Après quatre aventures explosives, Nathan Drake s’est rangé des voitures. Dans Uncharted 4, l’aventurier poissard le plus indestructible au monde jouit d’une vie pépère en compagnie de sa femme Elena. Pire : il se contente pour tout trésor de ce que son honnête métier de récupérateur d’épaves lui permet de remonter. Alors que tout ne pouvait pas être plus barbant, son grand frère Sam, présumé mort 15 ans plus tôt, refait surface. Il a une grosse dette sur les bras et seule une grosse trouvaille pourrait l’en libérer : le légendaire magot du pirate Henry Avery. Réticent à replonger, Nate accepte finalement, impliquant l’inépuisable Sully. Hélas, ils vont devoir faire face à Shoreline, une armée privée à laquelle s’est associé Rafe Adler, vieille connaissance qu’ils auraient préféré oublier…
(Avertissement : ce test ne s’attarde que sur l’analyse du mode solo.) Le roller coaster cinématique de Naughty Dog est de retour, pour la dernière fois paraît-il. Pour célébrer l’événement, A Thief’s End a été pensé non pas comme l’épisode de la surenchère pyrotechnique (y en a), mais comme le paroxysme du récit interactif. Le meilleur film d’action de 2016 est donc un jeu vidéo. Un constat qui séduit cinéphiles comme fans de la franchise, mais donne un peu plus de grain à moudre aux détracteurs. Surtout que s’il est un meilleur jeu, Uncharted 4 n’est pas globalement le meilleur opus de la saga (rejouez à Uncharted 2 : Among Thieves). Mais ceci est un autre débat.
Uncharted 4, ou l’alchimie du grand spectacle
Oui, à bien des égards, Uncharted 4 est l’aboutissement de la série en termes de gestion du spectacle et du gameplay. En particulier lors des affrontements avec des troupes armées dont l’intensité et le déroulement ont été repensés. Au début, on a certes une impression de régression ou d’oubli. La possibilité de renvoyer des grenades a disparu, et les corps-à-corps ont été simplifiés. Puis on se rend compte de la plus grande liberté de mouvements de Nate, et que les arènes sont dédiées tout entières à la stratégie.
La furtivité est une vraie option, les ennemis sont plus réactifs et même un chouette grappin permet au héros/joueur de se prendre toujours plus pour son modèle Indiana Jones. Bien évidemment, ces moments d’adrénaline sont entrecoupés d’instants de calme plus ou moins longs, en jeep ou à pieds, dédiés à la résolution de puzzles inventifs et l’exploration de zones moins linéaires que de coutume.
Comme on s’y attendait, le tout est magnifié par des graphismes à s’en péter la mâchoire et une foule de détails bienvenus. Saluons enfin le talent des scénaristes pour avoir su apporter une vraie diversité dans l’aventure et les environnements, un parfum de Pirates des Caraïbes saupoudré de Goonies donnant à l’épisode une identité propre le distinguant des précédents.
De script en aiguille, on devine toutefois après quelques heures de jeu pourquoi Naughty Dog avait annoncé qu’Uncharted 4 serait le dernier de la franchise (par le studio, du moins). Les concepteurs avaient avoué tourner en rond à chercher des méthodes attrayantes pour renouveler l’ensemble, et il était sans doute temps de passer à autre chose. Les responsables ayant eux-mêmes le sentiment qu’ils n’arriveront plus à faire illusion très longtemps, cette lassitude ou ce manque d’imagination peut très justement (mais pas nécessairement) ressortir de l’expérience A Thief’s End, malgré une brouette de qualités.
Rien à l’horizon, moussaillon ?
Toute la plus-value de ce nouvel opus est due à Bruce Straley et Neil Druckmann. Le duo est responsable de The Last of Us, production précédente du studio à la patte de chien, plébiscité partout comme l’expérience ludo-cinématographique ultime. (Petite pensée pour Amy Hennig, scénariste vétéran de la franchise virée après huit mois de travail sur Uncharted 4, avant que les deux transfuges ne reprennent l’histoire à zéro. Je ne peux m’empêcher d’imaginer à quoi aurait ressemblé SA version.) L’ADN du survival zombiesque a donc été fusionné à celui des aventures de Nathan Drake, notamment pour une narration plus équilibrée et un récit plus proche des personnages.
