sort à l’air libre, on ne va pas bien loin. Appelons un chat un chat : Interceptor est fauché. C’est sûrement ce qui lui a permis de trouver son financement. Mais c’est aussi comme ça qu’il se tire une balle dans le pied.
Casting à la mer
Pour qu’Interceptor soit vraiment marrant, il faudrait au moins que la croisière s’amuse. Pourtant, rayon casting, ça ricane plus que ça ne rigole.
Elsa Pataky se serait entraînée des mois pour avoir l’air badass, et on veut bien le croire. Elle ne fait pas tache quand il s’agit de bander les muscles. Mais l’action est très souvent mollassonne. La belle balance bien quelques punchlines dignes d’Arnold et Willis, mais curieusement pas drôles, tellement elles sont convenues.
Et les méchants, alors ? Parmi les représentants du genre, les plus mémorables le sont grâce à des bad guys bien caractérisés, joués par une gueule qui s’amuse un max. On se souvient d’Alan Rickman dans Piège de Cristal, John Lithgow dans Cliffhanger, Powers Boothe dans Mort Subite, Gary Oldman dans Air Force One, Dennis Hopper dans Speed…
Quid de Luke Bracey, alias Kessel dans Interceptor ? Le personnage est aussi fade que son interprète. Il est motivé par des raisons que le film s’amuse à rendre confuses ou contradictoires, pour masquer des révélations forcément banales. Monsieur fait semblant d’être motivé politiquement, alors qu’in fine, tout s’avère être une question de pognon (coucou, Piège de Cristal). Et pour ce qui est du charisme et de l’énergie, il représente autant une menace dans le film qu’une moule le serait pour une mouette. Comble de l’arnaque : il est tellement indigne que ce n’est même pas l’héroïne qui l’achève !
Ses hommes de main sont au diapason. Certains prennent la pose, d’autres passent leur temps à chouiner avec un accent redneck. À cause de tout cela, ils ont surtout l’air ridicule et incompétent. Pour achever le tout, rappelons que Chris Hemsworth fait un caméo à répétition pour soutenir sa chérie. Sa présence nous rappelle d’autres productions pas plus subtiles, mais mieux réglées, comme Tyler Rake dont il était la vedette.
Intercepté et abattu en vol
Interceptor pue le bricolage, l’opportunisme et l’indifférence. Si le film jouait sur la bêtise archaïque de son scénario, et s’il n’était pas si fauché, on passerait un bon moment. Ce n’est même pas du bon cinéma d’artisan, et d’ailleurs, ce n’est même pas du cinéma. C’est bel et bien du contenu. Son ambition à ras de pâquerettes, sa propreté clinique et ses décors en toc donnent souvent l’impression de voir un épisode filler de Star Trek.
C’est peut-être moi qui suis vieux et con. Si ça se trouve, ces pépites valent en fait de l’or, alors que ma bouche ne sent que le goût du charbon… Si vous voulez voir un Die Hard-like titré « Interceptor », regardez donc celui sorti en 1992. Ça n’a l’air de rien, mais vous aurez l’exact contraire : aucune promesse, et pourtant, elles sont toutes tenues.
LES + :
- Si Matthew Reilly écrit des trucs pareils et peut finir par réaliser des films Netflix, rien n’est perdu pour Bibi. :p
LES – :
- Ben, euh…. J’ai la flemme. Allez, tout.