Il a fait la guerre aux péquenots, conquis le Vietnam, pacifié l’Afghanistan et vitrifié la Birmanie. Mais depuis onze ans que John Rambo (Sly) est rentré chez lui, dans le ranch familial de Bowie, Arizona, il a trouvé un semblant de paix. Semblant, car malgré ses efforts, « la guerre l’a cramé », dixit le shérif du coin. Il continue de creuser des galeries sous sa maison, de forger des armes et de se bourrer de cachetons, incapable d’oublier définitivement sa vie au Vietnam. Le seul moyen de soulager ses angoisses, c’est de participer à des recherches de personnes disparues, et de s’occuper de Gabrielle (Yvette Monreal), la petite fille de sa bonne. Le jour où Gabi disparaît au Mexique, après y être allée sur un coup de tête confronter son père, Rambo voit rouge sang. Il prend illico la route pour Mexico, décidé à retrouver Gabrielle quitte à casser du narco…
Rambo, Last Blood : le 5, ça porte malheur
En général, l’épisode 5 d’une franchise est frappé du sceau de la malédiction. Les films peuvent réinventer pour le meilleur (Fast and Furious 5) ou trahir pour le pire (Die Hard 5). Parfois, ils stagnent et/ou sombrent dans l’auto-parodie (L’inspecteur Harry est la dernière cible). Ça expliquerait que, souvent, une franchise n’ose pas dépasser l’opus 4 (Jason Bourne, L’Arme Fatale), voire bouscule sa chronologie ou sa numérologie pour faire semblant (Alien). Et bien sûr, entrent aussi en compte l’évolution du contexte, les goûts changeants du public, etc.
Dans le cas des Rambo, on a affaire à une franchise particulière. Depuis l’opus 2, chaque aventure a fait jaser pour des raisons essentiellement politiques. Ensuite, comme Rocky, le personnage de l’ex-béret vert est intrinsèquement lié au parcours de son acteur. Ils ont vécu parallèlement à lui, et souffert des hauts et des bas de sa carrière. Rocky IV et Rambo III, ultra patriotiques et caricaturaux, sont conspués pour leurs clichés et facilités hilarants. Et loin après le star power et la hype d’antan, John Rambo et Rocky Balboa sont considérés comme d’humbles retours aux sources. Ils étaient menés sans réelle imagination, mais avec le talent, le cœur et les tripes qui manquaient aux deux franchises depuis longtemps.
Aujourd’hui sort donc un épisode 5 sous la forme de Rambo : Last Blood. Comme Creed sorti après le suscité Rocky Balboa, il arrive après que la saga ait apparemment conclu la boucle thématique et narrative du personnage. Était-ce nécessaire ? Et surtout, est-ce réussi ?
Fausses accusations et vrai miroir déformant
Il paraît que dans Rambo : Last Blood, le personnage est un raciste réac. Il véhiculerait un discours xénophobe encourageant à séparer l’Amérique du Mexique, à grand renfort de parpaings. La saga a souvent été traînée dans la boue pour son soi-disant message politique. La faute en incombe à l’opus séminal. Le personnage était victime d’un pays ultra fier qui préférait porter des œillères que se rappeler ses erreurs. Fort, marquant, mais fatal pour la suite.
Car passer de victime du système à héros vengeur (Rambo II), puis en arme anti-cocos (Rambo III) sentait le détournement hypocrite à plein nez. Trente ans après, le troisième film continue d’essuyer les plâtres à cause de son usage paroxystique des clichés (il est une parodie de Rambo II), mais aussi parce que le super soldat y combattait l’armée communiste quelques mois seulement après la fin de la Guerre froide (survenue pendant le tournage, oups). Comble du malaise, les rebelles alliés d’hier sont devenus les nouveaux ennemis des USA.
Comme un fait exprès, le vieux Rambo dépèce aujourd’hui des représentants des cartels mexicains, traversant comme eux la frontière avec une facilité enfantine. Message ou maladresse ? Le film fait référence à des thèmes d’actualité popularisés par les médias de masse. Or, plus le problème est proche ou connu, et plus on fait le lien. Quand l’ancien béret vert allait décapsuler des Birmans, personne n’est venu moufter, parce que la Birmanie, les Américains et les Occidentaux en général s’en foutent.
Pour un ricain regardant John Rambo, la nation birmane n’existe limite que dans les frontières diégétiques. Ceci malgré une introduction choc installant sa situation véritable, et des méchants jamais dépeints comme des caricatures mais comme des ordures. Ils méritent leur sort, dispensé par un Rambo non plus patriote, mais devenu un psychopathe en manque de sang. On préférait alors pointer du doigt l’ultra violence du film, souligner le retour en grâce de l’acteur, et saluer une fin bien sentie. Ce qui n’est pas le cas avec Rambo : Last Blood.
