Dans Silent Hill 2 Remake, James Sunderland se rend à la petite bourgade de Silent Hill, après avoir reçu une lettre de sa femme, Mary, l’invitant à l’y rejoindre. Le hic, c’est que Mary est morte de maladie il y a trois ans. Le cœur brisé depuis, il est prêt à croire n’importe quoi pour avoir une chance de la revoir. « Je t’attends dans notre endroit spécial », précise-t-elle. Ne sachant par où commencer, James s’enfonce dans la ville. Très vite, il réalise qu’elle est désertée, noyée dans un brouillard surnaturel et envahie de créatures cauchemardesques. D’autres personnes aussi perdues que lui vont croiser sa route dans sa quête de vérité…
Silent Hill 2 est le remake du titre original sorti en 2001. Ce dernier est considéré comme un chef- d’œuvre à juste titre, au point qu’il a popularisé le concept de jeu d’horreur psychologique. C’est le studio polonais Bloober Team (Layers of Fear, The Medium), fan de la série, qui se charge du projet, après avoir postulé volontairement auprès de Konami. Les férus de la licence avaient peur, surtout après les précédents efforts du studio. Les jeux de Bloober se sont souvent faits critiquer pour traiter les troubles psychologiques par-dessus la jambe. Au mieux, ils en faisaient un prétexte, au pire, un gimmick. Comment allaient-ils gérer Silent Hill 2 Remake ?
La peur de Bloober
Depuis Silent Hill 4 en 2004, les opus suivants avaient été développés par des studios occidentaux. Ils avaient la fâcheuse tendance à régurgiter les motifs de la franchise sans les développer ni se les approprier (à l’exception de Shattered Memories, remake extrêmement libre du premier épisode). On était donc sceptique à l’annonce de ce remake.
Konami n’a pas arrangé les choses. Outre ce nouveau Silent Hill 2, la saga revenait en grandes pompes avec une flopée de titres. Malheureusement, le premier sorti en octobre 2023 a été une mauvaise blague, la série interactive Silent Hill Ascension, dont tout le monde se foutait. L’éditeur a ensuite fait amende honorable en sortant Silent Hill : The Short Message en février 2024. Bien que gratuit en téléchargement, c’était un simulateur de marche et une brève expérience. Surtout, elle n’a pas fait l’unanimité sur sa manière de traiter les thèmes du harcèlement, de la dépression et du suicide (youpi).
Pour finir, les bandes annonces de Silent Hill 2 n’ont pas convaincu. Elles mettaient l’accent sur le combat (ce que les jeux ont toujours le plus raté) sans être visuellement impressionnantes. Bref, Bloober faisait peur, le projet faisait peur, et on avait de bonnes raisons. D’autant que c’était leur premier titre avec du vrai gameplay, habitués jusqu’alors à faire des simulateurs de marche. The Medium, pourtant à la 3e personne, n’avait pas grand chose à offrir en plus.
Maintenant qu’il est là, on peut dire tout de suite que Silent Hill 2 Remake est le premier « jeu » réussi de Bloober (le premier jeu « réussi », ça marche aussi). La question qui reste, c’est de savoir à quel point, et surtout, s’il est à la hauteur de son modèle.
Silent Hill 2 Remake est le jeu de Bloober
La « plus-value » apportée par Bloober Team consiste en une refonte graphique (heureusement), une surenchère d’action, et des nouvelles zones et subquests qui rallongent souvent artificiellement la durée de vie.
À cela, il faut ajouter des mécaniques de gameplay qui n’ont rien d’exceptionnel, avec des zones d’interaction bien mises en évidence (même sans aide de l’interface), un déplacement de bennes, un système de combat et des pas d’esquive tirés de The Last of Us II. Comme pour prouver que l’inspiration était bien un problème, le jeu réutilise même ses propres gimmicks ad nauseam, comme lorsque James hésite à sauter dans le vide ou à plonger sa main dans un trou visqueux. Tout ça est répétitif plus que de raison, et casse finalement souvent l’immersion.
