Dans le cas des films à grand spectacle, je mesure toujours la qualité du produit à la réaction du public. Ou plus précisément, à son absence de réaction. Pour le récent Fast & Furious 7 (autre blockbuster motorisé de l’année), le public majoritairement entre 10 et 30 ans était absolument intenable. Téléphones, blagues entre copains, coups de pieds dans le dossier et j’en passe… Les gosses venus faire salle comble n’étaient pas présents pour VOIR le dernier film de Paul Walker, mais pour déconner devant. Hier soir pourtant, pour Mad Max, Fury Road, malgré une ambiance décontractée pendant la séance et des rangées de potes hystériques, passées les dix premières minutes, un silence de plomb recouvrit la salle. Il ne se découvrit plus pendant deux heures de pure démence.
Ce mutisme quasi-religieux n’était pas sans rappeler celui éprouvé en 2008 au cours de la projo de The Dark Knight de Christopher Nolan. Ouf ! Malgré une attente de 15 ans (depuis les prémices dans la tête de son réalisateur), le nouvel opus de George Miller est bien une plongée en apnée dans un monde de violence et de délire, soit tout ce qu’on nous vendait et tout ce qu’on en espérait.
“What a day !”
Tel le phénix, Max le barje renaît bel et bien de ses cendres dans Mad Max, Fury Road, dans un monde toujours rempli de brutes épaisses au cerveau (dé)lavé. Si ses traits ont changé pour ceux de Tom Hardy, son univers reste le même : un festival de punks ultra-violents sillonnant les dunes du désert à bord d’une armada de bric-à-brac tout-terrain (ne manque plus que le Tumbler de Batman). En moins de dix minutes d’exposition nerveuse, à la fois hallucinante et hallucinée, Max est présenté, capturé puis exploité par la bande d’Immortan Joe, un leader fanatique à côté duquel le seigneur Humungus de Mad Max 2 passe pour un gentil représentant de commerce.
Parce que c’est un monde de fous (et que nous sommes au cinéma), ce jour béni est aussi celui où Furiosa (Charlize Theron), la poule de luxe d’Immortan, se fait la belle en emmenant tout le harem du dictateur asthmatique. Après que sa bonne étoile (ou la Loi de Murphy) l’ait libéré de ses chaînes au cours d’une poursuite d’anthologie, Max rejoint l’odyssée de Furiosa, censée guider tout son beau monde vers un Eden dont elle prétend connaître le chemin…
Mad Max, Fury Road : la résurrection
Au petit jeu des comparaisons, le retour de Max est digne de celui d’une autre icône des années 80 revenue faire du bruit en 2008 : John Rambo. Au même titre que le défouraillage hallucinant de salopards par le béret vert aigri, le carnage de Miller simplifie ses enjeux pour maximiser l’impact de son spectacle, Fury Road n’étant qu’une interminable course-poursuite. Différence : Mad Max 4 est une relecture/sublimation non pas du personnage, mais plutôt de toute la mythologie dans laquelle il évolue. Là où l’on aurait attendu du “neuf”, le réalisateur australien ressort de la naphtaline les loubards au look rétro-futuriste et autres convois de véhicules dingues qui ont fait la renommée de la franchise depuis les années 80. Trente ans après, quelle surprise de voir que malgré le manga Ken le Survivant et un Mad Max 3 horriblement cheesy, la formule n’est en rien datée si le traitement esthétique déboîte.
Il faut en revanche avouer que Max est terriblement effacé dans Mad Max, Fury Road. Un choix qui pourra surprendre les nouveaux spectateurs, mais pas ceux qui se rappellent le traitement du personnage dans les deux premiers opus. Le “Road Warrior” a toujours été une victime des circonstances, d’abord obsédé par la vengeance (opus 1) puis la rédemption (opus 2), prenant parti uniquement après une longue réflexion ou parce qu’il n’en a tout simplement plus le choix. Comme tout bon héros de western (ou de polar hard-boiled tendance Shane Black), notre ami est toujours malmené, humilié et battu comme plâtre par des bandits de grand chemin, qui auront bien cherché qu’on leur renvoie la balle (de fusil) en pleine poire.
Poussant plus de borborygmes qu’il ne prononce de phrases entières durant tout Mad Max, Fury Road, le guerrier de la route version Tom Hardy passe carrément la première partie affublé d’un masque de fer (le fantôme de Bane n’est pas loin) et se montre incapable de communiquer avec quiconque sans lui pointer un flingue sur la tempe, fut-il une femme. Plutôt que personnage principal, Max s’improvise ici garde du corps du harem en fuite de Joe, tout comme il s’insérait comme élément perturbateur mais décisif dans la lutte entre les exploitants de pétrole et Humungus dans les années 80. Il n’est pas l’élément central de l’histoire, ce rôle étant dévolu à Furiosa, mais son intervention va tout changer.
“Vous battez pas ! Y en aura pour tout le monde !”
“D’oooooooooome !”
1985. Date officielle de la mort de la franchise avec le très, très (mais alors très) mal aimé Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre. La faute à l’influence de tout ce que les années 80 faisaient de plus mauvais : costumes et coiffes au rabais, musique de Maurice Jarre, Tina Turner et surtout une volonté de filmer un spectacle tous publics (ou presque, vu qu’il y a littéralement beaucoup de merde dans cette histoire-là). Une ambition family friendly qui ne cadre pas du tout avec les origines de la franchise, née des angoisses et obsessions morbides de George Miller pour les accidents de la route.
