Ex MachinaPour l’anecdote, le titre original de mon premier roman, Deadline, était Ex Machina, allusion au “deus ex machina”, procédé remontant à l’Antiquité et impliquant l’intervention d’une entité supérieure extérieure à l’intrigue (genre Dieu ou Barak Obama) lors de sa résolution. Aujourd’hui, on aurait tendance à appeler un tel final un twist, et la plupart du temps (quand c’est mal fait) à dire qu’il tombe comme un cheveu sur la soupe. Mais il faut avouer qu’à l’époque, ce n’était pas aussi éculé qu’aujourd’hui, et puis le public aime que tout se termine bien… ou au moins comme il convient. Quitte à faire intervenir le groupe des Kiss pour sauver la nuit de Noël. Attendez, mauvais exemple…

En tous les cas, je suis bien heureux que la première aventure de Christian Novell, deus ex machina dans son propre conte, n’ait pas porté le même nom que la perle d’Alex Garland, scénariste attitré de Danny Boyle (28 jours plus tard, Sunshine). La différence de genres est évidente, mais comme ça, il n’y aura pas à l’esprit de comparaison immédiate avec le remarquable premier essai du réalisateur.

No ex-it

Caleb (Domhnall Gleeson) est un codeur travaillant pour Google Bluebook, la boîte propriétaire du plus gros moteur de recherche du monde, et bien sûr de pratiquement toutes les technologies les plus avancées. Le petit veinard gagne un jour à la loterie un séjour d’une semaine dans la propriété privée du N°1 de la boîte, le légendaire Nathan (Oscar Isaac). Une fois arrivé dans son bunker souterrain perdu au milieu des montagnes, le mec s’avère une sorte de croisement entre Steve Jobs et Tom Hardy, adorant taper dans un sac le matin et philosopher en se murgeant le soir. Caleb va découvrir qu’il n’est pas ici pour se la couler douce.

Nathan l’a en réalité invité pour réaliser un test de personnalité sur sa dernière création : Ava (Alicia Vikander), un androïde femelle. Ledit test consiste en un interrogatoire méthodique destiné à évaluer le raisonnement et les réactions d’Ava, afin de déterminer si elle est dotée d’une conscience équivalente à celle de l’Homme. Au fil de la semaine, Caleb va développer une relation ambiguë avec l’androïde, ainsi que des doutes sur les véritables intentions de Nathan…

Ex MachinaDe gauche à droite : Caleb, Ava et Alan de Very Bad Trip 2 Nathan.

Bien huilé

Pour un premier essai, Alex Garland frappe vraiment fort. Si l’on ne devait s’arrêter qu’à la qualité de sa plume (puisqu’il est également auteur du scénario), Ex Machina réalisé par un autre aurait déjà été excellent. Certes, il faut reconnaître que tout le monde n’appréciera pas un huis-clos majoritairement souterrain. Ce confinement est centré sur les échanges du trio Caleb-Nathan-Ava (par ailleurs passionnants car jamais trop longs ni trop abscons), auquel se greffe Kyoko, une quatrième figure fascinante et silencieuse. Ex Machina est bien un thriller, pas un actioner, si vous n’êtes pas preneurs, attendez Terminator 5 (brrrrr). Il y a bien quelques révélations ou images choquantes dans ce long-métrage, mais l’aspect glaçant de la mise en image va certainement procurer davantage de frissons au spectateur, en particulier au cinéphile érudit qui se sentira flatté par ces attentions.

Impossible de ne pas reconnaître les influences parfaitement digérées de Garland, qui situe son art au croisement de Kubrik et de son grand copain Danny Boyle. Au premier il emprunte une mise en scène posée à travers de longs couloirs en verre aux éclairages chauds sur teintes froides (façon Shining, donc). Un cinéma clinique, froid et parfois brillamment malsain, contrastant avec le monde extérieur volontairement naturiste et parfois onirique, surtout lorsqu’il est vu à travers les songes de Caleb. Bien sûr, le monde du dessous (kubrikien) est celui qui correspond à Ava prisonnière de sa cage dorée, quand ses geôliers évoluent dans une nature et une demeure aérées (filmées davantage à la Boyle).

Ex Machina

Sex Machina ?

Quoique le débat autour de son sujet est fascinant, Garland n’est bien sûr pas en séminaire. Surprise : il se concentre davantage non pas sur les aspects philosophiques de la prise de pouvoir des machines sur l’Homme (qui auront aussi droit à leurs moments lors des bitures de Nathan et Caleb) mais plutôt sur la sexualité attribuée à la machine. Comme le dit Nathan en réponse à Caleb quand ce dernier lui demande pourquoi Ava est une femme et non pas une boîte grise : “parce que la sexualité, c’est fun !” La sexualité booste l’interaction, or cette interaction mène au fantasme malsain chez Garland.

Un fantasme et une frustration qu’il va entretenir tout le long chez le spectateur (grâce à un certain fétichisme), au même titre que Nathan avec Caleb, notamment lorsque le chercheur avoue avoir doté Ava d’un organe parfaitement fonctionnel et sensitif. Du teasing efficace générateur de passions à plus d’un titre. Finalement, il ne s’agit que d’un enrobage de SF d’anticipation avec les réflexions associées au sujet et bien connues pour beaucoup dorénavant. Garland nous offre en réalité un upgrade de thriller psychologique et érotique dans lequel il réinvente carrément le motif de la mante religieuse, un peu comme l’aurait sans doute fait Brian DePalma.

Ava est totalement traitée comme une femme fatale 2.0 dont on peut légitimement douter de l’attachement à Caleb, son seul ami mais pourtant seul obstacle avant la liberté suivant le résultat du test. Si Caleb a été embauché pour manipuler Ava, et si Nathan manipule clairement Caleb, Ava pourrait-elle manipuler les deux ? Il faut dire que la toute mimi Alicia Vikander a assez d’arguments à faire valoir (je parle de son jeu, hein) même si on la préférera avec des cheveux.

Ava comme si elle avait été conçue par DePalma.

Vu l’interprétation impeccable mais posée, la construction du récit ainsi que ses influences, le spectacle offert par Ex Machina reste à double tranchant : on adhère ou pas. Point le plus négatif, afin de renforcer l’inconfort du spectateur lors de certaines séquences choc, la bande-son devient assourdissante jusqu’à en saturer les enceintes de la salle ! Aïe, mes oreilles. Malgré cela, chapeau bas : au même tire que Terminator mêlait la SF au slasher, Robocop au polar hard boiled et Chappie à Dennis La Malice (pas sûr pour celui-là), nulle doute que Garland a réussi une nouvelle et audacieuse fusion des genres. Ava peut légitimement s’ajouter à la liste des cyber êtres marquants du 7ème art, bouclant ainsi une boucle entamée avec le premier androïde du cinéma, une femme, la Maria du Metropolis de Fritz Lang (1927). Girl power !

LES + :

  • Alex Garland invente quasiment un nouveau sous-genre de la cyber SF.
  • Un scénario sans fausse note.
  • Une beauté plastique et une mise en scène glaçante qui distillent le malaise.

LES – :

  • Ceux qui attendent un ersatz de Terminator se seront trompés de salle.
  • Un travail sonore qui peut faire saigner des oreilles…

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