the last of us part 2

The Last of Us, Part II débute quatre ans après le premier. Ellie et Joel coulent des jours paisibles à Jackson, la ville où le frère de ce dernier, Tommy, avait posé ses bagages. La communauté s’est considérablement agrandie et organisée, se protégeant et explorant la région avec application. Mais un jour de blizzard, sept étrangers s’aventurent dans les environs. Parce que Neil Druckmann Dieu a un humour de m****, ils rencontrent inopinément Joel et son frère, alors en patrouille. Ce n’est que le début d’une longue descente aux Enfers, notamment pour Ellie, la petite fille volontaire devenue femme en colère…

*** Attention, spoilers (si tant est qu’il reste quelque chose à spoiler) ***

Après Uncharted 4 (puis sa déclinaison Lost Legacy), Naughty Dog revient avec la suite de sa dernière licence culte. Le studio ayant su brillamment reprendre et peaufiner la formule The Last of Us pour le compte de Nathan Drake, beaucoup avaient hâte de voir ce qui suivrait. Du coup, The Last of Us, Part II déchaîne les passions. Mais à qui se fier ?

À une extrémité du spectre, on a la presse spécialisée, unanimement dithyrambique (donc, forcément suspecte). De l’autre, on subit des commentaires énervés de fans déçus et autres youtubeurs frustrés (« C’est nul parce que c’est violent ! », « C’est nul parce qu’ils ont tué Machin ! », ou « C’est nul parce que c’est scripté ! »). Au milieu, on trouve quelques prudents saluant la performance et l’intention, sans s’étendre réellement sur le « jeu ». Au final, qui aime quoi et pour quelles raisons ? Mais surtout, on devrait se poser cette question : à quoi bon ?

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Avertissement

Avant de me jeter au feu, je devrais présenter le contexte de mon test :

  1. Je n’attendais pas du tout The Last of Us, Part II.
  2. Je n’avais pas été spoilé par les fuites sur le jeu, je n’avais donc aucun a priori sur la chose.
  3. Personnellement, je ne voue pas un culte à l’original, même si ses qualités narratives et esthétiques m’avaient convaincu.
  4. Avant de me lancer dans cette nouvelle aventure, j’ai rejoué à The Last of Us, ma troisième partie depuis 2013. Et, pour la première fois, j’ai abandonné à mi-chemin, fatigué par son gameplay que je jugeai dorénavant punitif et/ou trop scripté suivant les moments, gâchant mon appréciation de plusieurs phases de jeu.

Maintenant que vous savez, en avant pour cette chronique en toute objectivité.

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Une réussite technique

À quoi bon s’attarder sur la technique du soft ? On sait qu’avec Naughty Dog, ce sera un quasi sans-faute. Depuis The Last of Us, le studio rend toujours ses mondes plus vivants. La nature n’a jamais paru si luxuriante, ni si animée. Vous verrez fréquemment des écureuils et autres lapins traverser les bois ou une clairière verdoyants, tandis que vous les traversez sur le dos d’un cheval plus vrai que nature.

C’est la troisième fois qu’on nous ressert une ancienne civilisation rongée par les hautes herbes et le lierre. Le studio a donc de la pratique. Animations, textures, jeux d’acteurs, bande son, mise en scène, etc. Faut-il vraiment en écrire des caisses sur une évidence qui n’est plus à démontrer ? Naughty Dog a les équipes artistiques et les talents créatifs qu’il faut pour proposer un produit soigné. Ça ne suffit pas à faire un jeu, mais ça mérite d’être salué.

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Un gameplay peaufiné

À quoi bon critiquer le gameplay ? Il s’est considérablement assoupli depuis le premier opus. Il n’avait pas besoin de réinventer la roue, juste de corriger les problèmes. Quand il vous laisse jouer, The Last of Us, Part II est au croisement d’Uncharted et MGSV. Les capacités, équipements et améliorations reviennent plus étoffées. De nouveaux mouvements sont disponibles (ramper à plat ventre et bondir) et vous avez la possibilité de confectionner des silencieux. Quant à la difficulté et l’IA, elles évoluent avec le niveau choisi (modifiable in-game). J’avoue que je ne tenterai pas plus que « Difficile », vu la vivacité et la précision au tir des ennemis. En plus, ils ont des chiens ! Les sales pauvres bêtes…

Vos chances de survivre en pleine échauffourée augmentent. Les ressources sont plus généreuses, et un pas d’esquive permet de se sortir d’une impasse et de répliquer. On se sent moins piégé, et on peut « jouer » davantage, surtout à partir de la moitié du soft, plus orientée action. Merci aussi pour le cran d’arrêt illimité d’Ellie (mais on n’en dispose pas toujours).

