Le futur. Les humains n’ont plus besoin des Google glass. Ils sont comme par magie tous connectés entre eux, et perçoivent en permanence et en réalité augmentée les données de tout et tout le monde, tout le temps. Dur d’échapper au regard d’autrui, en particulier de la police, à laquelle appartient le brave Sal Frieland (Clive Owen, en mode veille). Dans un tel contexte, le boulot de ce dernier consiste presque exclusivement à rester posé sur son derche à regarder l’enregistrement de la vie des autres. Sauf qu’un tueur en série s’est mis à sévir. Seul lien entre les victimes : avoir contacté le même mystérieux hacker, une femme anonyme (Amanda Seyfried) capable de se soustraire aux témoignages et aux archives du commun des mortels. Pire : au cours de son investigation, Sal va comprendre que sa suspecte est capable de tout, y compris de jouer avec ses nerfs… optiques.
Le réalisateur Andrew Niccol revient à un genre qu’il avait délaissé depuis 2011 (en tout cas je crois) : la science-fiction minimaliste doublée d’une satyre sociale. Minimaliste car Anon n’est pas un film d’action spectaculaire type Matrix, malgré la « technologie » qu’il dépeint. Au film de braquage dépeignant deux Bonnie & Clyde futuristes (Time Out, déjà avec Amanda Seyfried), il substitue le film noir et le motif de la femme fatale. Forcément, niveau rythme, ça change quelque peu. En terme d’ambiance déjà, car tout dans ce futur paraît terne, figé, fatigué, mais certainement pas par erreur :
- le jeu moribond de Clive Owen (comme à son habitude) et de ses partenaires ;
- l’aspect délavé du monde. C’est un mélange quasi-exclusif de transparences et de tons gris et blancs allant du béton au ciel, jusqu’à sa réalité augmentée, uniquement représentée en filaire blanc ;
- la musique (ou plutôt sonorité à ce niveau-là), éternellement répétitive.
“Euuuuuuuuuuuuuuh…”
Ah, non !
Bref, c’est un film noir « gris » que nous propose Niccol, qui ne dépareillerait pas dans une saison de Black Mirror, surtout compte tenu de sa remarquable économie de moyens (les effets de montage sont quasiment le seul « effet spécial » employé). Et thématiquement, Anon nous parle autant, même si aucune explication n’est jamais fournie à personne sur le comment du pourquoi de cette technologie. Même lorsque son patron demandera à Sal « comment la tueuse fait-elle ? », la réponse ne sera jamais donnée parce que, finalement, on s’en gratte complètement. Le ludisme attendu est heureusement présent dans Anon grâce à son concept bien exploité (tant dans l’enquête que les sales tours subis par Frieland).
Toutefois, l’intrigue simpliste pourra ne pas être assez stimulante pour certains. La résolution expédiée n’emballe pas plus que ça, et les humains jouent avec la vivacité de courges surgelées. Passer la moitié du film assis le regard dans le vide n’aide pas… En fait, c’est à travers la représentation et non le scénario que ressort l’humanité des deux adversaires amoureux. Ce n’est pas un hasard si pratiquement les seuls teintes chaudes et accessoires analogiques du film se retrouvent chez eux. Au rayon des émotions, Sal et “Anon” sont les seuls personnages développés, les seuls auxquels on peut s’identifier. Lui est traumatisé par le souvenir de la mort d’un fils. Elle fuit pour une raison jamais définie, mais s’accroche à ce besoin de liberté que la surveillance omnipotente lui interdit. Des “maladies” qui parleront sans doute à beaucoup.
Dans le futur, on aura sérieusement besoin d’un ad blocker… et de couleurs.
Fiction contre réalité
Autre côté intéressant d’Anon, peut-être lié au statut de la chose. Netflix oblige, c’est un film prévu pour être vu essentiellement sur petit écran. Andrew Niccol semble conscient de livrer un film hybride, même bâtard, car il fait se confronter deux représentations au sein de son œuvre, tous les plans subjectifs étant filmés différemment du reste. D’une patine « cinéma » très travaillée et ornée des très habituelles bandes noires, le filmage bascule en plein écran dès qu’il s’agit de voir la réalité à travers les yeux des protagonistes, avec une lumière plus uniforme et naturelle. Bref, on a le Cinéma, beau, « trafiqué », versus Skype, la « vérité » filmée brute façon webcam. Sauf que dans l’histoire, c’est cette représentation unanimement adoptée qui est remise en cause, à travers le pouvoir absolu du tueur, qui peut mentir sur ce que voit ou fait Frieland.
L’intérêt d’Anon
Dans un tel contexte, pour le héros comme le spectateur, la question se pose : quelle réalité vaut-il mieux expérimenter ? La réalité ciné, classique mais “prisonnière” d’un format télé qui la diminue, la comprime et l’empêche d’exister pleinement (comme Sal et Anon) ? Ou l’autre vision, plus actuelle mais aussi plus brute, dont la sensorialité diminuée peut être si facilement manipulée ? Anon parvient à nous faire ressentir la question plutôt que frontalement nous la poser. C’est quand même un bel exploit.
LES + :
- Une vision et un monde aussi atypiques que familiers.
- C’est captivant…
LES – :
- L’intrigue reste un gros prétexte.
- … du coup, c’est aussi lent, parfois (Blade runner 2049 a au moins le mérite de vous rincer l’oeil…)