Après la disparition de son père, un SDF de la Nouvelle Orléans, Nat Binder (Yancy Butler) engage pour le retrouver un certain Chance Boudreaux (Jean-Claude Van Damme). Chance connaît bien la ville, et c’est un pro dans l’art de botter des fesses au ralenti. Très vite, le duo découvre que le père de Nat est mort dans des circonstances suspectes. Et pour cause : il a été victime du gang de Fouchon (Lance Henriksen), qui vend ses services à de riches c%#nards pour une chasse à courre où l’homme devient la proie. Chance et Nat devenant gênants, Fouchon et son bras droit Van Cleaf (Arnold Vosloo) vont chercher à les éliminer. Il s’avère que Boudreaux a plus de répondant que le gibier qu’ils chassaient jusqu’à présent…
On n’arrête plus ESC, visiblement motivé pour nous offrir le best-of de JCVD dans des écrins en forme de VHS. Après les excellentes éditions de Double Impact et Cyborg, c’est Chasse à l’Homme de John Woo qui a droit à un traitement de faveur. Cette édition mérite des éloges, tout comme le film, une fois qu’on le redécouvre presque trente ans après.
Qui est Woo ?
En 1993, Van Damme grimpe encore au box-office. Il est vraiment une « star » du business, et ce qu’il veut dirige ses choix de carrière. Son souhait, c’est de tourner avec John Woo, réalisateur hongkongais qui impressionne tout le monde depuis quelques années avec Syndicat du crime et The Killer, et surtout avec À toute épreuve, sorti en 1992.
Malgré Piège de Cristal et Terminator 2, le cinéma d’action ricain tourne formellement en rond depuis un moment. Du côté de Hong Kong, par contre, c’est l’expérimentation et l’éclate à foison, en particulier dans le giron du fameux Woo. Son dernier film est à la fois totalement référentiel aux films US suscités, mais également porteur de toute la cinéphilie, de la sensibilité et de la sentimentalité du monsieur.
En fait, À toute épreuve est sa carte de visite pour l’Occident. L’année 1997 approche, et avec elle, la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Pas mal de cinéastes locaux s’inquiètent de leur future carrière, et l’exode vers Hollywood est une option sérieuse, à laquelle répondra Woo (mais aussi Tsui Hark et Ringo Lam par la suite). De toute façon, le cinéma occidental était fasciné par les œuvres hongkongaises depuis les années 80. Importer directement les artistes devait fatalement arriver.
La « musique » de Woo
Importer John Woo, c’est faire venir son style, son langage cinématographique. Et il est très différent des habitudes hollywoodiennes.
John McTiernan, réalisateur de Piège de Cristal, comparait la réalisation d’un long métrage à la composition d’une musique symphonique. Dans un des bonus de cette édition, Christophe Gans, réalisateur du Pacte des Loups et de Silent Hill, dit de John Woo que sa « musicalité » s’apparente à un bœuf improvisé par un jazzman. En fait d’une simple succession de notes, que sont les procédés, les plans et les idées, Woo crée de l’effet, des sensations, en les empilant les uns sur les autres.
Grâce au montage, un même moment se joue, se traduit et se vit sous plusieurs perspectives et de plusieurs manières quasi simultanément. C’est important pour comprendre en quoi Chasse à l’Homme (Hard Target, en VO) a été un gros pari, et un peu une gageure pour ses principaux intervenants. John Woo avait tout pour bousculer les conventions de mise en scène d’un film d’action US. Mais, perçu comme un « newbie » par ses producteurs et sa star, il n’allait pas avoir les coudées franches pour y parvenir. Pas du premier coup.
Conflit d’opinions
On se doute que les producteurs avaient leurs idées bien à eux, et qu’ils ont été aussi frileux que de coutume. Il ne faut pas non plus oublier les règles absurdes de la censure américaine. Elles imposaient au réalisateur un quota de morts par scènes, et des coupes pour ne pas voir à la fois le flingueur et le flingué dans un même plan ! Sans parler d’une scène d’amourette cousue de fil blanc, imposée puis retirée suite à des projos test peu enthousiastes.