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Les infectés sont relégués au second plan. Le Cordyceps ne mène plus à tant de surprises, sinon deux-trois nouvelles mutations, dont un boss terrifiant. Elles soulèvent des questions auxquelles on ne répondra jamais, ce qui est dommage. Mais en matière de jouabilité, c’est réussi, et je suis heureux de pouvoir revenir à n’importe quelle zone de combat pour m’éclater comme j’en ai envie, à l’instar des derniers Uncharted.

Déjà vu et revu

À quoi bon s’étonner de jouer à la même chose depuis sept ans ? Neil Druckmann est toujours à la barre, et ça se sent. Rien n’a changé depuis le premier The Last of Us. Il y a eu deux Uncharted entre-temps, mais ni les mécaniques, ni l’esthétique ni la mise en scène n’ont franchement évolué dans les œuvres du studio. Uncharted 4 assimilait à son avantage les progrès et astuces du soft de 2013, mais son dernier tiers n’échappait pas à un sentiment de redite, de retraverser des niveaux de The Last of Us.

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Tout ce qu’on a déjà vu avant se retrouve ici (Ellie a un journal, peut se cacher dans les hautes herbes, parler occasionnellement à ses accompagnateurs, etc.). Histoire d’enfoncer le clou, des morceaux entiers de The Last of Us, Part II font carrément miroir à d’autres, mémorables, du jeu original et de son DLC. Parfois même, deux scènes se font écho au sein du présent épisode ! Le game director emploie ad nauseam des astuces et décors qui commencent à sentir le déjà vu. On ne change pas une formule qui marche, mais combien de temps marchera-t-elle encore sans se renouveler vraiment ?

D’autant que ce qui sauvait Uncharted 4 manque à The Last of Us, Part II : son délire. Voyager, tout faire péter, blaguer et résoudre des puzzles alambiqués, vous oubliez. Uncharted 4 se voulait un divertissement et faisait tout pour l’être. C’était un jeu de tir et de plate-forme enrobé dans une narration constamment entraînante, dépaysante et surprenante. Ici, retirez tout cela, en plus de ne rien proposer de neuf dans la forme ni dans les mécaniques de jeu (à part gratter la guitare au dualshock, waouh !). Bref, il y a peu de choses auxquelles se raccrocher, à part l’histoire.

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Des choix audacieux mais vicieux

À quoi bon concentrer l’attention sur la narration dans The Last of Us, Part II ? Parce que c’est sa seule nouveauté. Un découpage fractionné et un rythme lent, le studio ne l’avait jamais fait avant, pas sur un jeu entier. C’est là que les avis commencent à s’affronter. Pour certains, c’est un pari audacieux qui justifie d’inscrire le soft à la postérité. Pour d’autres, c’est un cash grab honteux, une entourloupe destinée uniquement à les détrousser et à les foutre en boule. Soyons objectif : les premiers ont tort, et les seconds exagèrent. Mais la cause de tout ça, c’est bien l’hubris des développeurs.

Choquer à tout prix est une volonté évidente, particulièrement destinée aux admirateurs du premier opus. Au nom du fan service, le studio a concentré la communication sur les personnages cultes, trafiquant même des extraits de jeu pour tromper les attentes. Druckmann cherchait sans doute à marcher dans les traces d’un certain Kojima (il visait aussi autre chose, dont nous parlons plus bas). Mais peut-être qu’en cours de développement, Naughty Dog s’est rendu compte que quelque chose clochait avec ce qu’ils préparaient. Autrement, on n’aurait pas annoncé depuis des mois, à qui voulait l’entendre, que ce jeu n’était pas pour tout le monde, y compris parmi les fans (euh ?!). Mais avec l’argent engagé et un développement long et compliqué, mieux vaut jouer la carte de l’auteur incompris que celle du dérapage (mais pas de l’échec) industriel.

