Je n’avais plus donné de nouvelles depuis deux semaines car j’avais fait un bond dans le futur, impatient que j’étais de découvrir Terminator Genisys. Depuis sa genèse justement, ce film a été une erreur complète. Non seulement à cause des raisons de sa mise en branle (faire du pognon avant l’expiration des droits de la franchise pour Paramount), mais aussi à cause de la forme télévisuelle et aseptisée qu’ont pris les blockbusters d’aujourd’hui (merci, Marvel/Disney). S’y ajoutent en sus un Schwarzenegger fripé comme un sharpey, un nouveau casting tendance et l’intention avouée de se vautrer dans le reboot à base de déni d’erreurs passées (T3 et T4 n’ont ici jamais existé) et de manipulations d’espace-temps. Ce nouvel opus avait donc tout pour faire peur, et je suis allé le voir en pensant que j’allais le détester ou au mieux bien rigoler. Ce ne fut ni l’un ni l’autre.
Terminator Genisys est un paradoxe à l’image de son prétexte scénaristique. Il exploite respectueusement avant de l’envoyer bouler la mythologie initiée par James Cameron trente ans plus tôt. Il rappelle dans un premier temps des bobines mémorables (T1 et 2) issues d’une époque révolue, des personnages et idées personnelles sortis des tripes de leur créateur… puis bascule fatalement dans le produit de consommation fade et sans saveur calqué sur les grands succès contemporains à base de héros en collants. Un sentiment ambivalent émane ainsi à la vision de cette chose informe, cherchant d’une époque à l’autre à trouver sa consistance tel un T-1000 détraqué. Dans la première partie, on se surprend à bien aimer, pour comprendre ensuite dans la deuxième que c’était pour de mauvaises raisons. Ça devient une habitude de le dire : « c’était mieux avant. »
Réécrire l’histoire
Contre toute attente, le scénario est plutôt louable de vouloir chambouler les règles afin de mettre à jour le concept. Rumeurs relayées par les forums, pubs pour la sécurité routière et la fête des pères, bandes-annonces les plus spoilantes du monde et infinité d’extraits de films balancés en ligne… Une personne « normale » au 21ème siècle (c’est-à-dire naviguant régulièrement sur Internet) aura malgré elle déja vu tout le film. Dans quel ordre tout ceci allait s’enchaîner restait en revanche la grande inconnue.
Sur le papier, une grande partie du contrat a été remplie. Oubliez T3, T4 et même T2 sinon pour la présence d’un T-1000 coréen (Byung-Hung Lee), Terminator Genisys fait « suite » à Terminator. (SI VOUS NE CONNAISSEZ PAS LA SAGA, ATTENTION, CA VA ETRE LE BORDEL) En 2029, après que les machines ont perdu la guerre contre l’Humanité, Skynet, le super ordinateur génocidaire, envoie un robot T-800 en 1984 pour tuer Sarah Connor, la mère de John, leader de la Résistance et cause de son échec. Le soldat Kyle Reese est alors renvoyé dans le temps pour sauver Sarah et accessoirement, devenir le père de John (!). Arrivé à destination, la femme qu’il devait protéger s’avère une combattante aux traits juvéniles (Emilia Clarke) épaulée par un vieux Terminator (Ah-nuld Schwarzenegger) déjà assigné à la défendre depuis l’année 1973. « Pops », car c’est son p’tit nom, vient d’un futur encore plus éloigné que celui de Kyle et ignore lui-même qui l’a envoyé.
Comme dirait l’ancien président préféré des Français : « il y a dans l’espace-temps une fracture. » Décidé à protéger son avenir, Skynet a en réalité réécrit le passé, et du coup sa propre genèse ! Nos héros découvrent ainsi que le Jugement Dernier, l’apocalypse nucléaire, n’arrive plus en 1997 mais en 2017 (pourquoi ?). Embarqué par Sarah et Pops, Kyle se voit assigné une nouvelle mission : défoncer Skynet une bonne fois pour toute. Après un petit saut temporel pour la forme, nos héros découvrent que Skynet se fait appeler Genisys et n’est alors – en apparence – qu’un système d’exploitation pour Iphone. Mais un nouveau cyborg plus puissant que le T-1000 veille au grain…
Le T-1000 s’invite aussi en 1984, le temps de nous surprendre quelques minutes de plus. Une autre occasion de nous rappeler que, comparé à la “nouvelle menace” de Genisys, on n’a jamais réussi à faire mieux.
