Dans Jurassic World : Fallen Kingdom, on s’intéresse à nouveau à Isla Nublar, 180 kilomètres à l’Ouest du Costa Rica. Si la Vie trouve toujours un chemin, elle est plutôt mal barrée quand un volcan s’éveille sur l’ancien site de Jurassic World, lui-même bâti sur les ruines de Jurassic Park. Parce qu’un dinosaure, c’est mignon, et que deux catastrophes et les avertissements pessimistes d’un théoricien du chaos n’y changent rien, le monde se demande si on ne devrait pas les (re)sauver de l’extinction. Les survivants vedettes du précédent film, Claire et Owen (Bryce Dallas Howard et Chris Pratt), sont ainsi envoyés sur place par le riche Lockwood, en compagnie de mercenaires. Mission : extraire des spécimens vivants avant que l’île ne pète. Les deux naïfs se rendront compte trop tard que les véritables intentions du milliardaire sont beaucoup moins philanthropiques que prévu…
Après le départ en retraite de Jason Bourne et la mort dans l’œuf du Dark Universe (suite au four de La Momie avec Tom Cruise), Universal ne peut plus compter que sur Fast & Furious et Jurassic Park pour se faire de la maille. Malheureusement, niveau bêtise, les deux franchises jouent dorénavant dans la même cour. Explication.
Jurassic World, Fallen Kingdom : c’est beau de loin
Pour sa défense, le film de J.A. Bayona est beau et propose une ambiance inédite dans la franchise, en particulier dans sa deuxième partie totalement ou presque écartée des bandes annonces. Parce que ça a super bien marché pour l’Episode VIII de Star Wars (soupir), Jurassic World : Fallen Kingdom décide de faire table rase du passé en coulant littéralement Isla Nublar.
En se débarrassant pour de bon de la scène des films précédents (quand ce n’était pas l’île d’à-côté), Fallen Kingdom tue ainsi le mythe à sa source. L’idée est symboliquement de faire renaître la saga en la lançant sur de nouveaux rails. Dans les faits, les deux tiers du métrage après cela se passent dans un simili-remake du final moyen du Monde Perdu, sauce Resident Evil. Des actes deux et trois qui s’étirent et s’étirent encore sur un mode connu depuis les films de Spielberg (jouer à cache-cache avec les dinos) et qui, malgré leurs « nouvelles » idées, n’apportent rien à la série ni aux genres auxquels cet épisode emprunte.
Le T-Rex, jadis grand prédateur terrifiant, est devenu un running gag / deus ex machina recyclé ad nauseam.
C’est très con vu de près
Jurassic World parvenait encore à faire illusion à sa sortie, le cynisme de l’entreprise étant carrément mis en vitrine plutôt qu’en sourdine. Cela passait faussement pour une dénonciation quand il s’agissait vraiment de renoncement. D’un côté ses dialogues et placements de produits n’avaient pas honte de la vérité qu’ils nous balançaient à la figure, et ça, c’était osé (« les dinosaures n’impressionnent plus personne ! Verizon présente l’Indominus Rex ! »).
De l’autre, le film nous proposait une intrigue et des rebondissements neuneu tirés du plus cliché des films de monstre (arf ! L’Indominus qui parle couramment raptor…). Bref, c’était un blockbuster tendance Z qu’on pouvait aimer pour son message lucide autant que pour son divertissement balisé. Problème : la suite se contente d’en faire plus, au point d’en faire trop. Ce qui pouvait passer à l’époque ne le peut tout simplement plus, surtout à forte dose.
Aussi bête soit-elle, la destruction d’Isla Nublar est le moment le plus prenant du film.
Comment tuer le mythe en 4 étapes
1) Avec des dialogues qui suppriment toute légitimité des démarches artistique et scénaristique.
« Tu te souviens la première fois où tu as vu un dinosaure ? C’était magique. »
C’est dommage de le rappeler, tant cette suite ne génère justement plus que de l’indifférence. La preuve : Owen blasé en train de regarder passer un brachiosaure, dans une scène miroir à celle de Jurassic Park, l’émerveillement en moins.
« Vous auriez pu guérir le cancer avec votre argent ! »
Dixit Owen au grand méchant, qui produit des prédateurs génétiquement modifiés pour des zillions de dollars, dans le but de… les revendre. Forcément, ça fait réfléchir.
