Night Run se passe à New York, la veille de Noël. Jimmy Conlon (Liam Neeson) est un ancien hitman de la mafia irlandaise. Aujourd’hui veuf, poivrot, insomniaque et hanté par les victimes de son passé, il est détesté par son fils et fait bien rire les malfrats. Son seul soutien est Shawn Maguire (Ed Harris), big boss du milieu et son plus vieil ami d’enfance. Cette nuit-là, par un concours de circonstances, Jimmy abat le fils de Shawn pour protéger le sien, Michael (Joel Kinnaman). “Un prêté pour un rendu” comme on dit, et Shawn exige la vie du fils de Jimmy en retour. Conlon va dès lors se démener pour sauver sa progéniture des griffes des mafieux, des flics ripoux, d’un obstiné tueur à gages et même de sa loyauté jamais remise en question envers son seul ami… La nuit va être longue.
Réalisateur de Sans Identité et Non-Stop, Night Run est donc la troisième collaboration de Jaume Collet-Serra avec la star de La Liste de Schindler (un lointain souvenir). Les deux précédents opus faisaient preuve d’un savoir-faire indéniable pour une action nerveuse et bien découpée, hélas handicapée par des problèmes d’écriture tirant le final du film vers le bas. Heureusement à chaque essai, les Neeson-flicks du réalisateur espagnol se bonifient, et son nouveau film est sans conteste le premier à avoir un vrai scénario écrit jusqu’au bout et sans volonté de plagier les récents succès d’action de sa star.
C’était écrit
Courue d’avance, l’histoire de Night Run l’est assurément. Mais c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes, à condition de connaître la recette. Autant prévenir que si le film offre de beaux moments d’inventivité sur le papier (comme une poursuite dans un HLM en flammes), il n’est pas un “total” film d’action. L’occasion pour moi de délivrer vite fait ma définition du film d’action : un film d’action, c’est un film dans lequel il se passe toujours quelque chose (ergo le terme ACTION). On pourrait mettre deux guignols dans une pièce vide, s’ils ont des trucs à dire ou faire, vous avez un film d’action, point.
Pas besoin de faire péter des trucs. En revanche, et comme je l’ai entendu souffler entre deux gus prenant l’escalator juste après moi, dans Night Run, “le rythme euh, ben c’est pas vraiment un film d’action, hein – Ouais, c’est pas trop ça.” On dirait que les Taken ont fait beaucoup de dégâts au cinéma d’action comme à la carrière de Neeson (vraiment BEAUCOUP), et le marketing n’aidant pas, on s’imagine à chaque fois avoir droit à un nouveau métrage fauché, décérébré et racoleur (cf. dans la BA de Night Run justement, le plan trop stylé de la winchester rechargée). Or pour un film “avec Neeson”, les 2/3 de Non-Stop ne l’étaient déjà pas. Quant à Ballade entre les Tombes, il ne l’était pas du tout (mais qui l’a vu ?).
Et ça tombe bien finalement : si le pitch de Night Run promet une course-poursuite en plein NY, il est avant tout un film de personnages, un drame humain dont la thématique (à base d’honneur, de loyauté, de promesses de longue date) n’est pas moins forte que dans les meilleurs exemples du genre. A condition de bien vouloir se laisser emporter par le style de Collet-Serra et ses évidentes références au polar noir contemporain.
“Take it back !”
Noir, c’est noir
On est en présence ici d’un film à la tonalité vraiment sombre, où Neeson signe un personnage à mille années-lumière d’un Bryan Mills aux talents cartoonesques de psychopathe assuré et implacable. Jimmy Conlon est un loser magnifique tombé aussi bas que le Bruce Willis hardcore du Dernier Samaritain ou de 16 Blocs (en plus de s’abaisser à faire le Père Noël avec 4g dans le sang). Son personnage est un type qui a tout perdu et qui ne compte rien retrouver avant que le destin ne l’y oblige.
Le reste du casting n’est pas en reste, et on en trouve de tous les âges : Joel Kinnaman (dont la relation conflictuelle avec son père est clichée mais bien interprétée), cette vieille ganache de Bruce McGill, ainsi qu’un mammouth avec un masque de Vincent d’Onofrio. Quant au froid et implacable tueur à gages Price (le rappeur Common, dont le nom doit faire rire dans les soirées)… Eh bien, il EST noir, mais il aurait sans doute mérité plus de développement tant il transpire le charisme.
Mais personne n’a bien sûr la présence du monstrueux Ed Harris, qui nous offre en compagnie de Neeson un iconique face-à-face dans un restaurant, qui rappelle (et restera pour ça dans ma mémoire) la légendaire entrevue de Heat entre Pacino et DeNiro. Eh oui, deux vieux routards talentueux autour d’un café dans un diner, que voulez-vous, le lien est facile…
“Can you feel the Heat ?”
Showrunner
Pour le style, il est amusant de voir le contraste constant entre la véritable “mise en scène” du réalisateur ibérique et sa gestion nerveuse de l’action. Pour la première, il n’y a qu’à voir les plans fixes et glaçants de la première scène de Shawn Maguire, ou encore les lents travellings sur des murs couverts de photos de famille, où se reflète parfois le visage usé d’un protagoniste. Les personnages existent dans un véritable contexte, ils ont un passé et une présence écrasante pour les uns, effacée pour les autres (voir comment le rincé Jimmy retrouve peu à peu de sa superbe).
D’un autre côté, Jaume Collet-Serra ne se privera pas d’emprunter à David Fincher une caméra aérienne (façon Panic Room sous cocaïne) pour téléporter rapidement son point de vue d’un bout à l’autre de la ville, en passant si possible à travers les mailles d’un grillage. Une manière certes artificielle d’injecter une peu de tension, mais une façon de faire tout de même. Sans parler des caméras au plus près des voitures lors des courses-poursuites, ou des gunfights aux effets de ralenti savamment dosés. La seule scène d’action “posée” (mais ciselée à la perfection) est très justement celle de l’inévitable confrontation entre Jimmy et la clique de Shawn, dont l’intimité du dénouement renvoie là encore au chef-d’oeuvre de Michael Mann.
Night Run : jusqu’au bout de la nuit…
Malgré un rythme quelque peu en dents de scie, si le spectateur accepte de s’intéresser au destin de personnages vivants plutôt qu’à un bête abattage de scènes d’action, alors Night Run est une plongée en apnée sans temps mort, un film d’action non-stop (ha!), et surtout le premier “Neessai” transformé de son réalisateur. Après Taken 3, le client ne se sentira pas insulté : référentiel, dynamique, immersif et touchant, cet opus augure du meilleur pour une future collaboration Neeson/Collet-Serra, sinon pour la future approche du genre par le réalisateur espagnol.
LES + :
- Un casting bien employé.
- Un style et une efficacité maîtrisés.
LES – :
- Un film qui va souffrir de la comparaison avec les navrants Taken, alors qu’il mérite mieux.