D’autant qu’à mesure qu’on progresse, Silent Hill 2 Remake recycle ses mécaniques avec la précision d’un métronome. Cela rend prévisible la plupart des rencontres (une arène jonchée de corps ennemis inertes n’est jamais là pour faire joli), mais aussi le déroulement des puzzles. Avertissement, la règle de trois, voire parfois quatre, s’applique régulièrement pour trouver les clés-items avant de résoudre l’énigme qui déverrouille la suite du voyage. Plus que jamais, nous sommes bien prisonniers d’un jeu appelé Silent Hill plutôt que de la ville éponyme.
Un remake asexué
Pire, cette nouvelle version aseptise subtilement l’imagerie et le sous-texte de l’original, notamment moult détails à caractère sexuel. Les puristes savent que Silent Hill 2 n’était pourtant nullement obscène (un nombril nu par-ci, une posture suggestive par-là, un coup d’œil lubrique discret, etc.). D’autant que, sans surprise, l’équipe prend des libertés dans son interprétation des thèmes et des personnages.
Ce n’est pas si grave et on ne peut pas y échapper. RE 2 et Dead Space sont passés par-là. Mais la mise en scène et la nouvelle direction d’acteurs sont moins recherchées qu’il y a vingt-trois ans (à ne pas confondre avec les acteurs, très bons dans l’ensemble). Et Maria est la seule dont le design et l’attitude ont été grandement altérés, pour des raisons qui laissent songeur. On peut se demander si l’approche du studio se veut plus romantique (la belle excuse) ou si l’équipe était trop prude, pour ne pas dire carrément chaste.
Pour être plus clair, ce nouveau regard est donc plus pudique et moins subtil que l’original, ce qui rend le remake… moins mature, paradoxalement. Evidemment, il faut avoir « vécu » Silent Hill 2 à l’époque pour s’en rendre compte. Malgré ces changements, Bloober fait moins de dégâts qu’on le craignait, et l’histoire et la progression narrative sont respectées à 85 %.
« Combat mode ! »
On peut faire des reproches à Bloober Team, mais pas celui d’être un bon élève. Le studio s’acquitte avant tout de sa vraie mission cachée derrière ce remake : ressusciter la franchise, en PLS depuis 12 ans. Pour ça, ils choisissent le recyclage autant que l’hommage, pour le meilleur comme pour le pire.
Au même titre que RE 2 version 2019, Silent Hill 2 Remake combine des ingrédients des opus précédents pour (essayer d’)obtenir le meilleur résultat. À l’histoire de Silent Hill 2 se greffent désormais des combats dans le prolongement de Homecoming. L’exploration et l’interaction avec la carte sont repris de Downpour, tout en étant assez dirigistes pour ne pas s’égarer. Il y a des ennemis tous les dix mètres comme dans Origins, et la dimension infernale s’inspire plus de Silent Hill 3. Ajoutez à cela que les repères visuels ont déjà fait leurs preuves chez la concurrence. Au moins, les énigmes restent dans le ton, alambiquées mais pas trop, mélange de l’ancienne édition et de nouvelles idées souvent bien vues.
En 2001, Silent Hill 2 était une expérience narrative viscérale, livrée dans l’écrin d’un jeu vidéo. En 2024, Silent Hill 2 Remake se donne pour objectif d’améliorer surtout le confort de jeu. Il n’est plus question de se démarquer, mais de s’adapter. L’idéal est de rentrer dans un moule confortable, à la fois pour les joueurs et pour Konami. Une très mauvaise idée, certes, mais qui ne donne pas forcément un mauvais résultat.
Pensée pessimiste…
C’est ironique de se dire que le meilleur titre de Bloober à ce jour n’a strictement rien inventé. Son semblant d’identité et ses meilleurs aspects proviennent d’un jeu de plus de vingt ans. C’est au point d’avoir même fait revenir deux acteurs majeurs de son développement, le compositeur Akira Yamaoka et le chara designer Masahiro Ito.
