Après sa capture puis sa mort supposée au cours d’une mission, un agent de la CIA (John David Washington) est recruté par l’organisation secrète Tenet. Cette dernière existe avant tout et surtout pour combattre la menace des objets « inversés », des armes et munitions qui ont la particularité de réagir à reculons dans notre temporalité (les balles retournent dans leurs chargeurs, les voitures crashées retombent sur leurs roues, etc.). Apparemment, cette inversion est réalisée dans le futur, lequel enverrait son matériel et ses informations à Andrei Sator (une parodie de Kenneth Branagh). Il semble que les hommes de l’avenir n’aiment pas beaucoup leurs ancêtres, et comptent sur le caractère auto-destructeur du monsieur pour provoquer avant l’heure la fin du monde…
C’est drôle de voir le nouveau McGuffin du réalisateur de The Dark Knight. Quand il ne s’occupait pas de Batman, il jouait presque toujours avec le temps et les dimensions. Mais c’est la première fois que son film parle littéralement « d’avancer à reculons », à moins qu’il ne s’agisse de « revenir en arrière pour avancer ». Memento racontait par tronçons une histoire linéaire, mais à rebours. Inception explorait des temporalités s’étirant toujours plus à mesure qu’on s’enfonçait dans l’esprit humain. Et Interstellar parlait déjà d’un futur influençant le passé, et d’un voyage où les héros subissaient et affrontaient les effets d’un temps imprévisible (notamment aux abords d’un trou noir). Je schématise à mort et je trace de gros parallèles, hein. Là où je veux en venir, c’est que depuis Interstellar, Nolan semble avoir fait le tour de ses préoccupations, et il ne fait plus que jouer avec, sans vouloir aller plus loin.
Précédemment, chez Christopher Nolan
J’avais beaucoup bavé au sujet d’Interstellar à l’époque. Ce film était fascinant malgré ce qu’il est convenu d’appeler « la routine Nolan ». Pour résumer, Nolan ne réinventait pas Christopher, et il refaisait exactement tout ce qu’on avait pris l’habitude de voir chez lui. Une exposition archi-verbeuse délivrée par un érudit (en l’occurrence, Sir Michael Caine). Des ellipses temporelles immenses gérées à l’aide d’une simple coupe, à deux doigts d’être paresseuses quand elles servent à éluder les pires incohérences (cf. The Dark Knight Rises). Et enfin, une longueur parfois désespérante, qui passe quand le réalisateur nous offre vraiment quelque chose à contempler (ce qui n’est pas toujours le cas, à cause de sa mise en image presque naturaliste). Heureusement, Nolan est un conteur hors pair, qui manie les dialogues et le découpage comme personne, rendant le tout fascinant à suivre.
Mais ce qui était hypnotique au début devenait de plus en plus routinier et casse-gueule, film après film. Le réalisateur était peut-être conscient que l’esbroufe ne fonctionnerait pas éternellement, chaque nouvel opus mettant plus à mal la suspension d’incrédulité. The Dark Knight Rises a été une plongée en apnée au ciné, mais il ne supporte pas deux, puis trois visionnages sans révéler les failles de son histoire, de grosses failles. Interstellar est alors arrivé comme un film terminal, qui se vivait comme un aveu, une leçon sans tabou sur la logique et les procédés du cinéaste (pour lire la réflexion en entier, c’est par ici).
Le cinéma, pour Nolan, c’est de la magie. Il faut mener le spectateur à la baguette le temps du film, et le tour est joué. Mais plus on voit le tour, plus on pige le truc, et le magicien a compris cela. Interstellar était son premier film duquel je suis « sorti » mentalement avant la fin, à cause de tous ces trucs qui me sautaient aux yeux. Mais c’est normal, Nolan nous offrant en réalité la clé de sa propre magie en tant que réalisateur. Ce qui arrive dans l’intrigue est littéralement ce qui arrive à ses spectateurs à chaque film. Ils sont pris par la main et guidés par une entité supérieure contrôlant les dimensions, mettant en scène les conditions et le déroulement des choses, jusqu’au dénouement prévu (dans un lieu qui, comble de l’analogie, ressemble à une vue sur un plateau, permettant les prises à l’envie).
En bref, Interstellar ressemble à une relecture des mythes et figures nolaniennes, mais en réalité, c’est un livre ouvert sur son esprit. Volontairement ou non, Nolan se mettait à nu, « révélait le truc », et quelque part, la magie s’envolait.
Christopher refait du Nolan
Interstellar était un aboutissement, un pic dans la carrière de magicien de Christopher Nolan. Il ne pouvait plus faire que l’une des trois choses suivantes :
- Prendre sa retraite ;
- Se réinventer, et explorer de nouveaux sujets et procédés ;
- Se reposer sur ses lauriers et refaire la même chose, au point de devenir l’ombre de lui-même.
Dunkerque ressemblait à une récréation pour le cinéaste. Il jouait encore avec les temporalités, mais sans vraie justification autre que « ouuuuh, vous avez vu ? ». Le film était maîtrisé mais pas si mémorable ni cérébral que ses précédents efforts. En fait, beaucoup attendaient le nouvel Inception avec Tenet, un métrage qui, cette fois, tournait réellement autour du temps, ou plutôt, de l’inversion du temps. De quoi nous retourner la tête, si le Nolan d’aujourd’hui était un autre que celui d’hier.