Délit d’intention
Après Fast & Furious 7 cette année, Terminator Genisys est un autre cas d’école du film qui déborde d’idées. De bonnes idées en moyenne, mais TROP d’idées. On sent qu’en dépit d’un nawak pas toujours expliqué par ses auteurs (qui a envoyé quel robot pourquoi et comment ?), le film joue habilement de son héritage pour écrire petit à petit sa nouvelle bible. Malheureusement, le film n’est jamais aussi bon (toute proportion gardée), intéressant ou divertissant que lorsqu’il emprunte dans sa première partie l’atmosphère et les scènes clefs du film séminal. Après ça, à mi-parcours, les protagonistes essaient à grand renfort de charabia plus ou moins convaincant de justifier les paradoxes observés (par exemple, la remise en question de l’existence de Kyle, Pops et même de John). Enfin, tout le monde s’envole pour 2017 (mais pourquoi !?) à l’aide d’une machine à, euh, avancer le temps (« Sinon, on pourrait attendre et bien se préparer, non ? Moi, je dis ça… »). Une péripétie franchement artificielle qui ne passe toutefois pas si mal sur le coup, bien qu’empruntée au pilote de la série Les Chroniques de Sarah Connor.
Sauf qu’à partir de là, c’est Oktoberfest pour tout le monde ! Malgré l’intention de nier l’existence du mal aimé troisième opus de Jonathan Mostow, la seconde moitié de Terminator Genisys raconte en gros la même histoire : une préparation sourde de l’anéantissement de l’Humanité par le méchant Skynet, lequel a été recréé et protégé à cette époque par un Terminator bien particulier. Poursuites et empoignades dignes du Captain America sont au programme, mais la sauce ne prend jamais. Après la nostalgie susceptible de susciter amusement et intérêt, Terminator Genisys s’embourbe dans un mini-remake de T2 agrémenté de plans redites et de scènes spectaculaires gonflées aux CGI sorties (oh surprise !) d’un film Marvel. Une « ligne éditoriale » à laquelle les scénaristes empruntent aussi un sens du rebondissement miraculeux (voir l’ultime surprise de Schwarzie) et une scène post-credits censée préparer le terrain pour deux suites soi-disant déjà écrites… alors que ce seul film contenait assez de matière pour une trilogie entière !
Le nouveau Terminator : 10 fois plus dangereux qu’un T-1000, et aussi sous-exploité qu’un T-X.
Alan ? T-mort !
Le récit est riche, trop riche, ce qui explique sans doute nombre d’incohérences pour cause de scènes coupes au montage ou jamais tournées (comme la deuxième empoignade entre Pops et son ennemi, après laquelle on retrouve notre ami indemne sans savoir ce qu’il s’est passé). Les conséquences pour le « Terminaverse » sont archi-nombreuses, mais hélas toujours survolées ou carrément passées sous silence. C’est cela qui fâche le plus dans Terminator Genisys : l’absence totale de point de vue, d’envie de raconter ou de sens artistique de son réalisateur. A ce petit jeu, le comparatif avec Jurassic World sorti le mois dernier est intéressant : on sent en regardant le film de Colin Trevorrow l’esprit du fanboy amoureux de son modèle, respectueux et compétent.
En plus de cela, le quatrième opus de la foire aux dinos était un film de monstre que l’on pouvait tout à fait regarder sans connaissance préalable des opus précédents. Terminator Genisys est l’exact contraire : on a l’impression de voir Alan Taylor simplement s’acquitter de toutes les tâches imposées par un scénario obligatoirement référentiel. Il s’applique en restant froid et détaché. La fin du monde, la guerre du futur, le retour en 1984… Ces passages obligés appuyés par une voix-off sont esthétiquement les plus réussis car ils ne sont pas le fait du travail propre de Taylor, mais la reprise de celui de Cameron. Sitôt que Genisys prend son envol et crée son univers parallèle en 2017 (mais pourquoi, bon Dieu !?), cette absence d’ambition saute malheureusement aux yeux.
