Cyborg

Le futur. Le monde va mal. Depuis qu’une peste a éradiqué une bonne partie de la population (coucou, Covid), c’est Ken le Survivant, là-dehors. Les faibles et les innocents se font massacrer par des bandes de pirates cannibales. La plus crainte est la horde de Fender (Vincent Klyn), un ogre portant des Ray-Ban tellement sales qu’on n’en voit pas le regard bleu perçant. Pearl Prophet (Dayle Haddon), une femme cyborg, détient le secret d’un remède. Mais Fender met la main dessus et lui ordonne lui propose de l’accompagner à Atlanta, sa destination, en échange dudit remède (« pour devenir un dieeuuuu ! »). Mais Gibson (Jean-Claude Van Damme) va croiser leur chemin, et il a un compte personnel à régler avec Fender…

Cyborg fait partie de la première vague de productions mettant en scène Jean-Claude Van Damme au tout début de sa carrière. Sorti entre Bloodsport et Kickboxer, il est probablement l’incarnation la plus parfaite du mot bis, à tous les niveaux. Répétition dans la production (recyclage de matériel et décors, remontage par deux fois), répétition de figures et poncifs d’un certain cinéma de genre (ou cinéma… bis), jusqu’à la répétition de plans pour magnifier les mouvements de sa star. Enfin, aujourd’hui, bis repetita avec la sortie du film en édition collector chez ESC. Mais Cyborg, c’est quoi, vraiment ? Et surtout, est-ce que ça vaut vraiment le coup ?

L’essence du mot « bis »

Cyborg d’Albert Pyun a une réputation de nanar, de film tellement mauvais qu’il en devient bon, car drôle. Mais les choses sont plus subtiles que cela. Il s’avère que le métrage est décent, mais il a contribué à la popularisation de l’idée qu’on se fait d’un nanar aujourd’hui. Il est un peu comme tous les bis italiens post-Mad Max sortis dans les années 80, sauf que lui, on s’en souvient beaucoup, beaucoup plus.

C’est normal, quand on fait le compte. Une énième production au rabais de la Cannon (tous les Chuck Norris d’alors, Superman 4, etc.), un des premiers rôles de JCVD, une parenté plus si fraîche avec le post-apo à la Max Max… Et en coulisse, le film a été produit pour justifier l’argent déjà investi dans la pré-prod de deux films Cannon, annulés au dernier moment : The Amazing Spider-Man et Les Maîtres de l’Univers 2.

Albert Pyun, qui devait réaliser la suite des frasques de Musclor, a ainsi écrit un script permettant de réemployer les décors et costumes déjà disponibles. Ce serait Cyborg, qui en plus, via le personnage de Pearl, surferait un peu sur la vague du Terminator de James Cameron. Ironiquement, Chuck Norris devait incarner le mercenaire Gibson, mais on lui préféra Jean-Claude Van Damme. Il était plus jeune, gracile et félin, et donc plus crédible pour incarner cette espèce de ronin dans un avenir impardonnable.

Cyborg étant né des restes fumants de films mort-nés, mettant en scène une future star de vidéo-clubs, et sentant à plein nez l’exploitation au rabais de concepts vendeurs (merci, la Cannon), on a l’impression que le mot « bis » a été inventé pour lui.

Cyborg : un film sauvé du naufrage ?

L’histoire ne s’arrête pas là. Initialement, Pyun avait des ambitions artistiques qui ne collaient pas avec une exploitation commerciale. Son premier montage était un opéra rock-métal muet en noir et blanc, qui a complètement paniqué les producteurs ! Ils lui ont donc commandé un deuxième cut, plus conventionnel (Slinger, dont on parle plus bas). Hélas, les retours des projos tests furent alarmants. Pyun fut remercié et JCVD proposa de faire un remontage avec son pote réal Sheldon Lettich. Ainsi naquit la version de Cyborg que l’on connaît aujourd’hui.

Avec un peu de mauvaise foi, n’importe qui peut se moquer de Cyborg et avoir raison. Cela peut être pour son aspect très téléfilm et sa BO assez spéciale. Ou parce qu’il met en scène des gueules dignes d’un gang d’ex-taulards. Ou aussi parce qu’il nous introduit à l’acting à la Van Damme. Sans parler d’une progression chamboulée par le remontage, etc. Pourtant, pourtant, il y a de belles choses dans ce long métrage. Sa ressortie chez ESC permet de les (re)découvrir dans les meilleures conditions.

