C’est les ados qui étaient contents dans les salles quand je suis allé voir presque coup sur coup Saint Seiya et Kingsman. Les chevaliers du Zodiaque contre ceux de sa Majesté. D’un côté une nipponerie débridée en CGI remplie de mecs balèzes en armures aux superpouvoirs mythologiques, qui se prennent grave au sérieux et sont capables de détruire des villes d’un seul coup de poing. De l’autre, un film d’espionnage occidental stylé, mixant habilement second degré et violence décomplexée avec un équilibre inattendu. Et entre les deux a priori sans rapport, on trouve malgré tout d’intéressants points communs.
Kingsman, Saint Seiya… C’était mieux aaaavaaaaant.
Tout d’abord, les deux films mettent en scène des ados surpuissants aux responsabilités les plus élevées. Ils sont perçus par les représentants du pouvoir (qu’ils soient Chevaliers d’Or ou de la Table Ronde) comme des outsiders certes amusants mais sans espoir, jusqu’à ce que leurs efforts leur vaillent une légitime reconnaissance.
Ensuite, tous les deux sont emprunts de nostalgie pour une époque et une mythologie presque archaïques mais restées gravées à jamais dans nos mémoires. Pour La Légende du Sanctuaire, c’est le shônen en général (manga pour garçons) et donc Saint Seiya en particulier que le film exploite. Une série jamais vraiment terminée aujourd’hui (sur le papier comme en anime) mais dont la popularité était au plus haut chez nous lors de sa diffusion sur le Club Dorothée au début des 90s. Chez Kingsman, bien qu’adapté d’un comics récent, on exploite en revanche l’imaginaire lié à l’agent façon “James Bond”, en tailleur so british, flegmatique et mortel, gadgets et dialogues piquants en option.
Dans leur traitement enfin, les deux métrages essaient d’injecter beaucoup de sang neuf à leur matériau (en matière de design, de mise en scène et de ressorts dramatiques). Les résultats sont à chaque fois franchement subversifs, mais pas pour les mêmes raisons.
Saint Seiya : “As-tu déjà ressenti le cosmos ?”
On commence par Saint Seiya, le cas d’école de l’adaptation japonaise faite avec plein d’idées et beaucoup de couilles, mais aucune qui ne marche vraiment (Albator, quoiqu’on en dise, c’était un vrai film au moins). Athéna, déesse réincarnée au Sanctuaire (une citée divine dans les nuages), est enlevée et cachée sur Terre par un de ses défenseurs, le Chevalier d’Or du Sagittaire, qui casse sa pipe juste après. Elle est alors sauvée par un milliardaire et protégée par ses véritables gardiens, cinq jeunes et vaillants chevaliers de bronze. Le Sanctuaire étant contrôlé par un Grand Pope maléfique désireux de tuer Athéna à tout prix, la bande décide de s’y rendre en téléporteur pour aller s’expliquer direct à coups de tatanes.
Tout ce que la presse a pu en dire est vrai : si vous connaissez, vous serez mortellement atteint au cœur par une flèche d’or, et si vous ne connaissez pas, vous serez troublé par un lot impressionnant de blancs scénaristiques. Soyons beaux joueurs, on était averti : comment ne pas tailler dans le gras en choisissant l’arc le plus populaire, très dense et donc pas facile à adapter en seulement 1h30, budget oblige ? Du coup, pas mal de changements et d’oublis ont été faits. Les origines et le caractère des héros sont survolés (Seiya mérite des baffes), les sous-intrigues ont été abandonnées, le méchant est devenu un cliché et SURTOUT l’organisation des combats a été chamboulée. Sauter d’une maison à l’autre n’est plus si difficile qu’avant, et si tu veux voir Ikki contre Shaka… Hahaha… eh ben t’es mignon. Et bien sûr, comme on est au Japon, impossible de ne pas glisser un ou deux monstres géants à la fin, en dépit du bon (septième) sens de quiconque aura lu le manga. Une vraie surprise toutefois, puisque rehaussant artificiellement l’intérêt du spectateur qui se dit alors “WTF !?”
Pourtant… on va voir évidemment Saint Seiya pour mater les chevaliers du titre se taper enfin sur la gueule en 3D. Et avouons-le, les gars ont mis le paquet dans le spectaculaire. Les combats sont bourrins à souhaits et soignés, et le production design est hallucinant : le Sanctuaire ressemble à un niveau perdu du prochain God of War sur PS4, et les armures ont été entièrement redessinées, souvent pour le meilleur. Si certains chevaliers d’Or sont ouf de classe (le Taureau ou le Scorpion) le pari de refaire les héros-titre en 3D était compliqué. Le résultat est un peu éloigné de ce qu’on connaissait mais rend réalistes des armures qui ne l’étaient pas du tout sur le papier.