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Sauf que l’écriture singulière de l’intrigue n’arrange pas les choses. Elle sert plus au joueur des prétextes fumeux que des arguments forts. Alors, à quoi bon ? À jouer avec le feu, on se brûle. Tromper les attentes de son public sans le récompenser ni le surprendre positivement, c’est comme lui cracher au visage, surtout à soixante balles l’admission.

Propos vs sujet

The Last of Us, Part II a des thèmes et propos puissants, même s’ils sont devenus extrêmement courants aujourd’hui : l’absence de communication, la prise de parti et ses conséquences, l’incompréhension (racisme, fanatisme, homophobie, etc.), et bien sûr, le cycle éternel de la violence. L’histoire écrite par Neil Druckmann et Halley Gross veut être pertinente, et en un sens, elle l’est. Malheureusement, le média en cause, le jeu vidéo, se marie mal avec les intentions.

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Les sujets et l’écriture ne dépareilleraient pas dans une de ces séries noires, pessimistes et visuellement fortes qui marquent les mémoires, The Walking Dead en tête. La progression, les motifs, une certaine tendance à jeter ses personnages comme des Kleenex pour choquer l’audience, etc. Tout ceci accroche et intrigue un spectateur. Pour un joueur, cela ne suffit pas.

Jadis, à travers Joel ou Nathan Drake, vous étiez le protagoniste, vous adhériez à la cause et aux agissements de votre avatar. Plus maintenant. The Last of Us, Part II ne veut pas vraiment que vous l’aimiez. C’est un monde sale et horrible, où vivent des gens sales et horribles, qui décident et font des choses sales et horribles. Et, pour la première fois peut-être dans l’histoire du jeu vidéo, vous vous retrouvez condamné (terme fort mais approprié) à suivre des personnages, une trame et des choix vous emballant peu, voire vous révoltant complètement.

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À trop vouloir être une œuvre, The Last of Us, Part II oublie d’être vraiment un jeu, un divertissement engageant et motivant de bout en bout. De ce fait, il déchire volontairement ou non le contrat tacite liant habituellement le jeu au joueur. Comment est-ce arrivé ? Et surtout, à quoi bon ?

Raison vs prétexte

Aujourd’hui, en jeu vidéo, on peut contrôler une coquille dans laquelle nous projeter ou un protagoniste développé auquel nous identifier. Le style du jeu se met alors au diapason. S’il est avant tout axé sur le gameplay, avec peu ou pas de narration, les phases de jeu doivent être prédominantes. Tout part d’un prétexte, mais ce prétexte nous suffit (Mario, Doom, etc.). Si la narration prime, elle doit compenser pour un gameplay parfois simple ou limité. Il nous faut des raisons d’avancer (McGuffin et rebondissements, comme au cinéma, cf. Uncharted). Bien sûr, l’équilibre entre les deux existe, notamment dans les RPG.

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Dans Doom Eternal, Doom Guy n’a pas besoin de développement (et on peut zapper les cinématiques), tant qu’on prend notre pied à buter des démons. On joue un mec énervé et c’est tout, mais ce prétexte permet de jouer. Pourquoi un tel parallèle ? Parce que, aussi détaillé soit-il, The Last of Us, Part II démarre sur un prétexte similaire : vous dirigez une gamine énervée, Ellie, réclamant sa livre de chair. Mais la cause ne suffit pas à proprement nous projeter en elle, ni à démarrer une aventure prenante et immersive.

Le problème, c’est le prétexte et son traitement. The Last of Us, Part II est un « rape and revenge » : le protagoniste subit un outrage (ici, témoigner impuissante de la mort de Joel) puis part se venger. Visiblement, les scénaristes comptaient énormément sur l’attachement à Joel, pour qu’on ressente sa perte autant qu’Ellie suite à son exécution. Les fans ont certes été contrariés, mais ils ont retourné leur colère contre le studio plutôt que les personnages (et menacé de mort les acteurs, super !).

L’autre effet Kiss Cool, c’est qu’un nouveau venu ne sentira pas vraiment le poids de la tragédie. Car le début du jeu réduit grandement l’importance de la relation Ellie-Joel, alors à quoi bon ? Ils sont brouillés pour une raison qu’on n’apprend que plus tard, via flashbacks, et l’ado a d’autres chats sentimentaux à fouetter. En conséquence, le préjudice fait à Ellie n’a pas autant d’impact que les innombrables autres déjà subis en littérature, au cinéma ou même à la télévision (impliquant notamment la torture et le viol, qui sont des causes bien plus intenses). Pour être sûr de garder notre intérêt, le titre aurait pu rebondir pendant les heures suivantes, sauf qu’il ne le fait jamais.