2) Avec un film qui sent beaucoup trop la redite. Jurassic World refaisait Jurassic Park ? Fallen Kingdom refait Jurassic Park, Le Monde Perdu et un peu Jurassic World aussi. Et parfois même pas qu’une fois. On ne compte plus les références au voisin (la scène du brachiosaure, donc), en particulier les « T-Rex ex-machina » et le plan iconique du monstre rugissant, repris non pas une mais deux, oui, DEUX FOIS !
L’Indoraptor est la nouvelle blague menace de cet opus.
3) En violant dans tous les sens la suspension d’incrédulité. Passe encore qu’il y ait soudain un put*** de volcan sur l’île (l’ironie de la situation reste sa meilleure défense). Mais un bateau chargé de dinos relie Isla Nublar (à l’OUEST du Costa Rica) à la Caroline du Nord en 24h ? Le grand méchant a un laboratoire digne d’Umbrella sous son manoir !? Owen survit à un footing dans un nuage volcanique ?!? Et il y a un nouveau dino mutant encore plus méchant !?! Qui a soi-disant un odorat surdéveloppé mais n’arrive pas à sentir des proies à vingt centimètres de ses narines !?!? Et que dire de cette sous-intrigue avec la gamine traitée par-dessus la jambe ! Pas de méprise : je suis souvent bon public et bonne poire. Mais l’effet sequel a franchi le seuil de non-retour avec des péripéties quelque part entre le jeu vidéo et Tintin, et un mépris total du déjà-vu ou des règles établies.
4) Avec des gens cons ! Il n’y a pas d’autre mot. Dans un film écrit à cinquante mains pour deux cents millions de dollars, il est navrant de voir des rebondissements charnières arriver uniquement par la faute de PNJ prenant de mauvaises décisions pour de mauvaises raisons, sans stress, donc sans excuses. Mention spéciale à l’évasion du Dodoraptor (qui peut sourire, vive le progrès !), et un grand merci au sosie foireux de DeNiro. Sans parler de cette fin sinistre et à côté de la plaque, qui n’existe que pour nous vendre la suite, laquelle s’annonce encore plus bordélique.
Partie de cache-cache dans un manoir en pleine nuit… Quand Jurassic Park devient Resident Evil (ou Dino Crisis).
La “7ème art” extinction
« Quel est le problème ? » me dira-t-on, étant donné que les grosses machines récentes cumulent tout ou partie des mêmes défauts grâce à Marvel/Disney… et rencontrent leur succès. Eh bien justement, le fait que le mal s’étende toujours plus. Jeff Goldblum nous avertit sur le danger de voir les espèces préhistoriques s’enfuir, contaminer notre monde et le conduire à sa perte. Au sortir du film de Bayona, on sent que c’est tout le savoir-faire de l’industrie qui est menacé d’extinction face à l’avidité sans fard des productions modernes. Les blockbusters cupides, creux, vains et inutilement référentiels se succèdent avec un cynisme et une froideur calculatrice. Avec pour seul argument de banquer sur une licence et du spectacle, ils cautionnent les pires horreurs écrites en dépit du bon sens.
Le film de Bayona reste beau, dommage que la magie se soit bel et bien envolée.
Certes, il s’agit du cynisme des producteurs. Sauf qu’il continue à (essayer de) se cacher derrière la nostalgie décérébrée mais encore sincère de faiseurs d’images correctes, dont on ne comprend pas qu’ils n’arrivent plus à imposer une vision marquante, à explorer de nouvelles voies. Et devinez quoi : Jurassic World 3 est quand même planifié. « Détruire pour ne rien bâtir », c’est la leçon à retenir de ce Jurassic World : Fallen Kingdom, nouveau pinacle de la bêtise cultivée par les suites-reboot foireuses de ces dernières années (Star Wars, Terminator Genisys, La Momie…). Comme quoi, la Vie, c’est con aussi.
LES + :
- Avec une telle variété dans les scènes (passer du Pic de Dante à Resident Evil, il faut le faire !), Jurassic World : Fallen Kingdom a heureusement le mérite d’être ponctuellement divertissant.
LES – :
- Ça ne sent plus le réchauffé, mais carrément le brûlé !
- Des longueurs inexplicables parsèment les second et troisième acte.
- Des choix narratifs si faciles que j’aurais honte d’apprendre que les scénaristes ont été payés pour ça !
- L’Indoraptor… (arf)
- Jurassic World 3 est déjà prévu.