Ready Player One se passe en 2045. Wade Watts (Tye Sheridan) est un ado orphelin vivant dans un bidonville vertical. Comme tout le monde, il cherche à fuir une réalité sordide à travers l’OASIS, un monde virtuel de l’ampleur d’une galaxie, amalgame ultime de tout ce que la télé, le cinéma, les jeux vidéo et l’Internet ont vomi ces soixante-dix dernières années. Le jour où son créateur a cassé sa pipe, il a promis les clés du royaume et ses parts de société à quiconque remportera trois épreuves menant à un « easter egg ». Quand Wade remporte la première manche, il menace le monopole de la puissante corporation IOI, dont l’empire est bâti sur la publicité invasive, l’endettement et les travaux forcés via l’OASIS. Le danger virtuel va alors peu à peu devenir réel…
Commune mesure
Sur le papier, le dernier Spielberg n’a rien de révolutionnaire. D’une part, son récit est archi classique. Wade (entouré de sa petite bande de goonies, euh, partenaires de jeu) est l’ado antihéros habituel que le grand public américain ou non aime tant. Parti du bas, il combat un système puissant et perverti, sa cause personnelle épousant finalement celle du bien commun. Avec l’aide de ses camarades (alors qu’il clame à qui veut l’entendre qu’il « ne fait pas de clans »), il renverse ledit système et obtient la reconnaissance, le self estime et l’amour qui lui manquaient dans la vraie vie (il se situe par contre au plus bas possible de l’échelle sociale, histoire de pouvoir quand même se payer un PS VR).
D’autre part, Ready Player One saute à pieds joints dans une double thématique certes actuelle mais ô combien opportuniste : la nostalgie du passé (provoquant remake, reboot et suites tardives) et l’engouement sans cesse croissant pour le monde des jeux vidéo (et ses adaptations craignos visant un public fortement incompris). La bouillie de pixels annoncée par la bande-annonce laissait craindre le pire, un spectacle fourre-tout et illisible dans la lignée de ce que le réalisateur du Bon Gros Géant tend à produire lui-même dernièrement (hem hem, Transformers). Et alors là : Worms, Goro, Akira, Batman, Jurassic Park, Chucky, Retour vers le Futur, le géant de fer, le Seigneur des anneaux, les Tortues Ninjas, Mario Kart, Superman, Alien, Jason Vorheese etc. etc. etc. et on en oublie ! Citer tout et tout le monde ? OK. Mais y a-t-il une bonne manière de faire ?
Attention en traversant la rue, hein…
Full cycle
Ironie savoureuse, Ready Player One n’est pas lui-même l’adaptation d’un jeu vidéo ni d’une franchise poussiéreuse, mais du roman homonyme d’Ernest Cline (que je n’ai pas lu encore, on évitera donc critique ou comparaisons poussées avec ce dernier). Or le livre fait lui-même lourdement référence au regretté passé que tente d’exploiter l’industrie ciné à court d’inspiration. Le serpent se viderait de son sang en se mordant la queue, si ce n’était pas Spielberg aux commandes, l’un des piliers de cette même culture qu’on vénère. Cela a certes l’air d’un retour à la case départ, mais les degrés de lecture de l’œuvre se multiplient comme à l’infini, à mesure que se déroule un récit sans réelles surprises.
A l’image du McGuffin de l’histoire, Spielberg truffe Ready Player One d’une infinité d’easter eggs proprement impossible à tous identifier d’un coup d’œil. Son dernier né est un pur film pop à l’intention d’un public pop toutes générations confondues, et réalisé par un orfèvre qui n’a plus rien à prouver en matière de narration visuelle (même lorsqu’elle est « computer generated »). Impossible de se retenir de rire devant les gags si chers à Spielberg (les rangées de joueurs professionnels « décimés » lors de la bataille finale) ni devant l’incongruité des multiples chocs d’influences, harmonieusement réunis dans les mêmes plans ou scènes. Rien qu’avec tout cela, le film bénéficie d’une “rejouabilité” forte…
S’il n’est pas exempt de défauts, comme deux-trois longueurs ou un peu trop d’expositions (en particulier sur ses propres influences, la faute aux différences d’âges dans le public), Ready Player One est divertissant pour les profanes, et forcément trippant pour les geeks. La dernière perle du réalisateur ne manque pas non plus de pertinence quant aux mondes qu’elle dépeint, même brièvement (via l’anticipation du monde réel avec ses drones et bidonvilles, et l’explosion du marché de la VR). Quant à l’OASIS, véritable univers où tout est possible, il dépeint avec cynisme le futur des gamers. Le sang y est remplacé par des bitcoins, les joueurs professionnels bossent en bandes organisées pour de sales capitalistes, et l’endettement et les travaux forcés sont totalement normaux ! Youpi, vivement…
« Must go faster. MUST GO FASTER ! »
Ready Player One : l’automne de Spielberg ?