Les Chevaliers du dance floor
Après, ce film et tous ses choix tape-à-l’œil s’expliquent aussi par le fait que les Japs sont fans de produits dérivés, et que la Toei pourra ainsi continuer à faire tourner la machine, grâce à tous les goodies tirés du film qu’on ne voyait pas avant dans la mythologie de la franchise. Par exemple, le fait que les armures surgissent de… plaquettes, allant du simple pendentif à de gros ornements qu’on pourrait accrocher sur sa cheminée. Aaaah, le Japon…
PS : Avouons que par malchance, j’ai vu le film en VF. Or, les dialogues font carrément l’impasse sur le signe de chacun des chevaliers (T’es quoi toi ? Le Dragon ? Le Cygne ? Ouais, t’as raison, c’est pas important…). J’ignore si cette lacune épouvantable est due au doublage ou carrément à un taillage de trop dans le scénario.
Kingsman : “Bon. Très bon.”
Si Saint Seiya fait donc l’effet d’une tarte à la crème (pas mauvaise quand on la goûte mais énervante quand on se la prend), le film de Matthew Vaughn est en revanche une tarte tout court dans la gueule ! La promo mettait l’accent sur un design coloré et un argument jeuniste qui me rappelaient les mauvaises blagues Alex Ryder ou Cody Banks. Pourtant, suite à des critiques plutôt enthousiastes, je m’y suis risqué un peu à tâtons, il faut l’avouer. Eh bien que nenni, papy !
Le film nous raconte l’histoire d’Eggsy, fils d’un ancien agent de Kingsman, une boîte super méga secrète d’espions anglais. Un jour, Galahad, ancien ami de son père, invite Eggsy à ne plus gâcher son talent dans sa banlieue sordide de prolos mal éduqués. Mais tandis que le jeune homme suit un entraînement de malade pour devenir le prochain Kingsman, le terrifiant Valentine (El Jackson, en Steve Jobs zozotant) fomente un plan aussi débile que démoniaque pour tuer l’Humanité tout entière.
Dès les premières minutes, la grande force de Kingsman, Les services Secrets réside dans son style. Littéralement. A la fois dynamique, décalé et élégant, le film emporte déjà l’adhésion sur le plan artistique. Ensuite, contrairement à ses infâmes faux-frères cités plus haut, il trouve un véritable équilibre en la personne d’Eggsy. Le sale môme écoute certes une musique de sauvage et s’habille comme un sac, mais il inspire tout de suite la sympathie, et pas seulement parce que sa mère s’est encanaillée avec un dealer abusif et mal léché qu’on aimerait tous tabasser à coups de chaise. Non. Autant l’interprète que l’interprétation en font un vrai personnage, certes simple, mais non un simple prétexte. Rajoutez derrière un supporting cast hallucinant (Colin Firth, Mark Strong, Michael Cain), des méchants truculents et bien employés (Valentine et sa mortelle assistante Gazelle) et les corps-à-corps les plus dynamiques, spectaculaires et bien filmés jamais vus !
C’est bien simple, Jason Bourne est une fiotte, et les expérimentations redondantes de Paul Greengrass dans La Vengeance dans la Peau passent après ça pour un ixième found footage dégueulasse. L’action reste ici toujours bien découpée et lisible, mais la caméra se permet en plus de voltiger d’un point de vue à un autre en une fraction de seconde, en pleine action, certes souvent de façon suspecte (transition par ordinateur ?) mais sans nous laisser le temps de souffler.
Le point d’orgue est une scène mémorable filmée dans une église bourrée de conservateurs texans fanatiques. Évitons de spoiler, mais sachez que cette scène constitue aussi un point de non retour : celui de l’irrévérence jusqu’au-boutiste. Contrairement à Alex et Cody, Kingsman n’est PAS pour les enfants, ni même pour les âmes sensibles. Évitez donc d’y emmener votre chiard après Saint Seiya si vous ne voulez pas lui expliquer “pourquoi les gens ils sont morts comme (description épouvantable), papa ?” En gros, on peut dire que Kingsman résume en un seul film le cœur des sept tomes de Harry Potter mais dans une école d’espions, la violence et le cynisme typiquement adultes corrodant de plus en plus le film à mesure qu’il progresse vers un nihiliste dénouement.
Le plan de Valentine se base ainsi INTÉGRALEMENT sur la violence elle-même, et le final gore (sûrement le plus gore jamais vu dans un film grand public) est édulcoré par un effet hippie le rendant étrangement festif ! Brrrrr… Mais aussi YAAAAAY ! Pour finir, donnez du goût avec un zeste d’humour référentiel, fortement axé sur Bond mais n’oubliant pas de citer d’autres figures d’importance de la pop culture moderne (cf. le nom du chien d’Eggsy), et une jeunesse des personnages ne cédant JAMAIS au jeunisme facile. ALLELUIA !
Verdict
Pour résumer, le film de Matthew Vaughn est dynamique comme un Bourne, stylé comme un Bond, coloré comme X-Men Le Commencement et violent comme jamais auparavant. Peu importe ses défauts, du moment qu’une suite encore plus dingue vient les corriger rapidement. En clair : Kingsman fait mieux que les saints d’Athéna.