Bienvenue à Free City, une ville où, tous les jours, des milliers de gus armés mettent le boxon en toute impunité. Braquage, démolition, floss, tout est permis pour ceux possédant les lunettes spéciales que n’ont pas les habitants. Guy fait partie de ces gens ordinaires, employé de banque pour qui un café le matin et treize vols à main armée par jour font partie de la routine. Mais il aspire secrètement à autre chose, et c’est de rencontrer la fille de ses rêves. Quand la mystérieuse Molotov Girl croise son chemin, il sort de son pattern et finit, bien malgré lui, par tuer un possesseur de ces fameuses lunettes. En les chaussant, il va découvrir les secrets de son monde, en réalité un jeu vidéo. Il va aussi lancer une petite révolution sans s’en rendre compte…
À l’heure actuelle, malgré une accumulation d’aberrations et incidents en tous genres (dont les derniers sont encore frais, comme Sonic, le film et Mortal kombat), le jeu vidéo au cinéma a le vent en poupe. Suite à une brouette d’adaptations de sinistre mémoire, on attend davantage des films inspirés du jeu vidéo plutôt qu’un nouveau transfuge sans âme (coucou Tomb Raider). Free Guy faisait peur, mais curieusement, il s’avère assez réussi pour offrir un divertissement honorable, à défaut de devenir une référence de la culture cross média.
Une âme dans Fortnite ?
Le film de Shawn Levy est clairement pensé comme une adaptation officieuse de Fortnite et GTA (brrrrrr). Dieu merci, il se permet pas mal de dérision, ainsi qu’un petit aspect méta lui permettant de péter plus haut que son c**.
Dans l’ensemble, le monde de Free City se tient, même si des choses font lever les sourcils. Déjà, une chance pour les créateurs du film : ils n’ont pas besoin de présenter les règles et l’intérêt d’un jeu multijoueur porté sur le défouloir. Les modèles cités plus haut sont si populaires que même un non-gamer reconnaîtra vaguement à quoi on fait allusion. Et pour les plus geeks (âgés ?), les références vont du subtil au maousse, des super sauts façon Mario Bros. à des armes célèbres du monde vidéoludique.
Du côté de l’argument, un PNJ éveillé à la conscience de lui-même et du monde qui l’entoure (soit La Grande Aventure LEGO, mais avec Deadpool), on oscille entre « c’est malin », notamment via l’explication au libre arbitre de Guy, et « c’est pas grave ». On se demande beaucoup comment un PNJ peut voler à un joueur son accès (matérialisé sous forme de lunettes), puis s’en servir pour user des items de soin ou renflouer son compte bancaire avec des crédits du jeu. Logique purement technique mise à part, cela fait sens dans l’histoire et autorise quelques jolis décrochages et références qui font sourire.
Pendant une heure environ, le rythme est soutenu, grâce à des enjeux multiples entremêlés. Outre l’éveil de Guy, Free Guy raconte la quête d’une programmeuse pour revendiquer ses droits sur ceux ayant volé sa création (exactement comme Flynn dans Tron, il y a 40 ans). Certains caméos sont tordants, et Ryan Reynolds rayonne en Candide virtuel décidé à péter les scores pour impressionner sa chérie.
Free Guy : très bien à défaut d’être top
Malheureusement, tout cela s’essouffle tandis que, paradoxalement, les enjeux grandissent (Free City va « fermer » avec la sortie d’un nouveau jeu). Le film devient progressivement plus caricatural et niais. S’ils ne sont pas légion, certains dialogues sur l’amour et le déterminisme font moralisateur et tâche. Le personnage de mogul campé par Taïka Waïtiti est marrant cinq minutes avant que son surjeu ne devienne rapidement exaspérant. Et puis, évidemment, impossible de faire un film sur les médias modernes sans convier à la fête quelques têtes connues de la communauté Internet, histoire de donner de la « crédibilité » à l’ensemble. Or, plus une référence est actuelle, plus le film est périssable. Free Guy s’interdit d’emblée toute place pour la postérité. Bien sûr, tout film n’a pas besoin d’être un chef-d’œuvre. Mais le potentiel était réellement là, et dater ainsi l’œuvre s’avère bien dommage.
Enfin, la logique assez maîtrisée des débuts, malgré ses incohérences et non-dits, commence à déraper. Les interactions entre Free City et le monde réel, par exemple, font moins penser à Matrix sous LSD et davantage aux Mondes de Ralph de Disney. Ici, les personnages fuient d’un serveur à un autre comme les habitants de la salle d’arcade changeaient de borne via les prises électriques. Pas sûr que le « vrai monde » fonctionne comme ça. (C’est drôle : Free Guy est distribué par Fox 20th Century Studios, qui appartient maintenant à Disney… Coïncidence ?).
Résumé en free fall
Free Guy, c’est l’amalgame de récits qui marchent comme Tron, La Grande Aventure LEGO ou Matrix, mariés habilement aux codes du jeu vidéo moderne (Ready Player One de Spielbeg s’élargissait à toute la pop culture). Mais s’il démarre efficacement, le film de Shawn Levy ne tient pas la note sur deux heures. Il ressort petit à petit des facilités et des messages qui font grincer des dents.
D’abord miroir tendu, quoique inoffensif, face à nos déviances de joueurs, et même de consommateurs au sens large, Free Guy finit par céder. Il cède à une facilité narrative éculée, des discours bien-pensants « in the nose », et un message un poil faux-derche sur l’accomplissement de soi, le triomphe de la bonne volonté, et la Justice pour ceux qui sont prêts à changer les choses. Servi bien frais et sans cynisme, s’il vous plaît.
Ah oui. Et à part les héros, la communauté des gamers est ici exclusivement constituée de gosses en bas âge ou de vieux ados squattant chez leur mère. Ce n’est pas aussi insultant que dans Ultimate game (2011), mais révélateur du niveau de réflexion de Levy et sa bande.
En résumé, Free Guy est une bonne comédie prenant place dans un univers de jeu vidéo. Ce qui est dommage, c’est simplement qu’il ne veut pas être davantage, en rentrant finalement dans le moule des blockbusters formatés et frileux. Tant pis. Après tout, on mange bien du poisson même quand il y a des arêtes.
LES + :
- Ryan Reynolds fait ce qu’il fait mieux : le naïf attachant à grande gu****, et ça marche très bien ici.
- Un monde de jeu vidéo bien retranscrit dans une non-adaptation de jeu vidéo, c’est surprenant et je prends.
- La plupart des blagues et références fonctionnent très bien.
LES – :
- On ne s’en souviendra pas sur le long terme.
- Taïka Waïtiti est vite insupportable.
- On sent la mayonnaise tourner à la sauce Disney à mesure que le film avance. Et pas pour le meilleur (logique interne malmenée, morale un brin cynique).
- On parle déjà d’une suite. Evidemment…