Mais au-delà de ça, la quête balisée de Wade et ses copains n’est qu’un prétexte pour le réalisateur à usurper l’identité de Halliday (joué par l’excellent Mark Rylance, nouvelle muse de Spielberg). A travers le créateur de l’OASIS, il distille ses propres influences, parfois pour le meilleur : une épreuve du roman impliquant le film Wargames est ainsi remplacée par une réécriture bluffante de Stanley Kubrick. Là où n’importe qui d’autre, « grand fan du bouquin » et tout ça, aurait fidèlement repris sans saveur l’œuvre papier, Spielberg ne fait pas que s’approprier l’histoire mais s’y intègre entièrement, sans pourtant jamais laisser plus de temps d’écran à ses œuvres qu’à d’autres (son T-Rex n’apparaît pas plus longtemps que le King Kong de Peter Jackson, par exemple).
Halliday devient ainsi l’avatar du réalisateur. Le personnage après lequel tout le monde court est conscient de l’importance de l’héritage qu’il laisse, alors qu’il est lui-même hanté, en bien comme en mal, par celui qu’il a reçu (soit la culture des années 60 à 80). Les épreuves dans l’OASIS sont basées sur ses expériences culturelles mixées à d’autres plus personnelles. Chaque épreuve et sa solution sont nées d’une émotion, d’un désir du créateur sans cesse contrarié par un manque d’initiative ou de moyens. La quête pour gagner l’easter egg se révèle alors n’être « que » une énième quête initiatique, mise en place par le protagoniste lui-même. Pour gagner, le futur héritier doit comprendre intimement le légataire. A travers le monde du jeu, ce dernier espère ainsi instruire ses admirateurs sur lui-même et ses propres regrets, et à percevoir au-delà les erreurs à ne pas commettre à leur tour.
La révolution passe par Dance Dance…
Bilan de fin de partie
Spielberg n’est pas fatigué. Il a juste lui-même ouvert les yeux sur l’héritage qu’il laisse, comme Halliday. Comme lui, il est conscient qu’il ne durera pas et que son travail pourrait être dénaturé (au nom du pognon ou d’une incompréhension geek) quand il ne sera plus là. Il dissimule donc son message dans un océan de références qui resteront amusantes à prendre au premier degré. A moins de voir par-delà les choses et de nous libérer nous-même du passé qui nous hante et nous réconforte, afin de construire véritablement l’avenir. L’OASIS est une ode à la joie, à la liberté de penser et d’exister, peu importe notre voie et quel modèle (artefact ou avatar) on choisira. Il nous rappelle que l’important, c’est de rêver sans jamais oublier, même si les supports employés continueront de changer.
LES + :
- Un monde virtuel crédible et sans doute prémonitoire.
- Un humour et une incongruité souvent irrésistibles.
- Des références par milliers qu’on aurait jamais cru possible de rassembler.
- Différents degrés de lecture. Plus on s’enfonce, plus on touche au cœur doux-amer du réalisateur.
LES – :
- Un monde réel également prémonitoire, qui aurait peut-être mérité un peu plus de temps d’écran ?
- Le film explique parfois un peu trop par le dialogue ses références ou son univers (cf. une plutôt longue introduction avec voix-off). Dommage quand Spielberg est généralement si doué pour s’exprimer visuellement.
- C’est ce cœur doux-amer qu’il m’a fait mal d’atteindre, en pensant que le Spielberg joueur et candide nous manquera une fois parti… à moins que la relève ne capte le message.