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Ellie, la pilule anti-tout

Pendant ses six premières heures, The Last of US, Part II ne raconte rien ou presque. Après deux heures de mise en place, vous n’avez plus qu’Ellie et sa fidèle perruche Dina auxquelles vous raccrocher. Six heures parties d’un prétexte, donc, ne menant à aucune vraie avancée de l’intrigue, aucun vrai rebondissement ni rencontre surprenante. Cette première partie n’a rien à dire, jusque dans les flashbacks l’entrecoupant, trop longs par rapport à ce qu’ils ont à révéler. L’errance poussée à son paroxysme. Pas une errance linéaire et fascinante à la Silent Hill 2, ou très permissive à la Red Dead Redemption II. Il n’y a simplement rien à faire en dehors de phases de combat espacées. Même l’exploration, dirigiste, ne mène nulle part. Vous allez de loot en note, d’infiltration en assassinat, avec une impression d’ennui profond. Et là, la question revient : à quoi bon ?

Ni la violence du jeu ni sa représentation très graphique, tendant vers l’hyperréalisme, ne m’ont dérangé. À mon âge, j’en ai lu et vu des vertes et des pas mûres. Mais à quoi bon suivre Ellie ? Elle est introduite comme quelqu’un d’égoïste et d’amer, puis devient auto-destructrice et meurtrière au point qu’il est difficile de rentrer dans ses godasses. Si l’intention était d’en faire une anti-héroïne, l’acte est manqué. Le principe de l’anti-héros, c’est que même si on n’adhère pas à sa philosophie ou à ses idéaux, on compatit et on comprend les problèmes personnels ou dilemmes moraux du protagoniste. Mais puisqu’on ne nous sert rien de consistant pendant des heures, c’est difficile. Même quand vous supprimez vos ennemis discrètement (de parfaits inconnus qui n’ont rien demandé), la gamine se fend toujours d’un « Salope ! » ou « Crève, connard ! » bien énervé.

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Ceux qui ont fait le jeu argueront qu’Ellie est une ado en pleine perte de repères, que sa colère est dirigée contre elle-même, et qu’elle a besoin de l’extérioriser, de la justifier en s’inventant des coupables ou des raisons. Mais à titre d’exemple, ce n’est pas parce que je comprends les raisons de l’émergence des nazis que je m’identifie à eux, ni que je pardonne ce qui a suivi. En faire un jeu vidéo n’y changerait pas grand chose, et ça ne rendrait pas le tout plus ambigu ni pertinent.

Ellie devient progressivement une psycho-killeuse hardcore, pas meilleure que les salauds qu’elle traque ? Pourquoi pas. Mais pendant six heures, rien ne remet cela en perspective. On finit par se détacher d’elle, de son but et de sa motivation. Au lieu d’être notre avatar, notre projection dans le jeu, Ellie nous rejette. C’est là que j’ai compris l’importance supposée de Dina.

Dina, le contre-poids qui fâche

Dina, compagne d’Ellie, me contrariait depuis le début sans que je n’arrive à mettre le doigt dessus. Ce n’était pas de l’antisémitisme (faut arrêter !), pas de la misogynie (faut arrêter !), ni de l’homophobie (faut arrêter !). Maintenant que j’ai bouclé le jeu, je connais la raison.

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Déjà, parce qu’elle prend sauvagement la place d’un autre personnage, Joel. Un type dont nous avons déjà eu un jeu entier pour suivre son évolution et comprendre l’attachement profond envers Ellie. Quand démarre The Last of Us, Part II, on nous impose Dina, connaissance de longue date pour Ellie mais nouvelle tête pour nous. Or, après une heure de balade et un quickie dans une exploitation de weed, Dina s’accroche à Ellie comme un Pokemon, fidèle dans toutes ses aventures, fussent-elles dangereuses, violentes et discutables… et malgré un « piti » problème personnel révélé plus tard, et qui m’a fait rouler des yeux d’incrédulité.

