Zack Snyder's Justice League

Superman est mort. Mais le dernier cri du Kryptonien sonne le départ pour une menace venue des étoiles. Steppenwolf (Ciaran Hind) fait son apparition et récupère l’une après l’autre les Boîtes Mères, artefacts alien capables d’anéantir la planète. Ni les Amazones, ni les Atlantes ne semblent capables de l’arrêter. Peut-être que si Bruce Wayne, alias Batman (Ben Affleck) rassemble les meilleurs guerriers de la Terre, l’invasion sera stoppée. Il part donc recruter Wonder Woman (Gal Gadot), Aquaman (Jason Momoa), Cyborg (Ray Fisher) et The Flash (Ezra Miller), en espérant que créer une Justice League suffira. La victoire serait certaine si Superman (Henri Cavill) était là. Mais à moins d’un twist scénaristique d’un miracle…

Après que la fan base ait chouiné pendant trois ans, Zack Snyder’s Justice League est une réalité. Film de super-héros ultime ou aberration ? Ça va encore diviser, mais le présent film est véritablement unique, et il s’inscrit d’emblée comme une œuvre de référence du genre. Sa durée inimaginable, son format (un blockbuster en 1:33 ?!), la patte de Snyder et son contenu orgiaque sont des raisons légitimes à cette affirmation. Mais en plus de cela, il faut reconnaître que Justice League réussit là où Batman v Superman échouait.

Zack Snyder's Justice League

Avertissement

On juge ici le film comme œuvre cinématographique. Concernant sa place sur le marché et la pratique dégueulasse de Warner, on ne va pas se priver pour gueuler ici et tout de suite. Ils ont été les premiers à commettre des erreurs à tous les niveaux, et à nous en faire payer les pots cassés :

  • Laisser Zack Snyder en roue libre sans possibilité d’encadrer son travail par la suite.
  • Financer à perte les reshoots de 80 % du film en les confiant à Joss Whedon, soit celui qui a brillé chez la concurrence (imaginez si on confiait Star Wars à J.J. Abrams après son reboot de Star Trek, haha… Oups).
  • Enfin, lâcher encore plus de fric pour sortir le film prévu à l’origine, en nous faisant re-payer derrière, et pas qu’une fois ! D’abord en streaming plein pot (et en VF, argh), puis en location à venir, et enfin en vidéo plus tard dans l’année.

Bref. Merci, Warner, pour ton hypocrisie, ton manque de stratégie et ton entêtement adorable à nous prendre pour des truffes. Quant à savoir pourquoi, moi, j’ai cédé à cette sirène malfaisante… Disons que j’ai la chance d’avoir un projo à la maison, que c’était probablement ma première occasion en un an de voir un nouveau, vrai et ambitieux blockbuster de cinéma, et pour quasiment le prix d’une place en salle. Mais je ne crois pas que tout le monde a 13,99 € à claquer là-dedans, ni que ça les vaut dans le contexte actuel, malgré tout le bien que j’ai pu tirer de l’expérience.

Maintenant, parlons du film.

Le cas Zack Snyder

Pour comprendre où on en est aujourd’hui, il faut parler du réalisateur, et évoquer son approche du DCEU. Après, promis, on parle de Justice League.

Une âme d’artiste

Quoi qu’on dise, Zack Snyder est bien un artiste au sens noble. Le souci, c’est que le Cinéma est un art du mouvement. Snyder n’est jamais aussi percutant que quand l’action ralentit, parfois à deux doigts de se figer. Or, quand le temps s’arrête presque comme dans une peinture, il ne reste de sens que dans l’image, et non dans le grand tout auquel elle appartient.

Le Cinéma reste un art du récit. Certes, il existe des procédés à la pelle, pour jouer sur la manipulation du temps, la vitesse du déroulement, la continuité dans la narration, etc. Mais Zack Snyder est meilleur faiseur d’images que conteur. 300, Watchmen, Sucker Punch, même Man of Steel sont graphiquement léchés avec un vrai sens artistique. Hélas, ils ne démontrent pas un vrai talent de conteur, ne véhiculent jamais d’émotion à travers le mouvement, l’action filmée, le cinéma à proprement parler.

C’est d’autant plus curieux, et frustrant, que Snyder ait été parrainé dans le DCEU par Christopher Nolan, son exact contraire. Un conteur hors pair, mais dont la mise en images constitue le talon d’Achille dans le domaine super-héroïque. Nolan est doué pour raconter, Snyder pour montrer. Le premier sait nous faire avaler n’importe quoi grâce à son découpage et sa mise en scène. Le second créée et surcharge des images à but d’en mettre plein la vue. Mais au lieu de combiner leurs talents respectifs, dès Man of Steel, Snyder s’est approprié le DCEU. Ce faisant, il avait perdu un peu de lui-même.