Les punks originaux de 1984. Flippants…
Resucée et overdose de SPFX marquent les limites du projet, fixées par ses intentions même : faire du pognon en imitant la concurrence… pour laquelle a d’ailleurs bossé Alan Taylor (le lamentable Thor 2, encore une suite. Quel visionnaire !). Le comparatif entre l’arrivée originale face aux punks et sa version « moderne », hachée et expédiée, trahissent les objectifs du monsieur : enchaîner sans s’arrêter. Malgré un rythme souvent haletant, le métrage n’emballe jamais puisque tout est formaté, prémâché. Pour Taylor, il semble que les notions de découpage, de tension ou simplement de mise en scène soient très abstraites, limite vieux jeu.
Paradoxe donc : si le scénario certes pas parfait mériterait un « B » pour l’effort, ce dernier est desservi par une non-implication de l’homme censé y apporter un avis tranché. Plutôt que mettre l’accent sur une chose ou une autre, sur la relation Sarah-Pops ou Sarah-Reese ou un possible trouble identitaire du nouveau Terminator ou la dénonciation (pertinente mais inoffensive) de la sur-connectivité de la société actuelle, Alan Taylor se contente de mettre en images tout ce qui est écrit noir sur blanc, sans qu’on sente jamais un réel effort de mise en scène ni un attachement à un quelconque sujet.
Les punks de 1984 version 2015. C’est déjà pas bon signe quand Bill Paxton est remplacé par Kev Adams…
« Cast-toi ! »
Sans surprise, la distribution est fade et dénuée d’alchimie. Si vous aviez des doutes sur la raison de la présence d’Emilia Clarke en Sarah Connor autre que sa participation à Game of Thrones, vous êtes mignon. Bien sûr, plusieurs acteurs de cette série ont été piochés depuis pour aller bosser sur de gros projets. Toutefois, avec les facilités du réalisateur en cause, on imagine bien qu’il était plus rapide et facile de caster quelqu’un avec qui il avait déjà bossé sans se soucier des problèmes de crédibilité. Sauf que pour une badass élevée par un robot tueur depuis ses 9 ans après le massacre de sa famille, la petite Sarah avec son air angélique et ses joues bien fardées n’est jamais convaincante, que l’on se réfère à ses prédécesseurs ou non. Pour sûr, Daenerys est mimi, mais elle n’a pas les bons arguments pour convaincre ici.
“Je suis Sarah Connor ! – Non, JE suis Sarah Connor !”
NON. C’EST ELLE, SARAH CONNOR ! Rah, les gonzesses…
Quant à Kyle Reese, à l’origine soldat squelettique dénué d’humour et issu d’un futur où les humains crèvent la dalle dans les égouts, autant dire que sa mise à jour gonflée aux stéroïdes anabolisants est loin d’être heureuse. Même en se détachant de son modèle, on ne voit pas le rôle, on voit l’homme : Jai Courtney, la coqueluche incompréhensible des blockbusters/redites de ces dernières années. Très sincèrement, j’aime bien ce gus, un peu comme Chuck Norris ou les hot-dogs. Qu’on l’accuse de manquer de charisme ou de talent ne change pas ça le moins du monde. Schwarzenegger aurait-il VRAIMENT crevé l’écran sans James Cameron ? Il manque seulement au petit Jai un vrai projet avec un vrai réalisateur aux manettes qui saura l’exploiter de façon appropriée plutôt que dans une relecture poussive (cf. le calamiteux Die Hard 5).
“Mmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmm…..”
C’est aussi ça, un acteur : un outil au service du film et de son auteur. Mais puisqu’on a déjà démontré que Terminator Genisys n’a pas de réalisateur, autant laisser tomber. C’est bien Jai Courtney qui remonte le temps pour sauver Sarah Connor. C’est bien lui dont les répliques censées faire sourire tombent à plat lorsqu’il les débite sur un ton monocorde et peu concerné. Quant à la romance contrariée puis ravivée entre Sarah et Reese, elle n’est jamais convaincante. Les deux comédiens, même réunis dans un même plan, même lorsqu’ils s’embrassent, semblent terriblement loin l’un de l’autre.