Si tôt dans l’histoire et sans plus d’infos, l’amour inconditionnel de Dina, aussi romantique que morbide, est introduit de force. Mais la raison est maintenant claire. Puisqu’on peut difficilement s’identifier à Ellie, il faut « l’humaniser » d’une façon ou d’une autre. Dites bonjour à Dina, love interest et prétexte à créer artificiellement de l’enjeu. Elle existe pour comprendre, rassurer et compatir avec Ellie… parce que nous ne le pouvons pas. Nous suivons cette quête vengeresse depuis la place du mort, obligé de tuer, de suivre les motivations, décisions et actions d’Ellie, toujours moins compréhensibles et défendables. Revers de la médaille, on ne peut pas non plus s’identifier à Dina, puisqu’elle voit en son amoureuse ce qu’on a bien du mal à voir nous-même : une personne qui en vaut la peine.

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Pile ou face ? Aucune importance

Mais à quoi bon s’attarder là-dessus ? Presque tous ces problèmes d’implication et de plaisir de jeu s’envolent dans le deuxième acte… si on a le courage d’arriver jusque-là. On y change radicalement de regard et de motivations, pour le meilleur. Naughty Dog veut alors nous faire épouser le point de vue du camp ennemi, quitte à rendre plus humain et proactif le supposé méchant de l’histoire. C’est beaucoup demandé, et comme pour ce qui a précédé, tout le monde ne va pas adhérer. Mais contrairement à la première partie, désespérément vide (en intérêt, en personnages), cette portion nous donne ce qu’on est en droit d’attendre : des rebondissements, des enjeux, de vraies découvertes et rencontres.

La prise de risque ne s’arrête pas là. Après un climax malsain et un faux épilogue dont on se serait contenté, The Last of Us, Part II nous rembarque pour un ultime chapitre dans la peau d’Ellie. Cette dernière ligne droite se joue bien, mais elle est complètement dispensable. S’il y avait des leçons à tirer, le joueur les a apprises à ce stade, et il est prêt à arrêter. Mais pas Ellie. Ellie demeure irrécupérable, réclamant toujours du sang sur la base d’un traumatisme qui a du mal à convaincre depuis le début. Une preuve de plus qu’elle n’est pas vraiment le réceptacle du joueur. Mais alors, est-ce encore un « jeu » vidéo ?

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Je n’aime pas refaire le monde. Selon moi, ça ne se fait pas de critiquer un travail créatif de longue haleine de façon contre-productive et injustifiée. Vous imaginez si je disais à Steven Spielberg comment il aurait fallu faire Indiana Jones 4 ? Moi, non, d’autant que le mal est déjà fait. Mais dans The Last of Us, Part II, il y a bien un rendez-vous manqué. Le jeu vidéo permettait quelque chose qui pouvait changer réellement de ce que le studio avait déjà livré auparavant. Quelque chose qui n’aurait pas dénaturé toute la réflexion engagée dans le processus d’écriture. Cette chose, c’est l’intégration du CHOIX DU JOUEUR.

T’as pas le choix, mec

The Last of Us, Part II est scripté à 200 %. Pas moins que les derniers Uncharted, mais ceux-ci étaient, à cœur, des jeux de tir et de plate-forme, soutenus par la narration. Ici, la narration prévaut clairement, mais en allant trop loin. Elle retire au joueur sa raison d’être. Passe encore que je sois un homme blanc hétéro proche de la quarantaine et en surpoids, subitement mis dans la peau d’une ado survivaliste et lesbienne de surcroît. Ce n’est pas cela qui va bloquer mon identification. Mais les choix discutables d’Ellie ne sont jamais les miens.

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Quand viennent les moments de prendre des décisions difficiles, celles qui divisent tant les avis, on nous place irrémédiablement en position de spectateur, non, de complice forcé. À la place de notre avatar, aurait-on vraiment tué untel ou untel ? Décidé de poursuivre la quête malgré tout ce qu’on risquerait de perdre ? Menacé un enfant pour obtenir quelque chose ? Ce serait fort si on nous laissait au moins nous interroger nous-même. Mais en plus de difficilement les accepter, les actes et choix les plus importants ne sont JAMAIS les nôtres.