Déjà, il y a l’action, la baston, la castagne, les torgnoles, les gnons, les baffes, les tartes, etc. Cyborg appartient à une époque révolue, où voir l’action plutôt que la ressentir était la préoccupation première. Pyun filme donc les kicks de sa star dans de grands élans gracieux et au ralenti, permettant de les admirer dans toute leur beauté martiale. Van Damme aimant sans doute se revoir, il répète parfois trois ou quatre fois le mouvement sous d’autres angles, parce qu’on ne sait jamais.

Remonter et remontrer

Ensuite, Jean-Claude fait preuve d’une certaine retenue, d’une subtilité qui disparaîtra rapidement dans la suite de sa carrière. Le personnage de Gibson apparaît tour à tour froid, sensible, touchant, haineux, etc. Il suscite beaucoup moins les moqueries qu’on ne s’y attend. Et il a besoin de notre sympathie face au diabolique Fender. Cet antagoniste a beau n’avoir aucun développement, il n’en a pas besoin. Il est introduit comme étant le Mal incarné dès les premières minutes. Sa carrure, sa voix et ses yeux d’un bleu surréaliste captent l’attention à chaque fois, sans parler de sa cruauté. Si on se souvient de Cyborg, c’est en partie grâce à ce méchant glaçant (dont la voix a été trafiquée en VF, pour lui donner un côté synthétique encore plus dérangeant).

Fantasy II, la boîte d’effets spéciaux ayant bossé sur Terminator, se charge des quelques matte painting et plans en stop motion sur Cyborg. Pour un petit budget (comme Terminator), beaucoup impressionnent encore aujourd’hui, notamment les visuels sur la cyborg Pearl une fois sa perruque enlevée.

La sensibilité d’Albert Pyun est également palpable. On peut peut-être faire pareil avec un I-phone et After Effects de nos jours. Mais cela n’enlève rien à ce que dégage Cyborg. Beaucoup de choses font cliché aujourd’hui, mais ça sent quand même l’hommage et la cinéphilie à pleines narines, notamment au western et à Sergio Leone (cf. les plans sur Fender et ses yeux bleus). Et le montage décuple l’impact de certains passages, en particulier celui de la crucifixion. Imaginez croiser l’arbre du malheur dans Conan le Barbare avec le flashback traumatisant de Il était une fois dans l’Ouest. Pour cette scène seule, chargée de douleur et de rage, beaucoup se rappellent de Cyborg. Et même sans nostalgie, beaucoup devraient s’en souvenir en découvrant le film aujourd’hui.

Slinger : ce qu’on ne nous avait pas montré

On a dit qu’il existait une autre version : le montage précédent du réalisateur. Attention les yeux, il est disponible en bonus dans l’édition ESC. Slinger (qui désigne la profession du héros, en anglais) est un remontage par Albert Pyun lui-même dans les années 2010, à partir du film original et de rushs en VHS. On s’en doute, le cinéphile n’y goûtera pas en HD. Mais Slinger demeure tout à fait regardable. Il offre un nouveau et fascinant regard sur ce qu’aurait pu donner le film, même si cette vision n’est pas exempte de « défauts », ni de manques par rapport à la version ciné.

Déjà, le début est complètement différent. On a droit à des crédits sur fond noir où le personnage de Gibson partage ses pensées avec nous. Rapidement, on se rend compte qu’il n’a jamais été question d’une peste, mais de la fin de la technologie. Pearl est ainsi devenue une cyborg pour parcourir le pays, étudier et télécharger tout ce qu’elle peut au sujet des restes qu’elle trouve, et ramener ces infos à bon port pour, peut-être, sortir le monde de l’âge des ténèbres.

Que Pearl devienne elle-même la technologie a ainsi plus de sens, et est plus chargé de symbolisme, que de « simplement » faire un aller-retour pour ramener des données (les CD existaient, à l’époque).

