Dans Scream 6, les sœurs Sam et Tara Carpenter (Melissa Barrera et Jenna Ortega) ont déménagé à New York depuis la tragédie de Woodsboro l’an passé. Sam est depuis victime d’une campagne d’intox visant à la faire passer pour le vrai meurtrier. Tara aimerait bien s’éloigner un peu pour respirer, mais sa frangine est tellement protectrice que ça devient gênant. C’est toutefois fort pratique quand un nouveau « Ghostface » se met à les harceler et à décimer leur entourage. Il annonce clairement avoir une affaire personnelle à régler avec elles, et surtout, n’en avoir rien à f**tre des films. Avec leurs amis, survivants du précédent comme petits nouveaux, elles vont s’organiser pour résister aux assauts de ce nouveau cinglé. Mais cette fois, il n’y a plus de règles…
La saga Scream est un drôle d’objet étonnamment durable dans l’histoire du cinéma. Pas comme l’ont été les increvables franchises d’autres tueurs masqués, comme Halloween ou Vendredi 13. À part un détour par la case « petit écran », la marque n’a jamais opté pour le reboot pur et dur. Après tout, le concept est que, à l’inverse des stars suscitées du slasher, tout le monde peut revêtir le masque iconique pour se transformer en boogeyman… À condition d’avoir les bonnes motivations, histoire que le reveal du troisième acte ne soit pas paresseux, tiré par les cheveux, voire complètement à côté de la plaque.
Chacun voit midi à sa porte, alors laissons les spectateurs décider quel opus est le meilleur, selon leurs goûts et leurs capacités d’analyse. Perso, je considère Scream 2 comme l’une des pires suites du cinéma, alors qu’il est porté aux nues par le reste du monde… Je ne cherche plus à comprendre. J’ai peut-être tort, mais je n’ai pas envie de savoir. ^^
Petits films, grandes ambitions
C’est le paradoxe et l’intérêt de la saga dans son entièreté. Ce sont de petits films en terme de genre (le slasher est un sous-genre davantage réservé à un public de niche), mais aussi de budget et d’ambitions scéniques. Sauf à de rares occasions (comme la scène du cinéma ouvrant Scream 2, par exemple ), ça se passe quasiment toujours dans des pièces fermées, des banlieues tard le soir, ou des studios/bureaux/salles de classes pendant les heures creuses. Relativement facile à produire et à tourner, donc.
Mais c’est aussi une série ambitieuse par sa dimension méta. Scream, l’original, jouait avec les slashers en particulier, mais aussi les clichés des films d’horreur en général. Ses deux suites exploitaient le concept de trilogie au cinéma, avec ce qu’elles avaient de bon, de mauvais, et carrément d’idiot (qu’elles détournent ce piège ou le mettent malgré elles en lumière). Dix ans, puis vingt ans plus tard, le cinéma de genre a évolué. D’abord rebooté par les studios, le slasher a ensuite été délaissé par la nouvelle vague de cinéma d’horreur, plus psychologique et prétendument « intelligente ».
Scream 4, puis Scream 2022 exploitèrent fort à propos cette évolution des mœurs, même s’ils ne le faisaient pas forcément avec finesse ni inventivité. Cela restait des slashers classiques et nostalgiques, raccrochés au passé plus que de raison. Ils ramenaient en plus inlassablement les mêmes figures de proue (Sidney, Gale, Dewey), même si la raison était de plus en plus suspecte.
Désévolution des évolutions
Pour résumer, l’existence de deux suites en dehors du contexte initial de « trilogie » restait cohérent et pertinent. Ceci même si les idées égrainées tout le long ne l’étaient pas forcément. On saluera les motivations des tueurs, toujours dans l’air du temps, même si traitées de manière assez réac’ quand on y pense. (SPOILER) Une ado voulant devenir star médiatique au lieu de bosser, puis des fans toxiques qui n’aiment pas qu’on flingue leur franchise. Hem. Ça sent un peu le film de vieux réalisateurs grincheux et cyniques, tout ça. (FIN DU SPOILER)
Scream 2022 ne sentait plus le réchauffé, mais carrément le cramé, malgré quelques « nouveautés » intéressantes quoique discutables dans leur exécution (un fantôme deepfaké douteux, la mort de *biiiiip*). Mais Paramount n’a pas racheté la licence pour se regarder le nombril. Comme avec les relances de Halloween, qui les a clairement motivés, il s’agit de traire la vache tant qu’elle a du jus. Mais que restait-il à raconter ? Surtout une seule petite année après le précédent.