Et si Abby pouvait tuer Ellie, par exemple ? Notre choix de joueur aurait vraiment du poids. Soit le jeu continue, soit il s’arrête là (amputé d’un bon quart, pour le coup). On aurait pris parti et influencé vraiment les choses. Idem pour le choix d’Ellie menant à l’acte suivant : et si on choisissait d’arrêter là l’histoire ? Pire, si on continuait, en sachant que cette décision sadique implique encore plus d’actions cruelles et amorales ? « Pourquoi Diable ferais-je ça ?! » Eh oui, pourquoi, mec… Pourtant, c’est ton choix.

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Le jeu voulait-il vraiment nous faire réfléchir sur la violence et ses conséquences ? Halley Gross y croit, en tout cas (cf. ce très intéressant entretien en anglais). Mais dans ce cas, les auteurs ont oublié une chose essentielle : il n’y a pas de conséquences sans choix. Et il n’y a pas lieu de nous faire réfléchir à des choix sur lesquels nous n’avons aucun contrôle. Tout cruels qu’ils soient, ils ne suscitent pas la réflexion, seulement une réaction. En l’occurrence : dégoût, colère, désarroi, consternation, confusion… mais pas (sinon rarement) de satisfaction.

Neil “nihiliste” Druckmann ?

À quoi bon revenir à The Last of Us ? Ce monde post-apocalyptique pouvait servir de décor à toutes sortes d’histoires, alors que pouvait-on dire de plus au sujet d’Ellie et Joel ? Rien, justement. D’où le nihilisme, pas jusqu’au-boutiste mais presque, gangrenant ce nouvel opus. Naughty Dog suit une tendance pas si réjouissante observée déjà dans les blockbusters ciné des dernières années : détruire consciemment une licence aimée de beaucoup, mais pour ne rien tenter derrière (cf. Jurassic World 2, Terminator Dark Fate, Star Wars VIII). En gros, ils exploitent et démontent les attentes et envies d’une fan base (le grand public passe après), mais ils n’ont rien à offrir en échange.

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Tout comme l’île sombrait dans Jurassic World 2, ou comme John Connor se mangeait deux pralines au début de Dark Fate, on assiste ici à l’enterrement des figures emblématiques de la licence… pour refaire la même chose. Alors oui, untel subit une craniectomie des plus graphiques, et l’autre devient rien moins qu’une « méchante » dont l’obsession ne peut conduire qu’à une amère prise de conscience. Comme dit plus haut, ces choix sont intéressants. Mais le produit, lui, n’y gagne rien. Le gameplay, la mise en scène, l’esthétique… C’est toujours plus joli, mais c’est toujours la même chose. On en voit plus, certes, mais toujours plus de la même chose, recyclage de scènes à l’appui.

The Last of Us, Part II est peut-être le premier faux pas de Naughty Dog. Non seulement il ne met rien sur la table, mais à ce que je sache, c’est le premier soft AAA qui traîne et dilue tellement les choses qu’il veut décourager le joueur de le finir. Audacieux, oui, mais ça n’en fait pas un bon « jeu » pour autant. Alors à quoi bon dire le contraire ?

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Prochainement, dans The Last of Us

L’écriture s’obstine donc à créer une barrière entre joueur et avatar. Est-ce conscient ? Sur Google, la principale occupation de Neil Druckmann est « écrivain ». Ben tiens. Compte tenu du contexte (il prépare avec HBO la série tirée du jeu), il faut croire que c’était son bout d’essai pour le futur passage au petit écran. Et là, ça fait « clic ». Ce qui tue The Last of Us, Part II, ce n’est pas son écriture ni ses intentions. C’est son aspiration. Il n’est pas vraiment fait pour y prendre part.

Il y a toujours eu une différence entre films ou séries, et jeu vidéo. Les premiers nous montrent. Le second nous invite. Un simple show n’aurait pas autant divisé les foules, puisque se bornant à montrer les choses. Des choses horribles, intéressantes, intrigantes, révoltantes, mais sachant, grâce à cela, capter notre attention. En tant que jeu vidéo, The Last of Us, Part II devrait nous inviter à le parcourir, à y prendre part. Au lieu de cela, il pense subvertir intelligemment nos attentes. C’est raté. Notre participation, notre complicité tacite de joueur ne se retourne jamais vraiment contre nous.