Car les tares habituelles du cinéaste, décodées depuis Interstellar, sont toujours là. Il en est même au point où il semble se parodier plus qu’autre chose. Surtout que l’auteur a avoué en interview qu’il voulait plus que jamais offrir un film d’espionnage insouciant et divertissant, comme jadis. Venant de lui, moins ambitieux que ça, tu peux pas. Même en tenant compte de cela, Tenet aurait pu être un sacré ride de par son McGuffin. Le souci, c’est que l’intrigue est faussement compliquée (à la Nolan, quoi), et que son nouveau gimmick s’avère visuellement casse-gueule.
Nolan la refait à l’endroit
Ce qui ne change pas chez Cricri finit par porter préjudice au film. Pour commencer, on a des dialogues expositoires et cérébraux, débités platement par des acteurs en bois, totalement déconnectés de ce qui arrive. Franchement, je ris encore de l’absence TOTALE de réaction chez John David Washington quand on lui annonce que les objets inversés nous sont envoyés du futur. Ou alors, c’est l’exact contraire. Kenneth Branagh serait flippant s’il n’était pas si cliché et ne débitait pas des menaces absurdement hilarantes, dans le prolongement du rôle qu’il tenait dans The Ryan Initiative.
Quant à l’histoire, c’est un attrape-couillons. Nolan, en bon « magicien » encore une fois, ne fait dire à ses personnages et ne montre que ce qui l’arrange. Passer sous silence incohérences et autres principes physiques au service de son histoire, ce n’est pas un crime. On en a seulement l’habitude depuis Inception. Ce qui est plus embêtant, c’est à quel point son récit est prévisible malgré l’apparente imprévisibilité de l’entropie inversée. On s’en doute, tout finit fatalement par mener à de vrais retours en arrière, et les gros rebondissements se sentent venir à dix kilomètres. Certes, Nolan avait annoncé ne pas réinventer la roue, mais il ne se réinvente pas lui-même. Et à l’instar d’Interstellar, Tenet ne surprendra aucun routard de la SF.
L’action à l’envers, c’est drôle
Le plus gros souci, involontaire, provient du traitement de la fameuse inversion au sein de l’action. Il suffit d’une scène d’exposition pour que les prémices de l’inversion quantique nous fassent saliver (« Des flingues qui tirent à l’envers ? Des objets qui tombent à l’envers ? Comment ça va être dingue ! »). Mais aucune scène ne parvient jamais à avoir la folie ou l’envergure espérée. Ce n’est pas vraiment qu’on trouve plus d’ambition dans les braquages « à la James Bond » plutôt que dans l’inversion proprement dite. Parlez-moi d’une rixe entre un type se battant à l’endroit et l’autre à l’envers, ou une poursuite contre des voitures « inversées » sur une autoroute, et honnêtement, j’achète. C’est juste que la mise en boîte de Nolan, essentiellement portée sur le découpage, n’est pas vraiment « repensée » pour leur donner l’envergure adéquate.
Sur le papier, le concept est classe. Mais à l’écran, à l’exception d’un ou deux moments clés dont on sent la préparation (la fameuse rixe), l’inversion de l’image est plus incongrue qu’autre chose, et souvent même, involontairement drôle. Je pense à la fameuse voiture roulant à l’envers, ou à une séquence d’interrogatoire dont l’idée prime sur la pertinence. Et il y a surtout le climax faussement confus, à cause de ces explosions et assauts se produisant en marche arrière. On veut nous faire croire à une bataille épique, mais le résultat fait penser à une partie de paintball interentreprises retouchée avec After Effects. La comparaison est dure, mais elle traduit à quel point Tenet m’a fait rire malgré moi… et malgré lui.
Tenet est très clair
Ce qui est clair avec Tenet, c’est que Nolan essaie faussement de nous la faire à l’envers. Contrairement aux apparences et malgré son sujet, le cinéaste ne revient pas en arrière. Il fait du surplace. L’emprise d’Interstellar s’était estompée avant le générique de fin, mais je n’ai jamais été embarqué dans Tenet malgré des qualités ayant fait leurs preuves et un prétexte intriguant.
Le cinéaste semble n’avoir plus rien à dire, et à moins d’une épiphanie, il a rejoint un cercle “prestigieux”. Celui des auteurs condamnés à se répéter encore et encore, aussi fascinés par eux-mêmes que par les concepts qui les tourmentent. Le même club étant fréquenté par Zack Snyder et Michael Bay, des zozos aimant beaucoup se regarder le nombril, j’espère le voir voguer à contre-courant et nous revenir avec un nouveau tour de magie.
LES + :
- L’honnêteté et la maîtrise de Nolan sont intacts.
- Le concept est plein de potentiel.
LES – :
- C’est un film de Nolan, avec tous les défauts qui vont avec (long, prévisible, avec des acteurs sous Prozac).
- La magie du cinéaste n’opère plus.
- C’est parfois involontairement drôle.