Eh bien justement : rien. Suite du requel qui rebootait la série en faisant déjà suite aux précédents, Scream 6 est juste… une suite du précédent. Elle coche toutes les cases introduites depuis le premier volet, si ce n’est celle impliquant Sidney Prescott, puisqu’elle a eu l’intelligence (l’actrice comme son personnage) de ne pas rempiler.
Bizarrement, Scream 6 semble se faire étriller par beaucoup de monde pour n’être « que ça ». Pourtant, il a bien sa place dans la série, surtout après les deux épisodes d’avant.
On connaît la musique
Quelque part, Scream 4 puis 5 ont réussi dans leur approche méta autant qu’ils ont échoué à transcender leurs idées. Dans les années 2000, l’ère des reboot et des remake avait échoué à ressusciter avec succès Freddy ou Jason (sans parler de la dizaine de franchises pillées par les studios à l’époque). Maintenant, dans les années 2020, deux écoles de l’horreur s’affrontent : les requel contre les représentants de l’elevated horror, l’horreur intelligente.
Les premiers recyclent souvent de vieilles gloires du genre, revenant aux sources, à l’opus orignal, en prétendant que les quarante ans d’exploitation entre les deux n’existent pas (coucou Halloween). Mais ça reste du recyclage sans focus qui ne parvient à rien transcender (re-coucou Halloween). Les seconds représentent la vraie nouveauté, ou plutôt, un besoin de revenir à un cinéma plus viscéral, fonctionnant à l’économie et à l’émotion, plutôt qu’à l’excès de moyens et d’horreur graphique (Mister Babadook, les films d’Ari Aster, etc.).
Scream 5 refusait la mort de son sous-genre, ce que le tueur revendiquait ouvertement dès son introduction. « C’était bien, avant, alors pourquoi changer ? » Peut-être parce que quand on s’adresse à un public de fans, on finit par ne plus savoir surprendre. La violence reste la violence, mais la peur reste à la porte. Un peu comme Ghostface si tout le monde avait l’intelligence de s’armer d’un pompeux, de s’enfermer à clé et de ne jamais se séparer.
Il était temps d’en finir
Scream 5 niait l’évolution du genre détourné, parce qu’à la base, la saga pastiche les slashers. Or, les slashers sont bel et bien démodés avec leurs ficelles archi usées, surtout pour un fan de Scream qui les a vus se faire démonter et vider en cinq opus.
De quoi pouvait donc bien parler Scream 6 pour être encore pertinent ? De la mort elle-même, de la fin avec un grand F. Ça tombe bien, tous les signes sont là pour faire du film un opus terminal. De bonnes choses, mais aussi des moins bonnes.
Commençons par ce qui dérange :
- Le re-retour de vieilles têtes et de jeunes survivants, toujours plus artificiel et cynique.
- New York comme nouveau décor, immense et plein de possibilités, mais qui ne sert finalement que le temps d’une scène.
- C’est la cinquième suite où l’intrigue fait référence encore et toujours au film original. Il serait temps de passer à autre chose.
- Des indices si grossiers qu’on grille l’identité du ou des tueurs dans les vingt premières minutes.
- L’inévitable et fatigante leçon sur les règles du genre, exagérément enjouée et sourire aux lèvres. Lesquelles, logiquement, n’ont plus cours, puisque le tueur assène un beau « je m’en fous des films » dès le début.
- Des meurtres à la mise en scène et à l’inventivité réduite, surtout quand on se rend compte que tous les morceaux de bravoure sont dans la bande-annonce.
- Un ou des tueurs aux motivations bateau, qui grimacent comme Al Bundy sitôt démasqués. Parce qu’en 2023, les tueurs psychopathes, c’est plus drôle que flippant (ah ?).
Pour se réinventer et exciter à nouveau, Scream 6 aurait dû explorer de nouvelles terres, pas géographiquement (surtout pour ne rien faire avec), mais thématiquement et narrativement. Les problèmes psychologiques de Sam, mis en lumière dans le 5, donnaient une piste maladroite mais fascinante à explorer. Hélas, ils sont mis en sourdine ici.