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Notre liberté lors des moments graves se limite à appuyer sur un bouton et donner fatalement notre consentement au bourreau, pour tuer, torturer, menacer ou mettre en danger autrui… même si l’on n’en a pas envie, mais le jeu est ainsi. Ces choses horribles, intéressantes, intrigantes, révoltantes, nous n’en faisons jamais partie et nous n’en prenons pas parti. C’est Ellie et Abby que nous regardons faire. Comme à la télé, mais la frustration en plus, puisque la plus-value du jeu vidéo a disparu. The Last of Us, Part II ne veut déjà pas qu’on s’amuse. Mais il n’a pas non plus besoin de nous. Le joueur est une entité inutile au déroulement et à l’appréciation de l’histoire.

The Last of Us Part II, c’est quoi, finalement ?

À quoi bon perdre notre temps à décortiquer davantage The Last of Us, Part II ? Après tout ce qu’on en a dit, ici et ailleurs, le titre est-il :

  • Une œuvre au sens véritablement artistique ? Je pense que oui, grâce à la somme des talents investis, aux ambitions assumées, et au thèmes et sujets abordés sérieusement.
  • Est-ce un jeu vidéo réussi ? Seulement durant les phases où il laisse vraiment « jouer », et profiter des possibilités de mouvement et de combat mises à disposition.
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  • Est-ce une expérience plaisante, stimulante, engageante ? Non, puisque le récit, consciemment ou non, nous pousse à suivre des personnages et situations peu enthousiasmants, et à valider des décisions qui ne nous appartiennent jamais.
  • Est-ce une histoire passionnante à suivre ? Ça dépend pour qui. Elle aurait moins divisé si le média avait été différent (la série télé), ou à condition que Naughty Dog prenne réellement des risques ou des initiatives. Tout miser sur le teasing a desservi plus qu’autre chose. Sans parler de tous les petits trucs sur lesquels les fachos du web s’épanchent longuement, comme la mise en avant des communautés LGBTQIA+, LMAO, PTDR, etc. C’est idiot. Comme la violence outrancière, les genres et orientations sexuelles des personnages ne sont que des détails cosmétiques, n’ayant aucune incidence sur ce qui arrive. Avec le recul, il semble que ce n’était que poudre aux yeux, pour détourner l’attention des vrais problèmes.
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Alors, à quoi bon ?

Continuer de jouer ou non, c’est le seul vrai dilemme moral auquel nous confronte The Last of Us, Part II. Vu le prix du titre, on comprend que ça gratte. On a raqué pour ça, alors il faut aller jusqu’au bout, que cela nous enchante ou non. Mais puisque la scission entre joueur et avatar est actée, la raison de poursuivre échappe à beaucoup, et l’expérience frustre légitimement.

Même un simulateur de marche, comme on les appelle (Layers of Fear, Blair Witch, Soma et j’en passe), est plus humble, moins obscène et plus permissif que le dernier né de Naughty Dog. Après tout, même sur des rails, vous vous projetez toujours à travers les yeux du personnage. Mais jouer à The Last of Us, Part II, c’est un peu comme de réserver une table dans un restaurant quatre étoiles pour vous et vos meilleurs amis, de voir en arrivant qu’on a donné votre place à un inconnu avec le consentement des autres… et d’être obligé de les regarder manger et rigoler sans vous.

The Last of Us, Part II possède des qualités indéniables, et on peut comprendre ce qu’il a essayé de faire. Mais pour ce qui est d’y prendre part, comme vos amis à table, le titre se passe finalement très bien de vous. Alors, à quoi bon ?

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LES + :

  • Audacieux dans ses intentions.
  • Une tuerie, techniquement. Animations, jeux d’acteurs, musique, tout est poli à son maximum.
  • Des améliorations de gameplay bienvenues (quand on a vraiment l’occasion de jouer).

LES – :

  • L’audace narrative ici présente ne s’applique pas bien au jeu vidéo.
  • Naughty Dog commence à tourner en rond, en terme d’esthétisme, de mise en scène et de mécaniques de jeu. Dans une œuvre prenant le parti de détruire pour ne rien bâtir, c’est gênant.
  • Ce jeu révèle ce qu’il y a de pire en nous… sur Internet. Entre les haters, les fans aveugles, les vendus (y en a sûrement), les ados qui découvrent la formule pour la première fois, etc. Tout le monde a quelque chose d’extrêmement engagé à dire, souvent violemment et sans se respecter mutuellement. Et ça, c’est plus triste et parlant que tout ce qui arrive dans The Last of Us, Part II.

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