C’est aujourd’hui la veille de la Toussaint ! Et pour fêter Halloween comme tout bon français qui se respecte (?), j’espère que vous avez de quoi vous faire des frayeurs ce soir. Le mois d’octobre n’est jamais avare en bonnes surprises en matière de jeux vidéo qui font peur. Après une année 2014 marquée par le très stressant Alien Isolation mais également le très fonctionnel et creux The Evil Within, Halloween version 2015 nous offre son lot de frissons numériques grâce aux promotions en ligne en tout genre (j’ai dévalisé le Playstation Store) et à l’excellent Soma, mais surtout au très jouissif Until Dawn. Si vous n’y avez pas encore tâté, si vous n’avez jamais été rebuté par le genre a priori très dirigiste représenté par les productions Quantic Dream (Farenheit, Heavy Rain, Beyond : Two Souls), et si vous kiffez le cinéma d’horreur bien américain et bien foutu, alors faites la ola ! aux petits gars de Supermassive Games qui ont accompli un boulot auquel même moi je ne m’attendais pas.
“It’s not a job, it’s an ADVENTURE !”
Dans la liste des jeux vidéos d’inspiration cinématographique, on peut citer deux catégories : d’une part les “jeux cinématographiques” qui restent littéralement des JV de genre bien typé (plateforme, shoot, TPS…) entrecoupés ou jalonnés d’éléments narratifs (les sagas Metal Gear Solid et Uncharted sont des bulldozers de cette catégorie) et les “films interactifs”, des aventures préconçues ne nécessitant du joueur que d’appuyer sur tel ou tel bouton (les fameux et souvent critiqués Quick Time Events, QTE) pour vaguement ou radicalement influencer le déroulement de l’histoire. Dans ce cas, on parle quand même aujourd’hui de productions autrement plus classes et intéressantes que les jeux d’aventure point n’ click en Full Motion Vidéo (ou FMV) des années 90, qui ont gagné leur renommée sur PC et surtout Sega Mega-CD avec le naze mais cultissime Night Trap. *
Le problème de cette deuxième catégorie, si elle nous a récemment offert son lot de blockbusters réjouissants et ambitieux (en particulier avec Beyond et Heavy Rain) c’est peut-être justement sa trop grosse ambition de grand spectacle doublée de la difficulté à proposer une histoire aux embranchements “vraiment” multiples (quoique sur ce point, Heavy Rain réservait davantage d’importance aux choix du joueur que Beyond). Arrive alors Supermassive Games avec son très alléchant Until Dawn, aux ambitions de film de série B et dont la principale attraction consiste en la prise en compte du désormais populaire effet papillon : faire un truc ou pas entraîne l’arrivée d’un autre truc… ou pas. Et ça, ça change presque tout.
“Emily, Mike, Matt, Sam, Ash… Que les absents lèvent la main, s’il vous plaît !”
L’effet papillon
Bien qu’on ait affaire ici à un soft dont le développement avait débuté initialement sur PS3, l’aventure n’a techniquement pas à rougir de la comparaison avec d’autres sorties du moment. On lui pardonnera d’autant plus les aspects pouvant attirer l’œil attentif (comme la formation des empreintes dans la neige) grâce à son ambition volontaire de payer son tribut aux budgets modestes du cinéma d’horreur. L’effet papillon était sans doute déjà à l’œuvre dès les prémices du projet : le choix thématique (une série B horrifique) entraîne un choix narratif (le focus sur les personnages) lequel entraîne l’importance des relations entre les protagonistes, relations qui conduiront au moteur du gameplay : le fameux butterfly effect.
Until Dawn nous invite donc avant tout à faire la connaissance de Josh, Chris, Mike, Ashley, Jess, Sam, Matt et la gavante Emily tandis qu’ils sont tous conviés à se retrouver dans le chalet perdu dans les montagnes du premier cité. Un an plus tôt disparaissaient tragiquement dans la région les deux sœurs du proprio après une sale blague de ses copains. Désireux de passer à autre chose, Josh espère que cette réunion va les ressouder et leur faire oublier le passé. Sauf que le passé ne dort jamais et que lorsqu’on a fait quelque chose dont il n’y a pas de quoi être fier, au cinéma, ça ne pardonne pas ! Rapidement donc, la petite bande va vite comprendre qu’un danger rôde dans les environs, et que des forces mystérieuses menacent de leur faire la peau un par un. Au joueur de faire ou non les bons choix au détour d’un dialogue ou d’une action, et de réussir ses QTE s’il ne veut pas que le personnage qu’il incarne se mange une beigne, tape un plongeon fatal ou fasse une mauvaise rencontre, de laquelle hélas aucune manipulation ne le sauvera cette fois. Et après deux chapitres (sur dix) d’exposition, autant vous dire que vous aurez appris à les aimer ou pas, ces petits cons.