Cette refonte n’est pas un chef d’œuvre à la hauteur du modèle, même si elle conserve ses atours et sa trame. Pendant le développement du jeu d’origine, Silent Team, le studio japonais des débuts, basait sa réflexion et s’inspirait de la littérature (dont Crimes et Châtiments) et du cinéma (les films de David Lynch et de John Carpenter, ou encore L’Echelle de Jacob). Un quart de siècle plus tard, ce remake est fait par une nouvelle génération qui a grandi avec Silent Hill 2 et s’inspire surtout de lui. À l’image d’une relation consanguine, ça ne peut qu’affaiblir son ADN, qu’importe toute la bonne volonté qu’on y met.
Puisque l’histoire faisait la force de l’original, Bloober se concentre beaucoup (trop ?) sur le gameplay. Ils ont peut-être raison, en tout cas, en principe. L’ambiance sonore et la bande originale mélancolique ont aussi contribué au culte de Silent Hill. Merci Yamaoka, de retour ici avec de nouveaux arrangements, et même de nouvelles compositions.
Constat réaliste
Si Silent Hill 2 est un « jeu » réussi, c’est parce qu’il ne prend aucun risque nulle part. Le moule existait (le jeu original). La matière aussi (l’histoire longue de la franchise). Et les rivaux auxquels piquer des trucs ne manquaient pas. Pour enfoncer le clou, le studio a avoué très tôt vouloir utiliser ce remake comme tremplin pour passer AAA et concevoir désormais des gros jeux. On comprend d’autant mieux le choix opportuniste de refaire un chef d’œuvre, l’orientation action et la retenue de leur dernier titre, conçu pour être avant tout un produit et une bande démo. Le mal est fait, mais ce n’est pas un tort, puisque cette nouvelle version reste une bonne expérience jouable. Par contre, ça inquiète quand même pour l’avenir.
Un remake n’efface pas l’original. Toutefois, avec du temps, il va finir par devenir la nouvelle référence, puisqu’il est plus accessible, plus beau et mieux ergonomique. (Les options d’accessibilité dans le menu sont d’ailleurs nombreuses et très satisfaisantes.) C’est inévitable, Silent Hill 2 Remake va voler l’aura de l’œuvre séminale, car plus récent. Sauf que, à cause de sa frilosité, il va aussi la dénaturer et l’appauvrir. Les suites précédentes avaient déjà commencé à le faire. La plupart s’évertuaient à décliner Silent Hill 2 et son traitement du trauma, jamais aussi bien et au point de banaliser la formule (Origins, Homecoming et Downpour). Une étape est franchie ici, puisque cette fois, on refait carrément le titre emblématique.
Une attaque menée en plus sur deux fronts, puisqu’au cinéma, le réalisateur Christophe Gans prépare sa propre adaptation de Silent Hill 2. Comme Bloober, il en rêvait depuis vingt ans. Et là aussi, les premières images font douter du résultat, suggérant très fortement un décalque de son idole. On verra bien.
La vérité toute nue
Déception mise à part, il faut accepter que le studio polonais a fait « son » Silent Hill 2. Or, objectivement, ce dernier demeure un bon jeu d’horreur, soit une alternative pour ceux qui ont fait le tour des derniers Resident Evil, The Evil Within et Dead Space. Si les combats sont perfectibles, ils réservent leur lot de surprises, surtout les boss. Et grâce à des jumpscares efficaces, à une ambiance sonore enveloppante et au design général, l’aventure parvient souvent à faire sursauter, à mettre mal à l’aise et à donner envie de s’enfoncer toujours plus dans la brume et l’obscurité, pour savoir le fin mot de l’histoire.
LES + :
- Ça fait plaisir d’être de retour.
- Globalement, le jeu préserve la trame originale. (Les fins alternatives aussi.)
- Si on aime jouer, le prolongement des zones, les quêtes et le combat font le job.
- Sur le plan de l’horreur stricte, le décor, l’ambiance sonore et le level design parviennent souvent à mettre la pression.
- La bande-son mythique du jeu fait toujours vibrer l’oreille.
- La jaquette réversible reprend le visuel de l’édition collector PS2 de 2001. C’était le bon temps…
LES – :
- Par rapport à l’original, un remake pudique et aseptisé, pour ne pas dire asexué (moderne, quoi).
- Les ajouts rallongent certaines fois le jeu plus que de raison.
- Une direction d’acteurs qui déroute parfois.
- Une mise en scène peu inspirée.