Ça fait du bien de mourir
C’est peut-être normal. Avant de se renouveler véritablement, Scream avait besoin de vraiment mourir. Il y a plus de redites que de nouveautés dans ce sixième opus, mais peut-être que quelque part, ça joue en faveur du concept.
Certes, le film réutilise tous les clichés au-delà de l’absurde. Une intro choc et maligne. Des chouchous qui ont la peau dure (on ne compte plus les gens qui survivent à plus de trente coups de couteau, et j’ai compté !). Une violence paroxystique, paradoxalement moins choquante à cause des CGI. Quelques easter eggs pas très finauds. Une ou deux scènes en hommage aux précédents volets. Etc. Attendue aussi, une louche de wokisme toujours plus assumé (cf. notamment les t-shirts de Mindy, dont on ne sait plus s’ils sont ironiques ou cyniques). Mais surtout, un message in-the-nose souvent contradictoire. (En gros, les femmes ont le droit de se faire abuser ou de tuer si elles en ont envie ! Euh, si tu le dis… Mais ne me cancel pas si je ne cautionne pas. ^^’)
Scream 6 assure le fan service, et s’il ne fait pas peur, il amuse plus souvent qu’il n’ennuie. Il veut n’être qu’un plaisir coupable plutôt qu’un uppercut au foie des fans. C’est décevant sans être un défaut. Sans vouloir être méchant, la série a toujours été maligne dans le fond et ringarde dans sa forme. Et contrairement aux derniers Halloween, Scream 6 ne pète pas plus haut que son cul. Il n’y a pas tromperie sur la marchandise. Ce n’est qu’un slasher recyclant les grands hits de la saga, jusqu’à un tirage de masque à la Scooby-Doo, des explications fumeuses et un règlement de compte cathartique.
Scream a droit à une belle mort
Qu’est-ce qui donne à ce nouveau bourrelet une légitimité dans cette hexalogie ? Son décor. Attention, pas New York, évolution de façade qui ne perturbe rien. La Grosse Pomme cache en son sein un lieu qui change tout.
Le mode opératoire du tueur, sorte de compte-à-rebours nostalgique, mène à un endroit grillé dans la bande-annonce : un mémorial à la gloire de la franchise, établi dans un cinéma condamné et décrépit. Soit une relique abritée au sein d’une autre. La saga Scream, imprégnée de l’odeur de naphtaline, trouve sanctuaire dans un cinéma fermé et oublié. Le lieu où ses films ont connu leurs heures de gloire, avant que les services de streaming, lentement mais sûrement, n’accueillent plus volontiers les derniers rejetons du genre. À l’heure actuelle, pouvait-on faire plus méta que ça ?
L’ultime combat a donc lieu dans ce théâtre de l’image, ancienne boutique de rêves devenue usine à fantasmes. Fantasmes avortés, car rien n’a jamais lieu qui ne surpasse les attentes. Il y avait pourtant matière à ce que Scream 6 soit enfin un « gros » film, avec un vaste terrain de chasse, des ambitions revues à la hausse et un Ghostface d’une nouvelle ampleur.
En définitive
Même si l’on n’en veut pas, à l’instar de Rambo 5, Scream 6 fait bien office de point final à son histoire. En l’état, nous assistons à une projection fort appropriée, une espèce de crépuscule de la saga, du slasher, et quelque part, du cinéma de genre tel qu’on l’a connu. Pas un film parfait, mais un divertissement routinier, au fond plus malin que la forme. Une conclusion idéale pour cette franchise ayant trop duré.
Hélas, avec un gros studio derrière, on se doute que Ghostface reviendra vite. Espérons que cette fois, ce sera sous le signe d’un renouveau aussi justifié que salutaire. Dommage qu’on en doute, vu comme les auteurs sèment depuis le 5 des indices sur le possible retour d’une figure emblématique… de Scream 1.
LES + :
- À l’image de la série entière, Scream 6 est malin dans le fond. Il trouve thématiquement et symboliquement sa place comme opus final d’une hexalogie imparfaite, mais toujours distrayante.
LES – :
- À l’image de la saga, Scream 6 est ringard dans la forme. Malgré une ou deux fulgurances, c’est un slasher qui respecte à la lettre son cahier des charges, et dont les promesses de renouveau sont trahies au nom du fan service… et dans l’éventualité d’une suite.