Le passé dépassé
Au fil des décennies, le personnage a été détourné pour ne plus regarder en face le problème que l’Amérique a chez soi, mais plutôt la menace qu’elle voit chez le voisin (avant que Stallone se le réapproprie avec le quatrième film). Assez ironiquement, Rambo : Last Blood parle d’une menace la plus voisine possible : le Mexique. Même pas l’immigration clandestine, juste « le Mexique ». Et tout le monde relaie le même avis. Le film serait pro-Trump, idiot, inconscient, et prônerait une justice sauvage.
En réalité, si l’on remonte à la genèse du projet, il n’en est rien. Initialement, cette histoire de kidnapping par les cartels était le véritable Rambo 4, bien avant que le mur à la frontière ne devienne un sujet brûlant. Il a ensuite été remplacé par le scénario que l’on connaît, libre de tout message politique, et doté d’une approche bien plus intime du personnage et de sa psyché. Voir l’acteur soutenir le même projet onze ans après témoigne d’une vraie envie personnelle. La star devait avoir la foi en l’histoire qu’elle souhaitait nous dépeindre depuis le début. Si on accuse le film d’être un tract militant pour les idées nauséabondes de Donald, c’est donc surtout pour avoir l’air malin.
Un homme avant tout
Chaque arc de la franchise traitait d’un aspect de la psychologie du soldat maudit. D’abord il était paumé dans le 1. Puis, dans le 2, il rentrait « chez lui » au Vietnam pour réécrire l’histoire (surtout la sienne, mettant à mal le camp où il avait été emprisonné et torturé). Il part ensuite dans le 3 faire une guerre qui n’est pas la sienne, mais pour sauver la seule famille qu’il ait. N’ayant plus rien à faire, il faudra attendre vingt ans et l’épisode 4 pour le voir prendre part à un conflit qui ne l’engage pas autrement que sur le plan moral. Moralité qui n’est d’ailleurs, encore, qu’un prétexte (voix off à l’appui) pour satisfaire ses pulsions refoulées.
Chaque film dispose d’une excuse fournie par l’actualité d’alors, mais c’est le héros éponyme qui en constitue le cœur. Rambo est un personnage tragique, une victime des circonstances, que ce soit la guerre ou autre chose. Ce qui se passe dans le monde ne dépend pas de lui, et les conflits changent au fil des époques, tandis que lui ne change pas. Il ne fait que prendre de l’âge, devenir une relique dans un monde auquel il n’appartient plus.
C’est l’impression que donne le visage buriné de Stallone, et c’est ce qui arrive dans Rambo : Last Blood. Il n’y a plus de guerre au sens littéral. Le personnage n’a plus à défendre que le peu qu’il lui reste. En tant que spectateur, on peut se sentir trahi par cette orientation. Le métrage accuse d’ailleurs des défauts qui l’empêchent d’être aussi définitif que son prédécesseur.
Rambo, Last Blood a des défauts bien réels
Rambo : Last Blood troque le contexte guerrier pour un mix entre Taken et No Country for Old Men. Contrairement au film avec Liam Neeson, le cinquième Rambo jouit du bagage du personnage et de son acteur. Il y a un attachement et une connaissance antérieures et pérennes du héros. Le problème, c’est que ce changement profond de style, le premier depuis Rambo II, se produit trop tard.
Trop tard aussi, le moment où Johnny déploie enfin sa hargne. Ne vous attendez pas à un rentre-dedans permanent. Le film joue la carte de la montée en puissance. Il distille ici et là une menace ou une image choc. Ainsi, on se rappelle que Rambo est un monstre, une machine à tuer qui s’assume désormais. Le climax barbare teasé par les bandes annonces n’arrive que dans les quinze dernières minutes, comme pour récompenser la patience du spectateur mise à rude épreuve.
Beaucoup raillés aussi, le phrasé devenu marmonnant de l’acteur principal, et la réalisation fonctionnelle (à défaut d’être mauvaise) d’Adrian Grunberg. Curieusement, son nom apparaît en tout petit à droite à la fin du film, comme s’il avait eu honte. Il n’y a pas non plus de quoi. Et bien sûr, petit budget oblige, les effets spéciaux sont parfois craignos. En particulier dans l’intro, inédite aux USA, censée nous présenter le personnage sous un nouvel angle. Sauf que c’est illisible, moche, et en complet décalage avec le ton adopté par la suite.
Les creux sans visages
Le plus dommageable est le scénario inabouti et/ou jamais assez étoffé, surtout concernant les personnages. À part le héros titre, tout le monde est sous-développé, en particulier les frères Martinez. Les deux frangins proxénètes, antagonistes de cet épisode, ne sont jamais présents plus que nécessaire. Il leur manque la gravité, l’exubérance ou les motivations des méchants précédents de la franchise, dont on pouvait au moins se délecter de leur mort. Ici, ils n’ont jamais été « assez » horribles pour nous faire espérer leur châtiment.