Une âme torturée

Man of Steel faisait un peu le grand écart. Un pied dans le désir de réalisme et la narration complexe de Nolan, l’autre dans l’exagération visuelle habituelle de Snyder, avec allusions bibliques, poses christiques et plans graphiques. Mais Nolan sait se montrer subtil dans ce qu’il met en scène et prudent dans ce qu’il écarte, cf. The Dark Knight Rises. Snyder est un pachyderme de la démonstration (malgré un sens du détail, de l’indice caché qui font parfois mouche). Bien des passages de Man of Steel, et par la suite Batman v Superman, semblent déconnectés du message ou du sens véhiculés par la trame. En entrant dans le DCEU, Snyder s’est heurté à deux choses qui créent légitimement le clivage parmi les spectateurs.

D’une part, son désir de fan boy à recréer des planches iconiques de ses bédés préférées. Cela faisait la force de 300 et Watchmen, mais Sucker Punch a confirmé ensuite la difficulté du réalisateur à avoir une vision originale et personnelle (Le Royaume de Ga’hoole est franchement un cas spécial, étant une adaptation de roman, mais pas graphique). Quand il adapte un comic book avec début, milieu et fin, il a déjà un storyboard pour son futur délire. Quand il écrit un scénario, ce dernier sert de prétexte à un gloubi-boulga de décors et motifs issus de la pop culture, avec une pointe de fétichisme histoire de faire b**der les geeks. Marrant, oui, visuellement riche, certes, mais cet enrobage apparaît complètement superficiel dans l’histoire qu’il veut soi-disant raconter. Ses délires ressemblent alors à des saynètes intercalées histoire de se changer les idées en plein film.

La logique est accessoire

En adaptant les riches et complexes mythologies de Batman et Superman sans œuvre précise, Snyder s’est perdu dans sa propre entreprise. Visuellement, il reproduit de-ci de-là avec brio des cases de ses bédés préférées (The Dark Knight Returns en tête). Mais la majeure partie de BvS est tout de même peu inspirée, ressemblant beaucoup à ce que produirait un tâcheron comme Len Wiseman ou John Moore (ouille). Au lieu d’associer la patte visuelle de Snyder à un récit 100 % Nolan pour accoucher d’un chef d’œuvre du genre, Man of Steel puis BvS ne font éclat que par moments, parfois sans s’encombrer d’une justification.

Ce qui mène à l’autre gros reproche fait aux opus de Snyder, celui d’ignorer souvent la logique interne du récit, voire la logique tout court, pour pouvoir caser un plan qui claque. Pour les défenseurs, Man of Steel et BvS sont géniaux et incompris, car ils sont graves, sombres, violents, posent de vrais questions sur la responsabilité des hommes et celle de leurs gardiens, et les non-dits sont brillamment laissés à l’interprétation. Des arguments qui se valent vraiment, mais c’est aussi une manière de dire que c’est l’intention qui compte. Il y a une grande différence entre dire et faire. Or, Snyder fait souvent ce qu’il veut, tout simplement, cela au prix d’une certaine émotion.

Un univers sans âme(s) ?

Snyder aime ses images, mais elles ne rendent pas forcément justice aux personnages. Dans Man of Steel, Henri Cavill bande les muscles, mais semble atteint d’un autisme émotionnel gênant. Dans Batman v Superman, un lien fort est établi d’entrée avec Bruce Wayne/Batman et sa colère, vouée à changer. Mais on sait comment ça s’est passé : un « Martha ! » et puis s’en va.

Snyder n’a jamais compris ce qu’on lui reprochait. Pour lui (dans une interview il y a quelques années), Star Wars Episode VII a tué des milliards de gens de plus que le final de Man of Steel, et il ignore pourquoi son film se fait critiquer pour ça. Probablement parce que pendant cette orgie destructrice, son héros semble n’avoir rien à cirer du chaos autour et des morts à la pelle, quand les dialogues lourds qui ont précédé pendant deux heures veulent nous faire croire le contraire. Dans le film de J.J. Abrams, les personnages lèvent les yeux au ciel et ont conscience du drame qui s’est produit et de leur impuissance. Et une telle réaction se comprend.

