Dans Le Transporteur : Héritage, Frank Martin begins ! Ou pas. Dans ce reboot contant soi-disant les débuts du personnage jadis interprété par Jason Statham, le Transporteur (Ed Skrein) et son père ex-agent secret (Ray Stevenson) sont embarqués par un quatuor de donzelles dans leur vendetta personnelle contre leur employeur, un proxénète sans peur du nom de Karasov (Radivoje Bukvic). Bien sûr, les règles strictes auxquelles obéit le coincé du volant vont être sérieusement malmenées. Le hic, c’est que dans cette relance de la franchise, le héros titre est constamment effacé au profit du jeu de hanches de ses clientes, de la participation incongrue de son paternel et du démon du placement de produit. On s’y attendait, cette héritage ne va pas nous transporter.
Rappel des règles
Jason Statham n’a pas de pot. Star incontestée de l’action du nouveau millénaire, il n’a jamais eu la chance d’atteindre le niveau d’excellence d’un Bruce Willis ou d’un Stallone de l’époque (bien qu’il les côtoie aujourd’hui dans la trilogie Expendables). Il a tout de même eu le droit à sa franchise à lui, improbable et assez boiteuse : Le Transporteur. Artistiquement entre deux eaux (nanar et divertissement correct), elle a au moins révélé et consacré leur acteur, mais également les réalisateurs Louis Leterrier (technicien doué et prometteur alors) et Olivier Mégaton (tout le contraire).
A ma connaissance, aucune autre série ne définit aussi bien le terme « véhicule » (ha !). Si chaque suite aurait été l’occasion de corriger le tir du film précédent, il n’en fut rien. Écrit par des enfants en bas âge et doté d’effets, hem, spéciaux, chaque opus n’était que le prétexte à son acteur phare pour enchaîner les scènes de baston hallucinantes, torse nu et chorégraphiées par le grand Corey Yuen himself (le Transporteur conduit aussi, à l’occasion…). Plus musclé que Ken Le Survivant et doté d’un charisme à faire s’évanouir celui qui le regarderait de travers, Statham faisait son show, il était l’attraction principale de produits qui ne banquaient que sur sa présence, un peu comme les Taken avec Liam Neeson (à la différence que Jason faisait vraiment ce pour quoi on le payait). Depuis, Statham est parti, n’ayant plus besoin de Frank Martin pour faire ce qui lui plaît, enchaînant d’autres projets mouvementés et souvent tout aussi bancals. Mais ceci est une autre histoire…
Une série télé était ensuite passée par là, histoire de donner une seconde chance au personnage (incarné cette fois par Chris Vance), hélas sans grand succès malgré des qualités manifestes et un potentiel toujours sensible. Après l’annonce de ce reboot improbable, l’angoisse était grande quant à savoir si la saga allait se réinventer et/ou si le remplaçant allait au moins faire l’affaire. D’autant que l’abominable Taken 3 était passé par là, confirmant le statut de voleur de la société Europa Corp.
La star du film. Elle est conduite par un type.
Règle n° 1 : ne pas briser les règles
Relance oblige, Le Transporteur : Héritage se sent forcé de recycler des scènes, plans ou même simplement idées rendues relativement cultes par les opus précédents (ne manque qu’une empoignade virile dans une mare d’huile). Exemple : ce générique/introduction/signature dans un parking souterrain, cumulant les premières minutes des opus 1 et 2. La caméra en profite pour faire le tour de la nouvelle Audi rutilante et tout automatisée du Transporteur, avant que celui-ci castagne des malfrats dans la plus totale indifférence (tant la sienne que la nôtre). Quelle volonté étrange d’assurer la continuité d’une saga qui ne demandait pourtant qu’à repartir du bon pied ici, en nous racontant la jeunesse de son chauffeur/videur professionnel.
Malheureusement, le pauvre Frank Martin n’a jamais été aussi accessoire que dans cette nouvelle aventure. La faute à un choix plus que douteux de la part des auteurs de la chose : ne rien changer. A l’instar d’un Casino Royale, qui nous racontait les débuts de James Bond en tant que 007 mais en aucun cas comment il était devenu digne d’un permis de tuer, Le Transporteur : Héritage (titre absurde) met en scène son héros alors qu’il s’est déjà forgé une réputation dans le milieu. Au lieu d’assister aux prémices du personnage, à la transformation de ce jeune soldat badass et engagé en un livreur de luxe coincé et endimanché, le voilà déjà comme tel, sous-entendant à peine dans des dialogues peu convaincants les raisons de son changement de carrière.