Revers de la médaille : à l’impression de redite citée plus haut s’ajoute un air de déjà-vu. Si les deux premiers actes de l’histoire et leur cliffhanger représentent la quintessence de la saga Uncharted, le troisième est dédié à des paysages bucoliques recouvrant des traces de civilisation humaine, totalement hérités dans l’esprit à The Last of Us.
Le dernier effort des Dogs ressemble alors plus à un best-of du studio, d’autant que l’on peut compter sur une poignée d’easter eggs sympathiques. Cela trahit peut-être un léger manque d’inventivité, mais ôte très certainement au joueur averti une part de découverte ou de surprise. Après 3 épisodes (+1 sur PS Vita) aux péripéties démentielles, on a plus que jamais l’impression d’un savant recyclage. Oui mais…
No place like home
Conscients eux-mêmes de la situation, l’équipe a choisi de tout miser sur les personnages et la progression… soit les points forts de The Last of Us. Il y a eu la perfection des péripéties du 2. Puis la grandiloquence souvent gratuite du 3. L’opus 4 est l’histoire qui boucle toutes les sous-intrigues. Il nous raconte à la fois comment se termine le périple de Nathan, mais également, via des flashbacks judicieux, comment il a commencé. De quoi réparer les maladresses de Drake’s Deception (enchaînement de situations sans lien logique, questions sans réponses). De quoi aussi donner plus de profondeur aux personnages, mais pas seulement. Certains instants jouent la carte de l’analogie totale entre la vie du joueur et celle de son avatar.
Pépite pour le fan : le chapitre 4, « Une Vie Normale ». Il débute par Drake rangeant dans un tiroir la tentation de partir à la chasse au trésor. Le héros passe ensuite en revue des reliques de ses vieilles aventures. Des références rappelant à lui comme au joueur un passé qu’il se languit de retrouver. L’environnement est trop familier et dénué d’enjeu. Il nous rappelle trop notre vie quotidienne, celle que l’on cherche à fuir en prenant la manette. Or, on nous force à la revivre à travers Nathan. Ainsi, notre frustration épouse naturellement la sienne.
Comble du génie, le présent jeu nous donne l’occasion de jouer, sur une PS1 virtuelle, à un de ses propres ancêtres vidéo ludiques, sarcasmes à l’appui. Un miroir tendu pour nous faire soupirer face au reflet de notre propre vie. La mise en abîme de l’aventurier intérieur cherchant l’évasion dans le jeu vidéo.
Dieu merci, le but est bien de rapidement nous extirper du quotidien, de nous faire redevenir quelqu’un d’autre. Il va bien falloir repartir en voyage dans des contrées exotiques, grandioses et inhospitalières. Après telle mise en bouche, Uncharted 4 n’est plus un jeu. Les jeux sont surréalistes, à l’image d’un Crash Bandicoot par exemple.
Or, la dernière aventure de Nate se veut hyper pointilleuse. Tous les détails minutieux (boue, dialogues, visages, animations, PNJ) sont pensés pour rendre ce monde non pas plus réaliste (erreur de la plupart des détracteurs) mais plus vivant. C’est la deuxième clé de l’implication dans cet univers haut en couleurs, la dernière étant bien entendu l’écriture.
L’attention au récit et à ses personnages
Pris ensemble, Uncharted 3 & 4 représenteraient finalement les deux faces d’une même pièce, deux aventures « finales », complémentaires à la fois dans leurs intentions et dans leurs manquements. Le 3 était un blockbuster spectaculaire irréprochable dans sa forme, mais creux et répétitif dans son fond, provoquant chez le joueur un sentiment d’inachevé.
La quête d’Ubar singeait la narration du quasi parfait opus 2, en y insérant des flashbacks sur l’enfance du héros et sa relation avec son vieux pote Sully, approfondie au détriment des autres personnages (en particulier cette pauvre Elena). La quête principale y finissait en queue de poisson et, ultime trahison, des pistes sur l’origine du héros restaient honteusement sans suite. Trolling douteux des auteurs ou concessions faites pour boucler le jeu à temps pour sa sortie ?
S’il n’a pas à rougir rayon action, Uncharted 4 ne surpasse jamais la surenchère phénoménale de Drake’s Deception. Point de crash d’avion impossible, ni de ville entière qui s’effondre, non. Il préfère au contraire en combler les lacunes, développer une intrigue prenante et aboutie. La quête du trésor réserve ainsi son lot de notes, d’épreuves et de surprises On explore aussi la psychologie des personnages centraux, révélant les dernières zones d’ombre sur l’enfance de Drake.