Dans BvS, ce n’est pas tant « Martha ! » qui pose problème. Tout le foreshadowing possible ne prépare pas à ce revirement expédié à la grâce de dialogues absurdes (« Sauve Maman Martha ! »). Snyder a toujours défendu le principe. Il a raison. Le problème, c’est qu’un instant ou concept ne parle pas pour lui-même, encore moins s’il est platement assené via des dialogues lourds et redondants. En un sens, c’est pratique, Zack s’épargnant des efforts d’imagination et de direction d’acteurs pour convaincre.

Du bruit, des gestes, des dialogues à but d’exposition, des acteurs souvent perdus, voilà la marque Snyder quand on touche, non pas à son aura d’artiste, réelle, mais à celle de cinéaste. Son sens du détail sert le sens dans la composition, et non, sinon rarement, l’enjeu dans le récit. C’est oublier qu’un film fonctionne généralement suivant l’idée de diégèse, d’univers vivant au sein de l’œuvre, de chaînes d’événements justifiant ce qui s’y produit.

Zack Snyder's Justice League

Zack Snyder’s Justice League : le temps du renouveau

On en arrive (enfin !) à Justice League cuvée 2021, et attention. À la surprise générale, quelque chose a changé dans la façon dont Snyder fait son cinéma.

C’est nouveau, ça vient de sortir

À sa sortie en salle, BvS faisait deux heures trente, et il ne semblait franchement pas fini. Une Ultimate edition plus tard, le film faisait trois heures. Il devenait curieusement plus digeste, mais les aspects sur lesquels Snyder était attendu n’étaient pas les plus réussis. Une Gotham jamais présente ni présentée, comme ce nouveau Batman et sa mythologie, une course en batmobile quelconque, beaucoup de non-dits fâcheux, le combat en titre relativement mou, un dernier acte over the top entièrement tourné sur fond vert avec une abomination de synthèse… Même avec 180 mn, on avait le sentiment qu’il manquait des choses pour que BvS raconte correctement ce qu’il voulait (avis sur la version longue ici). Dans Zack Snyder’s Justice League, ces problèmes ne se reproduisent pas.

On peut se demander si ce Justice League est le film que voulait initialement Snyder. Peut-être a-t-il fait plus de concessions, ou entendu raison avec les studios. Ou peut-être a-t-il eu le temps de repenser son montage et sa progression, pour en faire cette espèce d’opéra super-héroïque en six actes. Peut-être est-ce dû aux années de lente gestation du projet. Cette version de Justice League n’est peut-être pas « la vraie » que nous aurions eue à l’époque, mais le résultat est là.

Trois heures ne suffisaient pas à compléter tous les trous de Batman v Superman. Ici, on a deux fois plus de super-monde à gérer, mais un fil rouge simple, ainsi qu’une durée de quatre heures a priori absurde, mais nécessaire. Grâce à cela, Justice League tient vraiment du récit épique, et non d’un simple collage de vignettes des bédés favorites du réal.

Snyder s’intéresse enfin à ce qu’il raconte

Déjà, visuellement, Justice League 2021 opère à un autre niveau que Batman v Superman. On a droit à une profusion de plans léchés et travaillés mettant en valeur une grande majorité du métrage. Les plans iconiques ont l’air beaucoup moins gratuits que dans les précédentes œuvres DC de Snyder. Il met un peu à part son côté fan boy désireux de reproduire ses œuvres favorites, et parvient à rendre plus significatif l’instant filmé, par rapport au destin de ses personnages mais aussi dans le canevas général. Cyborg est le plus avantagé par cette évolution. Même si la lourdeur reste de mise (voix off à l’appui), ses moments comme bien d’autres sont largement réussis.

Si Batman n’avait droit à aucune exposition dans BvS, l’erreur n’est pas répétée ici. Certes, on ne fera pas davantage connaissance avec le Chevalier noir de Ben Affleck. Mais au moins, Justice League fait les présentations avec Flash, Cyborg et Aquaman. Elles sont courtes mais livrent le minimum à savoir sur leurs mythologies respectives. Si Gotham n’était même pas visualisée dans BvS, les Atlantes ont droit à plus d’égards ici. Idem pour les Amazones, même si Wonder Woman était déjà passé par là. Cyborg jouit de sa propre origin story, et Barry/The Flash bénéficie d’explications par l’exemple de ses capacités (ENFIN, Snyder se sert de ce qu’il fait le mieux pour montrer et raconter en même temps). Quant à Steppenwolf, il n’est pas juste un peu plus menaçant physiquement. Il est clair dans ses ambitions et a des échanges à distance avec la clique d’Apokolips façon l’Empire contre-attaque.