Les producteurs vont même chercher Sam Raimi pour lui offrir un poste de producteur exécutif. L’intention inavouée : si Woo devient ingérable ou s’avère incapable de bosser à cause de son anglais, le réalisateur d’Evil Dead le remplacera au pied levé. Dans un docu d’époque présent sur l’édition, il est étonnant, et réconfortant, d’entendre Sam Raimi jeune partager sa crainte sincère que le hongkongais se fasse bouffer par Hollywood. Cette crainte sera momentanément concrétisée avec son film suivant, Broken Arrow, mais surtout avec Mission Impossible 2, autre projet de commande d’une star mégalo.
John vend Van Damme
Jean-Claude, perspicace, mais un peu trop quand même, insiste pour que ce soit « un film de Van Damme » . Après tout, on paie pour le voir avant tout. Il semble qu’il imaginait une relation maître-servant avec son réalisateur, engagé pour magnifier sa personne, et non pour exprimer son génie. En conséquence, Woo ne peut pas présenter ses personnages comme il le voudrait. Il doit aussi faire le plein de plans sur les biscotos et la belle gueule de sa vedette.
Finalement, vingt minutes de film sauteront, retirant des moments entre personnages, mais aussi un attardement sur plusieurs scènes violentes. On perd surtout un élan de noblesse lors de l’assassinat de Roper, une dragouille un peu longue et inutile entre Chance et Nat, et une mort plus cash pour le maléfique Fouchon. Mais Woo est flexible, et obéir n’impacte pas tant que cela le produit final.
Le plus dommageable, ce sont quatre minutes de plans disparaissant encore pour la sortie cinéma. On perd encore un peu de sang, mais aussi beaucoup du « langage visuel » du réalisateur (comme des répétitions et des effets de ralenti ou d’arrêt sur image). Il faut attendre l’avènement du Laserdisc pour que la version uncut ressurgisse et fasse enfin la différence. C’est évidemment cette version que l’on trouve dans l’édition ESC (pour info, ces quatre minutes n’ont jamais été doublées en français).
Mais alors, John Woo est-il passé à la moulinette ? N’est-ce qu’un véhicule de plus pour JCVD, sympa mais sans plus ?
Qui va à la chasse à l’homme…
Un réalisateur hors norme, un projet inspiré des Chasses du Comte Zaroff (pas vraiment un concept fréquent), et une star à l’ego maousse ? Ça fait des étincelles. Chasse à l’Homme ne ressemble pas complètement à un film de John Woo, mais ce n’est pas du tout un film d’action lambda.
Déjà, les héros de Woo sont romantiques et chevaleresques. Pas courant dans un actioner américain. Le héros vandammien, certes pas dénué de noblesse, est surtout un prolo partant du bas pour gagner sa renommée. Les premiers surmontent l’adversité au nom d’une moralité propre (même les vilains). Le second est un battant à l’objectif immuable, prêt à faire une tête au carré à l’adversité pour l’atteindre. Deux conceptions a priori dures à marier.
Surprise ! Chasse à l’Homme n’est pas le rejeton difforme d’un mariage raté. C’est un film hybride entre « la méthode Van Damme » et « la réal John Woo ». Il joue les funambules, chancèle parfois, mais ne se casse jamais la figure.
Puisque l’Orient rencontre l’Occident, Woo mélange fort à propos genres et intentions. Van Damme devient Chance, un héros à l’allure digne, sauveur des demoiselles en détresse, mais son traitement évolue. Cela commence en hommage évident au western : façades héritées du vieil Ouest, bagarres de bar, gros plans sur les yeux, musique typique… Pourtant, Chance reste Van Damme, et il dégaine la jambe comme Clint Eastwood sort son six-coups.
C’est à mi film que tout bascule, quand Boudreaux reprend le flambeau de la police quasi naturellement (dans une chorégraphie élégante, digne du réal). Il se met alors à pétarader comme Chow Yun-Fat dans À toute épreuve. On entre complètement dans un film de John Woo tel que le voulait Van Damme… et il est servi !
… Affronte le surhomme
Contrairement à son compatriote Tsui Hark plus tard (avec Van Damme, d’ailleurs), John Woo n’expérimente pas avec Chasse à l’Homme. On lui demande de faire son truc, alors il s’adapte, il s’amuse, et ça se voit. On a beau justifier que Boudreaux est un ancien marine (et cajun, pour expliquer son accent), il a dû sortir de l’école militaire avec une spécialité « acrobate ».