“Oups ! C’est gênant…”
Script doctor
Alors oui, il ne faut pas rêver : Until Dawn est scripté. Beaucoup. Enormément. Mais c’est justement ce titanesque travail d’écriture et ces scènes et dialogues fournies qui lui procurent une replay value élevée et un plaisir certain. Qu’il s’agisse de simplement arrondir les angles dans ses rapports avec ses copains ou carrément les faire crever (involontairement ou pas), une bonne demi-douzaine de parties promet déjà autant de “films” différents à condition d’avoir un certain cran : et si cette fois, un tel se comportait en connard intégral ? Doit-on laisser Machin en arrière ? Vais-je prendre le risque de m’éloigner pour enquêter seul dans un moment critique ? Faut-il se cacher ou courir ? Ces questions, il y en aura plein, et des conséquences importantes ou non également.
Si le spectateur occasionnel des films de genre slasher/horreur ne soupçonnera pas certaines ficelles, le cinéphile érudit et connaissant la musique devinera les plus gros rebondissements de l’histoire. Pourtant, même si c’est le cas, il sera doublement récompensé. Tout d’abord, le travail archi-sérieux des auteurs impose le respect. Toutes les références les plus cultes du cinéma d’horreur américain y sont conviées dans une intrigue en apparence très fourre-tout mais dont les fils se dénouent petit à petit pour trouver une respectable cohérence.
Je préfère passer sous silence certaines influences pour le plaisir, mais les scénaristes connaissent leurs gammes et ils ont su en jouer. Cela a tendance à flatter le cinéphile qui se félicitera d’en connaître long, mais tout en félicitant les créateurs avec qui il partage un état d’esprit complice puisqu’il est également joueur (et non critique, s’il n’avait été que spectateur). Il faut dire que la longueur d’une partie est aussi un sacré avantage, car caser autant d’éléments en une histoire d’à peine 90mn aurait donné un résultat foutraque et pour le coup absolument indéfendable.
You’re the boss !
Une fois le jeu fini, le constat s’impose : si Until Dawn avait été écrit pour être un B-movie, il aurait été bon. En tant que jeu, il devient exceptionnel. Devant un film, qui parmi nous ne s’est jamais emporté en critiquant les choix de personnages empotés avec qui il ne partage de toute façon aucune connexion ? Sauf que Until Dawn vous donne A VOUS le choix de prendre des risques ou des décisions stupides, et parfois pas pour le résultat espéré. Merci les scénaristes avertis et sadiques ! Cette fois-ci, c’est VOUS qui déterminez qui est le pigeon, le malchanceux, le connard, le mal-aimé ou le héros du groupe. Cette fois-ci, à cause de ou grâce à VOUS, tout le monde s’en sortira ou y laissera sa peau.
Mais le sentiment de liberté ne s’arrête pas à la simple notion de jouabilité. En plus de tirer sur des ficelles bien connues avec une vénérable intelligence et de vous donner le pouvoir sur le déroulement du drame, c’est également vous qui décidez du rythme du récit. A tout moment, l’espace d’un micro instant, vous n’êtes pas seulement l’acteur, mais bien en partie un peu réalisateur. Il vous incombe à vous de prolonger les moments de tension lorsqu’un bruit suspect demande à votre avatar de remonter lampe à la main un sombre corridor. La vitesse du travelling, suggérant constamment un point de vue ennemi, s’adapte bien sûr à celle que vous donnez à votre alter ego à la démarche troublante de réalisme (en particulier la gente féminine).
Mais si vous avez peur d’avancer, arrêtez-vous face caméra et profitez deux secondes plus tard d’un raccord en gros plan sur le visage crispé de Chris, Mike, Josh ou Ashley. Quelle impression désagréable de se regarder dans un miroir. Et quel choc si jamais la mort venait nous emporter alors qu’on était persuadé de s’être bien débrouillé (ou pas, si vous êtes un sale con sadique). L’identification est totale, le pied magistral et l’expérience inoubliable.
Bilan bileux
On n’est pas dupe : Until Dawn n’est pas non plus le Graal de l’interactivité qu’on pourrait croire (bien des rebondissements sont inévitables). Il est pourtant une véritable évolution du genre “film interactif” : sa liberté déjà impressionnante, sa qualité cinématographique (renforcée par des acteurs plus ou moins connus et convaincants) et le fun indiscutable qu’il procure fait rêver, sinon à des suites (cet opus n’en a nullement besoin), à d’autres productions et déclinaisons.
Et si c’était ça, l’avenir du cinéma ? En tous les cas, ce soir pour Halloween, c’est marathon Until Dawn ! Je vais me taper les dix chapitres d’affilée, faire en sorte que tout le monde se comporte en infâme salopard égoïste et me délecter des ravages que cela fera à l’intégralité du casting. L’horreur n’a pas de nom, mais si elle cherche à me joindre, elle connaît mon numéro…
LES + :
- Un script très très détaillé et des choix en pagaille.
- Un casting convaincant dont quelques têtes connues.
- Une rejouabilité forte.
- Quelle ambiance, quel gore et quel fun !
LES – :
- Fidèle au genre, les incohérences scénaristiques sont nombreuses.
- Certains rebondissements restent peu voire pas évitables.