Phénomène marketing oblige, pour fêter la sortie de Suicide Squad, le bluray/dvd de Batman v Superman est sorti en version « ultime » mardi dernier dans les bacs. Doté de trente minutes supplémentaires, le métrage a été réhabilité par beaucoup de monde (y compris des détracteurs) car ces instants volés au montage salle comblaient soi-disant des lacunes monstrueuses dans le récit. Celui qui s’annonçait lui-même comme le Citizen Kane des films de super-héros avait été en mars dernier une horrible déception critique, malgré quelques intentions et idées louables. Hélas, même avec un total runtime de 3h aujourd’hui, on doute que ces dernières aient jamais ne serait-ce qu’existé sur le papier.
Ce qui va mieux dans Batman v Superman
Ce qui semblait rushé voire bâclé au cinéma est enfin développé, en particulier l’incident en Afrique, dont on fait tout un foin au point que le Congrès convoque Superman. Ceci grâce à une intro plus détaillée, un approfondissement de l’enquête de Loïs Lane et l’intrigue parallèle tournant autour d’un faux témoin. De même, Clark/Supes en mission à Gotham bénéficie d’une poignée de scènes ridiculement courtes mais bienvenues où il découvre l’existence et les méthodes de Batman. Il a aussi droit à de petits détails de ci de là mettant davantage en avant ses doutes sur lui-même et son empathie, ce qui n’est pas si mal.
Ce qui ne marche pas
Eh bien tout ce qui ne marchait déjà pas à l’origine ! Ce qui était vraiment bâclé reste bâclé (le plan de Lex Luthor, toujours aucune mise en place de l’univers de Batman) et ce qui était franchement con RESTE CON, ou du moins très mal exploité (l’enquête sur le Portugais Blanc, « Martha ! »). Pire, ce dont on ignorait l’exacte teneur auparavant s’avère être tout aussi stupide aujourd’hui, cf. le fameux coup monté en Afrique. On comprend enfin pourquoi on accuse Superman d’avoir tué des dizaines de personnes, mais pas pourquoi une enquête à peine poussée n’aurait pas pu prouver le contraire, vu les méthodes employées.
A l’instar de Jimmy Olsen, le film prend enfin le temps de se présenter, grâce à une partie en Afrique un peu plus développée.
La pilule passe un tout petit peu mieux
Reconnaissons que ce nouveau visionnage n’a pas été déplaisant. Malgré une durée rallongée, ces cent quatre-vingt minutes sont peut-être passées plus facilement que les 2h30 d’origine. Une certaine ambition autre que le grand spectacle ressort au grand jour, façon thriller politique, mais une fois le générique de fin arrivé, on a encore l’impression qu’il en manque.
D’une part, l’on constate l’absence de certaines scènes (de l’aveu de Snyder), comme celle où Superman tente de localiser à l’oreille sa mère kidnappée, mais se noie dans les milliers de bruits émanant de la ville. Certes, de la part d’un type qui peut entendre sa belle crier depuis l’Ancien Continent, ça semble bizarre, néanmoins cet instant jugé trop noir par son propre réalisateur aurait trouvé davantage sa place dans ce cut prétendu « ultimate ».
Si tu sais pas, c’est ta faute
D’autre part, si d’autres mystères sont élucidés, leur réponse amène à questionner non plus la cohérence de l’intrigue mais celle de la gestion du DCEU lui-même. On se réfère ici à la raison enfin dévoilée pour laquelle Superman n’a pu voir la bombe dissimulée au Capitole : un siège gainé de plomb. Lorsque Loïs l’apprend, elle comprend l’entourloupe et dit : « il ne pouvait pas la voir ».
C’est bien. Loïs sait que son boyfriend ne voit pas à travers le plomb. Soixante-dix ans de comics, films et séries font que le spectateur le sait lui aussi. Mais à aucun moment dans Man of Steel ni cette version longue est-il fait mention de ce handicap de l’Homme d’Acier. Vu le nombre affolant de scénettes ou répliques qui auraient pu être ajoutées pour justifier tel ou tel truc, on se dit que si la version longue avait pu durer une demi-heure de plus, cela n’aurait pas fait de mal, bien au contraire (d’autant que dès la sortie du film en salles, la rumeur voulait que le montage d’origine faisait quatre heures au total !).
Batman v Superman reste un beau bordel
Ce remontage n’a donc rien d’ultime : chaque nouvel ajout ne fait que proposer des embryons de réponses, le film ignore carrément des scènes qu’il peut avoir en réserve ou conserve toujours sous silence des problèmes épineux de cohérence interne, révélant de manière encore plus frappante la très mauvaise gestion du DC Extended Universe.
Finalement, les “anti” comme les “pour” ont toujours constamment ignoré le vrai problème du métrage. A trop se focaliser sur sa noirceur, son absence d’humour, son esthétique abusive, un casting en dents de scie ou sa volonté de s’ancrer visuellement dans un certain réalisme, ils oublient que Batman v Superman, à moins d’un « Super Mega Absolute Cut » de 4h capable de le contredire, est un film SUPER MAL PENSE et SUPER MAL ECRIT.
Car ses défauts, même après 30mn de rab, sont toujours les mêmes : il fonce sans prendre le temps de construire de solides bases. Véhicule marketing destiné à vendre l’avenir du DCEU (la Justice League), il présume à l’instar de cette histoire de plomb que nous, spectateurs, connaissons déjà les bases de la mythologie du chevalier noir et du dernier fils de Krypton. Une ambition de pur fan service contradictoire avec le succès espéré et manqué d’un milliard de dollars au box office.
C’est Batman qui trinque
Pour ratisser large, Batman v Superman aurait vraiment dû s’adresser au grand public, et non juste aux « connoisseurs ». Au moins, Marvel avait pris le temps de constituer son public au fil des ans, et ça lui avait réussi. Mais la version longue de BvS ne rend pas meilleur ce renouveau de Batman à l’écran.
La nouvelle Gotham City est toujours aussi anecdotique, et nous devons encore accepter l’existence de ce justicier vieux et vénère (une approche inédite jusqu’alors) sans en faire jamais vraiment la connaissance, sans savoir qui sont ces gens qui l’entourent ni comment il a pu finir par tuer et marquer au fer rouge à tout va. Si la trilogie Dark Knight pouvait nous faire avaler les pires couleuvres grâce à un talent certain pour la narration et les dialogues, un usage savant du rythme et de l’ellipse, n’est pas Christopher Nolan qui veut. Certainement pas Zack Snyder.