C’est simple, avec du recul, on dirait Mad Max chez les Goonies : un humour pipi-caca, une famille de gosses à sauver, un nain rigolo accompagné d’un descendant de Sinok, et surtout un homme de main qui meurt à répétition en poussant des cris aigus… Ce n’est pas pour rien si ce nanar a été parodié. Pourtant, si Miller avait refait le même aujourd’hui, il y a fort à parier que Thunderdome aurait dépouillé autant que Mad Max, Fury Road. La raison ? ON N’EST PLUS DANS LES P***** D’ANNÉES 80 ! Le monde a changé, le public a changé, le cinéma a changé, et depuis The Dark Knight, un certain Nolan a prouvé qu’on pouvait faire un film noir, malin et tous publics en sous-entendant seulement le gore et le malsain.
Le blockbuster du réalisateur de Happy Feet ne verse ainsi jamais dans une violence voyeuriste. Il nous montre une tripotée de monstres de foire, des transfusions sanguines, des morts concassés entre deux mastodontes de métal, certes même quelques gouttes de sang… mais la violence y est avant tout graphique et jamais abusivement représentée (cf. une césarienne effectuée hors champ). En gros, tout comme le second opus de Batman par Christopher Nolan, Mad Max, Fury Road fait l’effet d’un film R tous publics. Une sacrée performance. Si l’opus 3 était une victime du pire des eighties, le mythe profite ici du meilleur des années 2010 : un budget gonflé, une tonalité adaptée et des avancées techniques permettant les meilleurs carnages routiers. Après tout, qu’est-ce qu’on est venu regarder ? 🙂
Journée de la femme…
“I’ve got the power !”
Enfin, à nouvelle époque nouvelles obsessions, notamment en ce qui concerne les rouages du pouvoir. L’horrible Immortan est un digne successeur de Humungus dans Mad Max 2 et Entity (soupir) dans Mad Max 3, en cela qu’il manipule ses ouailles à l’aide d’un nouvel atout au parfum d’actualité : le fanatisme, le vrai ! Là où respectivement le premier promettait le pouvoir par la richesse (l’essence, le plus grand des trésors) et la seconde était une politicienne que n’aurait pas renié l’empire romain, Joe est quant à lui un infâme gourou charismatique racontant des cracks à son peuple, en basant son système et sa “religion” sur des emprunts hasardeux à la culture de consommation d’un vingtième siècle oublié.
Ainsi baptise-t-il l’eau de sa source souterraine “aqua cola” (WTF ?), quand ses War Boys vouent un culte au dieu V8 (hein !?) et se kamikazent la gueule dans la bonne humeur en croyant qu’ils renaîtront au Valhalla (ah la la…). Bien sûr, divinité oblige, Jojo se réserve à lui et sa famille le droit de profiter des plus belles femmes, dans l’espoir de préserver une lignée de sang pur. L’autre richesse par-delà le carburant, la bouffe ou simplement la flotte, ce sont bien les femmes, porteuses de vie et donc espoir pour l’avenir.
De façon plus générale, la Vie, c’est le sang humain dont se repaissent les War Boys pour combattre la faiblesse et la maladie. Max, donneur universel, s’avère un trésor à lui tout seul dans un tel monde. Une autre piste intéressante voire fascinante, mais qui sera seulement évoquée à défaut d’être exploitée (peut-être pour une suite ?). Miller préfère en effet se consacrer au devenir du beau sexe, mais on ne peut pas trop lui en vouloir.
C’est bon, c’est beau, c’est barje !
Mad Max, Fury Road, c’est Mad Max 2 en mieux. Au petit jeu du reboot / fausse suite, George Miller a réussi son pari. Les rappels à la trilogie originale sont subtils (l’Interceptor, le camion-citerne-forteresse, le plan célèbre sur les yeux exorbités repris de façon subliminale), son film est beau à en pleurer (merci la Namibie, terre d’accueil du tournage), le récit est constamment en mouvement de la première à la dernière image, et le monde de Max est complètement fou, que ce soit ses personnages comme son aspect visuel. Il l’est parfois même sans raison, ce qui tour-à-tour fascine (ces espèces de maraudeurs sillonnant les marécages) ou exalte (un métalleux infatigable devrait bien vous faire rire). Film de cavale jamais à court de carburant, Mad Max, Fury Road est un spectacle intemporel et grandiose, une hymne à la barbarie, un pétage de plomb festif et désinhibé.
Pourtant, au-delà de sa démesure (on dit que la prod a allongé la thune de bon cœur pour en rajouter), cela reste pour l’instant “Mad Max 2.0”, dépoussiéré et actualisé. George Miller fait revivre son héros martyr au travers d’une aventure entre hommage et continuation, avec une ardeur et une maîtrise technique incroyables. Pour une fois, l’arlésienne n’aura pas déçu, mais reste à savoir ce qui attend Max Rockatansky dorénavant. Tel James Bond, Tom Hardy aurait signé pour renfiler les bottes du guerrier de la route pour au moins trois autres longs-métrages, et le réalisateur lui-même avoue ne pas manquer d’idées. Le duo saura-t-il en revanche s’envoler au-delà des promesses, ou va-t-on fatalement retourner s’enfermer… sous le Dôme du Tonnerre ? ^_^
Un des bolides de la poursuite finale de Mad Max 3. (sans commentaire…)
LES + :
- Mad Max, Fury Road est jouissif, régressif, classique, beau, sauvage, inespéré…
LES – :
- Que reste-t-il pour la suite ?