Comme Cliffhanger la même année, Hard Target ne propose pas de héros crédible façon Piège de Cristal. Chance est un surhomme et ça ne s’explique pas. Van Damme fait l’équilibriste à moto, charme un serpent d’un coup de poing, effectue un triple salto sans trampoline, tient son flingue à l’envers, et il finit des ennemis déjà truffés de plomb avec son split kick légendaire.
Fort judicieusement, le dernier acte du film se déroule dans un cimetière d’accessoires pour Mardi Gras. Là, les situations inventives le disputent à un grotesque de fête foraine. Il faut dire que Jean-Claude donne le départ juché sur un pélican en papier mâché, en cartonnant de son pompeux rutilant la douzaine de salopards en dessous. Le décor aide sans peine à faire passer le message : bienvenue à la fête, camarade !
Frais, fou et fun
Difficile de dire si ces pitreries étaient une autre exigence de la star, après les plans sur ses biceps huilés. Heureusement, on rit avec le film plutôt que de s’en moquer. Par rapport à la mutation amorcée avec Die Hard quant au concept du film d’action hollywoodien, où l’unité de lieu est censée faire la différence (cf. Passager 57, Piège en haute mer, Cliffhanger, etc.), Hard Target propose autre chose, tant dans le fond que dans la forme. On obtient un film frais, fou et fun par rapport au tout-venant de l’époque.
La mise en scène de Woo se marie bien avec l’approche « multi-angles » qu’affectionne Van Damme pour ses chorégraphies, et l’action « à la hongkongaise » a gardé une sacrée patate. Si les flingues font « bang », les kicks font « BOUM ». Le style du réalisateur et les bruitages puissants confèrent aux pieds de JC une pèche démentielle, qu’on aura du mal à retrouver dans les futurs canons du genre comme Matrix, par exemple (lequel, ironiquement, emprunte aux chorégraphies câblées de Hong Kong).
Enfin, meilleur est le méchant, plus fun est le film. Ici, on en a deux. Lance Henriksen et Arnold Vosloo sont géniaux. Le premier perd peu à peu son sang-froid pour verser dans un cabotinage subtil, toujours à deux doigts de l’exagération, mais jamais ridicule. Quant au second, son sourire grimaçant, son accent élégant et sa grande taille marquent les esprits, bien avant qu’il ne devienne la momie dans le film éponyme de 1999.
Bref. Quasiment trente ans après, Chasse à l’Homme est à redécouvrir pour tous les amateurs d’action, les nostalgiques des années 90, les fous de Van Damme et les fans de John Woo.
Le point sur l’édition
Comme dans les précédents boîtiers VHS, on retrouve à l’intérieur un poster double face, ainsi qu’une dizaine de photos promo. Au même titre qu’avec Double Impact, un mini magazine K.O. Mag accompagne la bête, avec interviews, notes de production et le point sur la chasse à l’homme au cinéma. Très, très instructif. Le film est en deux exemplaires, le DVD et le Blu-ray, chacun avec des bonus spécifiques.
Le DVD contient les bandes annonces ainsi que la première partie d’une rétrospective consacrée à la filmo de Van Damme, par l’enthousiaste Arthur Cauras. Court mais sympa. Sur le Blu-ray, on a une présentation du sous-genre de la chasse à l’homme par Arthur Cauras (encore), complétant les informations du livret. Christophe Gans prend la parole pendant trente minutes pour nous parler de John Woo et du film, là aussi avec beaucoup d’infos et d’analyses pertinentes.
Les plus attentifs découvriront un sous-menu permettant d’accéder à des docus promo d’époque. Ils ont encore des choses à nous apprendre ! Dommage que leur qualité aille de « bof » à irregardable (la featurette de 1993). Je tairai le plus gros point fort des bonus, dans la continuité de ce que proposait l’excellente édition de Cyborg. Mais c’est une vraie pépite pour les fans de John Woo et les cinéphiles en général.
Encore une box de qualité pour un Van Damme qui le méritait. Attendons de voir ce que les futures sorties de l’éditeur nous réservent, mais ils ont la formule et la motivation. Ça ne présage que du bon.
Chasse à l’Homme sera disponible le 3 février 2021 chez ESC éditions, en boîtier collector VHS, en combo Blu-ray + DVD ou DVD simple.