Des plus et des moins

Le plus fascinant est le traitement des personnages, complètement chamboulé. Il n’y a que les origines de Gibson et Haley qui ne changent pas. Naddy n’est plus une survivante du village de pêcheurs massacré par les pirates, mais la compagne du garde du corps de Pearl, tué en début de film. Quant à Fender, une sorte de mystique flotte désormais autour de lui. Il est à la tête d’un culte sataniste priant le Diable et glorifiant l’anarchie, ce qu’il aime rappeler via de nombreux discours rajoutés en voix off. Et cette fois, il ne veut plus de remède à la peste, mais des armes et le pouvoir. D’ailleurs, la cyborg cache maintenant un double-jeu menant à une fin ouverte, complètement à côté de ses pompes.

Les changements, même mineurs, se comptent par centaines. Certaines scènes ne se déroulent même carrément plus dans le même ordre. On se rend compte des choix de Van Damme et Lettich au nom de l’efficacité et du rythme, plutôt que de l’ambiance. Enfin, la bande originale a été complètement remplacée. Elle n’a rien à voir avec la précédente (le compositeur non plus), et l’atmosphère générale change du tout au tout. Ce n’est presque plus le même film, à l’instar de la director’s cut de Superman II et la Renegade version de Highlander II. On en regretterait que Slinger n’ait pas joui d’un remaster comme il se doit.

Dommage qu’en matière de spectacle, Slinger freine sec. Beaucoup des plaisirs coupables de la version ciné ont sauté (répétitions de coups dans les chorégraphies, gros plans sanglants, « résurrection finale » de Fender, etc.). Mais il souffre aussi de grosses coupes ou remontages pénalisants. Les flashbacks liés à Gibson sont plus vite expédiés, et ils manquent lors de la crucifixion, ôtant tout impact à cette scène. Et le pillage du village par la bande de Fender a disparu, enlevant une part de cruauté au personnage et la preuve évidente de leur cannibalisme.

Pour tout ce qu’il ajoute, mais aussi ce qu’il perd, le visionnage de Slinger est fascinant. Dommage qu’il ne soit pas parfait. On ne peut que rêver à deux choses, maintenant : un méga fan cut combinant les deux versions, ou un sursaut d’Albert Pyun pour sortir sa version rock-métal en noir et blanc. Oh, et puis après tout, à ce stade, que ce soit lui ou un fan…

L’édition collector de la mort

Dans ses deux versions, Cyborg mérite vraiment le coup d’œil. Même si ce n’est pas du Kubrick, on comprend qu’au fil des ans, il se soit constitué un culte sincère qui dépasse les moqueries dignes des Inconnus. Histoire de convaincre, ESC a proposé une édition collector qui tue, avec un format VHS impeccable au visuel vintage, par l’illustrateur Melki. On s’y croirait. Dommage si elle vous tentait, car elle a été épuisée dès les précommandes.

Cette édition n’est pas avare en goodies, puisqu’elle donne droit à un mini poster double face (une pour le poster d’époque, l’autre pour celui de Melki), une dizaine de photos argentiques, et une reproduction miniature d’un comics d’époque. Enfin, on trouve également un magnet grand comme l’avant-bras, même si j’ai pas vraiment compris pourquoi.

Rayon bonus du bluray, outre Slinger, on trouve trois documentaires. L’un pour la genèse du projet, un autre pour les effets spéciaux. Le dernier est un entretien rétrospectif sur Albert Pyun par le réalisateur Arthur Cauras. On a aussi doit à une entrevue très instructive avec Melki, pour comprendre le bonhomme, son travail et son parcours. Enfin, un court-métrage intitulé Point Zero a été ajouté, hommage français aux films du genre.

En revanche, comme toujours avec les éditions ESC que je possède jusqu’à présent, je ne vois trace nulle part d’une section « chapitrage » dans le menu principal. Ça m’amène à me demander, authentiquement, si c’est si difficile à concevoir… Enfin, le DVD propose une présentation (trop ?) enthousiaste du film par Nicolas Bressier, ainsi que la bande-annonce originale de Cyborg.

Bref, une belle édition dotée d’une très belle image, d’un contenu solide et d’une présentation impeccable. Cyborg méritait-il tout ça ? Bonne question. En tout cas, ce sera difficile de faire mieux.

Cyborg sera disponible le 2 décembre 2020 chez ESC éditions, en combo Bluray + DVD ou DVD simple.

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