On a beaucoup reproché également la peinture négative du Mexique. Le film montre des ghettos pouilleux, où les flics sont des violeurs et tout le monde est un traître. Fun fact : le Mexique, c’est pas partout Disneyland. Et les clichés, même s’ils remontent aux années 80, existent à l’origine pour une bonne raison. Il y a peut-être des quartiers sympas, mais pour que ce film ait lieu, ils ne nous intéressent pas.
Enfin, quand Rambo tente de dissuader Gabrielle de s’en aller, il ne prétend jamais que le pays est un cloaque puant. Lorsqu’il dit que « elle ignore combien le cœur d’un homme peut être noir », il la met en garde uniquement contre son père, un minable insignifiant dans l’intrigue (deux scènes), mais qu’on déteste immédiatement. John parle d’une seule personne et uniquement en connaissance de cause, sans préjugés sur le pays voisin. Ce que les critiques aiment ignorer dans leurs retours sur le film, déformant trop facilement son propos.
Last brood
John Rambo avait été comme une décharge de plomb brutale et inattendue, mais avec un final réconfortant. Onze ans après, Rambo : Last Blood est l’exact contraire : prévisible, un rien mou, et d’une noirceur désespérante. Mais cette noirceur constitue le véritable intérêt du film et lui donne sa place légitime dans la saga. Si on aime le personnage de Rambo, on trouve touchant et rassurant le final du 4, conclusion parfaite en soi. Mais le 5 est une nouvelle descente aux enfers pour le vétéran. Dans les dernières secondes, il s’auto-condamne en voix off à une fin pessimiste. On est laissé faussement en suspens sur le sort du héros devenu pour de bon un vilain.
Depuis le dernier film, John n’a plus rien d’un héros. Il est ici un monstre du passé (le fantôme du Vietnam, honte américaine) combattant un monstre du présent. Mais pas sous la forme des cartels mexicains, existant depuis longtemps déjà. Leur interprétation par le plus grand nombre suinte la nouvelle honte politique du pays : sa xénophobie galopante. Une honte que tout le monde préfère, ironiquement, reprocher au film pour se donner l’air “clean” et bien pensant. À cause de ça, impossible de voir simplement Rambo : Last Blood comme Stallone le voudrait : un baroud d’honneur simple, efficace et nihiliste, son Impitoyable à lui. Il est certes imparfait, mais pas désastreux ni abject. Juste mal pris.
Poing final
Rambo : Last Blood boucle la boucle au sens littéral. Le héros éponyme y finit au même point qu’au début de First Blood, quand le dernier plan de John Rambo y faisait miroir. De la même façon que Jason Bourne disparaissait dans des eaux sombres à la toute fin de La Vengeance dans la Peau, ou que John McClane se dirigeait vers un téléphone dans Une Journée en Enfer pour se réconcilier à nouveau avec sa femme, le vétéran du Vietnam, plus de quarante ans après, se retrouve au même point que lorsque son voyage a commencé (pour nous). Comme avec les franchises suscitées, passé ce point, il ne reste vraiment plus rien de pertinent à raconter.
Rambo : Last Blood est-il un bon film ? Il est assurément le moins bon techniquement, et le moins divertissant des cinq. Mais une partie est due à ses (trop) humbles ambitions. En tant que conclusion et véritable clôture du mythe à l’écran, il vaut assurément le coup d’œil. Il trouve sa place logiquement, même si maladroitement, dans la série. Et puis, si vous aimez juste la tripaille, le carnage du dernier quart d’heure sera suffisamment mémorable, rythmé par une poignée de “glory kills” saignants. J’espère que vous avez le cœur bien accroché…
LES + :
- Le film boucle réellement la boucle de la saga entière.
- Quelques fulgurances esthétiques et gores dont on se souviendra.
- Un changement de ton radical et bienvenu.
- La musique guerrière de Bryan Tyler.
- Stallone, qui a le courage de se lancer dans un tel projet sans prendre de gants.
LES – :
- Ce changement d’orientation arrive peut-être trop tard dans la franchise.
- Scénario pas assez développé, avec des personnages secondaires et des méchants fonctionnels. Le film est trop centré sur Rambo, au détriment de notre intérêt pour ses antagonistes, et surtout pour la justesse de leur châtiment.
- Réalisation tout aussi fonctionnelle et rarement surprenante, à la frontière du DTV friqué.
- L’introduction, qui aurait pu être bien, mais qui a l’air d’une scène coupée mal finalisée.
- Tout le foin qu’on fait autour du film, relayant une image négative de sa supposée prise de position. Ce qui en dit davantage sur celle des critiques que sur le film lui-même…