Même si on ne doute pas de la préparation en amont, BvS donnait le sentiment d’avoir été pensé et écrit un peu n’importe comment, la faute à tout ce qui manquait encore dans son montage “ultimate”. Le Justice League de Joss Whedon avait un air de produit de consommation courante digne des années 90. C’était bête et inoffensif, quoiqu’un peu offensant. Quelle surprise, donc, que Zack Snyder’s Justice League soit si cohérent et droit dans son écriture. Certes, la bête est plus longue qu’une adaptation en film du regretté catalogue de La Redoute. Mais il n’omet aucun détail, aucune scène ni information livrée au détour d’un dialogue, pour justifier telle ou telle évolution dans son intrigue.

Bref, les ambitions sont visibles, sous nos yeux. Même si, forcément, il y a des défauts.

Personne n’est parfait

Au rayon « peut mieux faire, quand même », il y a ce qui était prévisible. On commence par les effets spéciaux finalisés sur certaines scènes ou remplacés sur d’autres. C’est parfois bluffant (comme le lifting de Steppenwolf), parfois moins convaincant (Luthor pataugeant dans l’eau au tout début du film). Ensuite, Snyder reste Snyder, et sa balourdise ou l’incongruité de sa sensibilité ressurgissent par endroits. Que ce soit le chant nordique d’une blonde sniffant le pull d’Aquaman, les rituels ancestraux des Amazones ou la saucisse de Barry, il y a beaucoup de trucs a priori saugrenus ou inutiles dans ce montage, par rapport à la progression de son histoire. Et ne parlons pas de la nouvelle scène tournée pour l’occasion. Cette incursion dans le « Knightmare » est visuellement cheap, trop longue et dénuée d’enjeux.

Il y a aussi la présence superflue de Martian Manhunter l’espace de deux scènes très brèves. On déplore enfin l’absence très, très prolongée de Martha et Loïs et, par extension logique, de Superman, encore moins présent que dans le cut de Whedon. Le film parfait n’existe pas, et malgré sa maniaquerie, Zack Snyder n’y arrivera jamais. Cependant, sur quatre heures, ces remarques s’apparentent à des sorties de route ne gâchant pas le spectacle général.

Une durée à double tranchant

Justice League est délivré de l’obligation de sortir en salle et de rentabiliser sur le nombre de séances par jour. Il a le droit de durer quatre heures, et de les justifier ou presque. Ce n’est pas une première dans l’histoire du Cinéma, alors pas besoin de se formaliser uniquement sur ça. Le Cléopâtre de Joseph Mankiewicz durait tout aussi longtemps.

Mais on comprend mieux pourquoi Snyder n’a pas pu faire deux films de deux heures. Malgré sa richesse et deux cent quarante minutes, Justice League reste structuré comme un récit classique en trois actes. Difficile de conclure une première partie après deux heures d’exposition et l’absence de vrai cliffhanger ! Une nouvelle preuve, hélas, que ce projet était trop ambitieux, voire insensé, dès le départ.

Avoir six parties de quarante minutes ressemble autant à l’ambition d’une saga opératique qu’à un reliquat de l’idée de série en six épisodes. Le format 4:3 ferait pencher en faveur de la seconde option, mais… Snyder avait en tête les séances en Imax, et il faut reconnaître que le cadre est souvent correctement rempli et exploité, et l’analogie avec une case de bédé se fait facilement. Tout ceci n’est peut-être qu’un vaste compromis dû au contexte mondial actuel, la majorité des spectateurs ne pouvant pas découvrir le film en grand, même s’ils le voulaient. Qu’on le voie d’une traite ou en « épisodes », la forme se prête sans souci aux deux exercices.

Zack Snyder's Justice League

Conclusion : Justice League, meilleur film de Snyder ?

Au final, toutes ces choses donnent plus de caractère et de singularité à l’ensemble. D’une part, dans la filmographie de Zack Snyder, en tant qu’œuvre la plus légère, la plus lumineuse visuellement, mais aussi la plus ambitieuse et aboutie du réalisateur. D’autre part, en tant que film de super-héros dans un paysage complètement dominé par Marvel, à la formule répétée ad nauseam. Ici, chaque scène ou presque a son caractère, son but, son identité, bref, son sens, même minuscule, dans ce grand tout et fourre-tout qu’est Justice League cuvée 2021.

Et il y a le fait que ce film met en place une suite qui ne viendra jamais… ou pas ? Tout est possible maintenant que Zack Snyder a obtenu gain de cause. Toutefois, en ce qui me concerne, cela me va très bien. Je préfère des promesses sans lendemain à des promesses non-tenues.

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