Pour faire le tour de la petite famille, notons que malgré son rôle important, Jason Clarke en John Connor est anecdotique et transparent. Cependant, à l’instar de Courtney, disons que ma sympathie pour lui et son parcours (Death Race, White House Down, La Planète des singes : l’affrontement) court-circuite mes préjugés. Aucun commentaire enfin pour ce qui concerne Schwarzie, autrement dit T-800, aka Le Gardien, alias Pops (ouf). Comme il le dit bien lui-même : il est vieux, pas obsolète. Il pourrait jouer le rôle du Terminator en dormant, voire même empaillé après sa mort. C’est sans doute pourquoi c’est la première fois depuis son retour de Gouvernaland qu’on a le sentiment de le voir vraiment de retour, malgré quelques mauvaises surprises (ses tentatives de sourire, le twist final). Par contre, vieux comme il est, ce sera sans doute la dernière, à part les suites potentiellement imminentes prévues par la production.
Bilan système
Plus encore qu’avec Jurassic World qui faisait « simplement » mais lourdement référence à Jurassic Park (là aussi en ignorant l’existence de deux derniers opus décriés), Terminator Genisys prend le risque de carrément remodeler l’original en décalquant maladroitement ses premières scènes. Mais dans l’exercice ici proposé, en recréant des plans du film de Cameron, il ne s’agit plus de comparer un souvenir à la nouveauté, mais de réécrire nos propres souvenirs de ce qui jadis fut un bijou d’ambiance et de découpage.
Malheureusement, cette réactualisation est plate, trahissant l’absence de volonté d’un réalisateur-robot mis aux commandes pour étoffer son CV. Si les scénaristes font de notables efforts, Taylor est un faiseur de la pire espèce, un modèle générique sorti d’une chaîne de montage pour accomplir la mission qui lui a été confiée. Une entité avec laquelle on ne peut ni marchander ni raisonner, qui ne connait pas le remords ni la peur (ni la honte) et que rien ni personne ne peut arrêter (parce qu’il a participé à la série Game of Thrones).
“FUCK YOU, ASSHOLE !”
Qu’on ne s’y trompe pas : quand Pops dégomme le T-800 original, il s’agit bien symboliquement du responsable de Thor 2 flinguant l’héritage d’un des plus grands visionnaires du siècle dernier. Quand on pense que ledit visionnaire a loué les mérites de ce film pendant la promo… C’est dire combien Cameron a réussi à avancer (préoccupé qu’il est par Avatar, le projet de sa vie) sans se retourner vers son bébé abandonné, tandis que ceux qui l’ont récupéré continuent à le dépecer pour en sucer la moelle des os.
On comprend alors le génie de la promotion aberrante des derniers six mois, totalement éparpillée dans tous les sens en essayant de ratisser fans de la première heure comme jeunes spectateurs occasionnels. Après sa conception, on dirait que le studio a réalisé que Terminator Genisys était dédié à la fois à tout le monde et à personne. Face à un échec commercial anticipé, il n’a cessé de rabaisser (photos et affiches hideuses, effets non finalisés sur les bandes-annonces) et spoiler le métrage tout du long afin de préparer l’Humanité au choc de sa sortie… Et le jour fatidique, le pire étant anticipé, tous ses grands rebondissements éventés, passée l’absence de découverte à proprement parler, il ne reste plus qu’à apprécier ce spectacle dans le même état d’esprit qu’il a été conçu : dans un détachement froid et méthodique. C’est là l’ultime paradoxe auquel nous confronte Terminator Genisys, film que j’aurais adoré adorer : malgré sa vacuité toujours plus profonde au fil des versions, le Terminator reviendra. Et nous, méthodiquement, on y retournera. Comme des machines.
“Je reviendraiiiii…” Farceur, va.
LES + :
- Si vous avez lu jusque là, vous savez que je n’en vois aucun.
LES – :
- Il n’existe pas encore de machine à remonter le temps pour empêcher les coupables d’exister.