Le Transporteur ne conduit plus sa voiture : elle le suit automatiquement tandis qu’il castagne dix types à mains nues. Au lieu de… je sais pas… LEUR ROULER DESSUS ?
Règle n°2 : oublier Frank Martin
A l’instar de leur personnage phare, les géniteurs du film ont préféré ne pas violer les règles. Même s’il a fait peau neuve, le Transporteur restera ici tel qu’il est, inaltérable et imbattable, et du coup incapable de susciter inquiétude ou empathie. Malgré le potentiel d’un personnage au croisement de James Bond et Jason Bourne, le renouveau salvateur de la saga ne viendra pas. Et si Ed Skrein fait sa grosse voix pour nous rappeler Jason Statham, il n’en a ni le physique de spartiate ni le charisme écrasant.
Au lieu d’un véritable reboot avec Le Transporteur : Héritage, ce sont les acolytes de Frank qui se montrent entreprenants, déterminant à sa place la direction du récit. Davantage que Mad Max (mais sans le talent pour faire passer la pilule), Frank Martin n’est pas qu’un simple sidekick dans l’histoire, mais carrément un ustensile, un pigeon obligé jusque dans la dernière bobine de jouer l’homme à tout faire pour ces dames, étant donné qu’elles menacent la vie de son paternel. Comble du malheur, Papa embrassera vite la cause (et bien plus) de ces demoiselles. Il jouera même à nouveau les espions dans des situations où il semblera prendre bien plus de risques et de plaisir que son rejeton.
Heureusement que Ray Stevenson, plus cool qu’un François Berléand, apporte à ce personnage la touche sympathique qui manque cruellement à son pseudo fils. Entre ces « nouvelles Mousquetaires » sexy et manipulatrices jusqu’au bout et ce James Bond retraité au charme certes usé mais encore efficace, Frank n’a aucun relief et se contente de suivre les flèches et péter des nez jusqu’au jalon suivant. On l’a connu plus entreprenant par le passé.
À les voir comme ça, vous croyez qu’elles aussi ont leurs… règles ? (hem… je sors)
Règle n° 3 : ne pas faire de vagues
Mais qu’importe puisqu’on est venu voir un film d’action. Il y aurait de quoi avoir peur vu ce qu’était devenu la dernière franchise facile de la boîte à Besson (Taken 3, summum du racket). Avouons avec un soupir de soulagement que Le Transporteur : Héritage se regarde plus volontiers que la bouillie dégueulasse d’Olivier Mégaton (dont le meilleur film reste curieusement… Le Transporteur 3). Intrigue vaguement recherchée, poursuites vaguement inventives, bastons vaguement emballantes… Du coup, ce film vaguement regardable du fait d’un découpage et d’une photographie pas dégueu s’avère vaguement divertissant parfois. Même les tics les plus déplorables des productions Besson semblent avoir été calmés, les femmes semblant traitées de façon vaguement moins racoleuse…
… mais toujours un peu, quand même.
Le Transporteur : Héritage, bilan technique
En résumé, à l’image d’Ed Skrein dans les chaussures de Jason Statham, Le Transporteur : Héritage n’est ni bon ni mauvais. Il a au moins le mérite de n’être pas du niveau de purges telles que Die Hard 5 et Taken 3 (tueurs de franchises et bouses artistiques). Le film assure vaguement le spectacle sans jamais surprendre ni emballer, mais sans non plus inspirer la honte intégrale à celui qui le verra.
Quand les ralentis sur voitures et inserts de smartphones ne ressemblent pas à des micro coupures pub pour Audi et Apple, ça roule et ça cogne suivant le fil rouge habituel du genre. Le spectacle ne suscite pourtant aucun intérêt, le héros complètement largué ne faisant que rebondir sur les prétextes qu’on lui donne. Le projet promettait la mise à niveau du concept et du personnage, il ne remet hélas pas les compteurs à zéro. Peut-être que le Transporteur aurait passé avec succès le contrôle technique si la franchise avait changé de garagiste…
LES + :
- Bizarrement, moins naze que les précédents (pas plus, en tout cas).
- Ray Stevenson est un personnage plutôt cool. Ils auraient dû faire le film sur lui.
LES – :
- On se foule toujours pas trop, chez EuropaCorp.
- Aucune origin story explorée (ni aucun héritage d’ailleurs, merci la traduction racoleuse).
- Les clichés maison sur les femmes et le monde criminel ont toujours la peau dure.