Une intention très adroitement appuyée par l’arrivée de Sam, le grand frère revenu d’entre les morts. Le procédé est risqué mais payant. Si on n’avait jamais entendu parler de lui, son introduction savante ne contredit rien des épisodes précédents. Quant à sa hantise pour le trésor d’Avery, elle remplace celle de son petit frère pour Ubar dans l’opus d’avant. Encore un miroir tendu au personnage (et au type tenant le pad).
Cela dit, la réception de l’aventure par le joueur dépendra de son degré d’affinité avec les têtes d’affiche. En neuf ans et cinq jeux, on a appris à les aimer. Et comme dit plus haut, ils sont ici plus vivants que jamais. Impossible de ne pas saluer le jeu des comédiens. Il est parfaitement retranscrit, sinon amplifié via la performance capture. Les longs regards d’Elena tour à tour déçue et fascinée par son compagnon sont touchants d’authenticité. Si vous avez grandi avec ces personnages, vous ne pourrez que les aimer davantage. Et si vous les découvrez avec A Thief’s End, vous apprendrez à le faire.
“Déception”, point ?
Mais alors, qu’est-ce qui pourrait bien clocher dans Uncharted 4 ? On peut comprendre l’agacement des fervents défenseurs du jeu vidéo peu ou non scripté. Mais comment expliquer la déception d’un fan pur et dur, qui aura survécu à cette dernière épopée pour n’en retenir qu’un nouveau sentiment d’inachevé ?
Peut-être que la désillusion est justement l’un des thèmes centraux. Malgré moult fusillades, le troisième acte gagne en rythme ce qu’il perd en intérêt. On est loin des monts et merveilles atteints avec les fabuleux Shambhala et Ubar. Est-ce la réponse à la déception suscitée par le final d’Uncharted 3 après ses grandes promesses ? Le 4 opte pour une malédiction plus symbolique que surnaturelle, appropriée aux tourments intérieurs des héros. La soif de l’or des couples Sam/Nate et Rafe/Nadine fera-t-elle écho à celle de ces flibustiers peu recommandables, dont ils déterrent peu à peu les sombres secrets ?
C’est la désillusion qui attend tout le monde au tournant. En témoigne un twist aux deux tiers nous amenant à reconsidérer le chemin parcouru. Pourquoi nous, le joueur, à travers Nathan Drake, faisons-nous tout cela finalement ? Pour le trésor (= une histoire passionnante) ? Pour l’aventure (= le gameplay) ? Ou simplement pour nous-mêmes ?
Déception également de devoir laisser le trésor derrière soi alors que rien ne s’y opposait cette fois, sinon un désintérêt. Plus que jamais ici, l’objet de la quête était moins important que la quête elle-même. D’où le juste sentiment de vide exprimé par un protagoniste au terme de l’aventure.
Encore un reflet du sentiment du joueur. Qu’il ait été comblé ou déçu suivant de ce qu’il espérait, il est maintenant forcé de tourner la page. Une impression confirmée par un épilogue aussi surprenant qu’anticlimactique. Sans être aussi définitif que l’avait suggéré les auteurs, A Thief’s End ferme la boucle avec une cohérence respectable. Ce n’était pas la plus belle des façons de s’en aller. Mais il faut admirer la justesse du procédé.
Uncharted 4, at last
Avec une écriture parfaite et un découpage et des effets cinématographiques, Uncharted 4 fait du cinéma mieux que le Cinéma. Certes, il a poussé ses mécaniques de jeu dans leurs derniers retranchements. Certes, les plus cinéphiles ne se sentiront pas la force de saisir un pad. Et les plus joueurs ne toléreront pas tant de cinématiques et de limitations.
Toutefois, difficile de nier que cet ultime opus est une espèce rare de récit où empathie et identification se confondent. Il célèbre l’idée du grand spectacle juste et sans débordement. Au cinéma comme en jeu vidéo, c’est un exploit qu’il reste difficile d’accomplir. De ceux qui méritent qu’on s’en souvienne. « So long, Nathan Drake ! Sic parvis magna. »
LES – :
- Un spectacle peu surprenant…
- Une histoire classique…
- Des mécaniques éprouvées…
LES + :
- … mais une mise en scène grandiose et énergique !
- … toutefois, le récit est encore une fois inventif et captivant !
- … mais un gameplay rodé et nerveux !