Le jeu vidéo et le cinéma entretiennent une vieille relation amour-haine, marquée par bien plus de ratés que de réussites. Pourtant, même une adaptation calamiteuse peut révéler quelque chose d’intéressant si on la regarde sous le bon angle. Transposition, émulation, réappropriation ou simple prolongement : voici cinq adaptations de jeux d’horreur au cinéma, pour un résultat plus ou moins heureux. Chacun à sa manière, ces longs métrages représentent une façon d’aborder la transition d’un média à l’autre, et la maturation lente du procédé. Peut-être qu’un jour prochain, elle aboutira à la création d’un objet filmique à part entière.
 
											Silent Hill (Christophe Gans, 2006)
Rose (Radha Mitchell) cherche à sauver sa fille adoptive, attirée par la ville fantôme de Silent Hill. Mais une brume étouffante, des fanatiques religieux et des monstres cauchemardesques transforment sa quête en descente aux enfers.
La force de Silent Hill comme licence, c’est de ne pas reposer sur un héros iconique, mais sur un univers malléable permettant à chaque jeu de réinventer personnages et enjeux. Hélas, Gans choisit de refaire plus ou moins le premier jeu, avec un respect absolu pour l’esthétique de la licence et sa musique originale… quitte à ne pas vraiment adapter la saga sur grand écran.
La version ciné de Silent Hill est belle, poétique et fidèle. Malheureusement, elle n’est jamais effrayante ni angoissante. Gans reproduit l’ambiance de son modèle, et même certains plans, mais aussi la progression typique d’un jeu vidéo. Rose avance du point A au point B, puis suivants, trouve des indices, fait des rencontres, puis poursuit sa route jusqu’au « niveau » suivant. Quant à l’interprétation en bois et aux dialogues assoupis, ils sont au diapason du jeu, mais l’on doute qu’ils soient volontaires.
On a trop souvent l’impression d’assister à une partie filmée de Silent Hill sur PSOne en 1999. Même si le long métrage subvertit parfois nos attentes en réinventant certaines choses (l’explication de la brume, la nouvelle nature de la secte), il ne parvient pas à nous projeter dans cet univers, ni à susciter le malaise.
Silent Hill est une adaptation « miroir » : fidèle à l’excès, séduisante visuellement, mais trop propre et sans supplément d’âme.
 
											Doom (Andrzej Bartkowiak, 2005)
En 2046, Sarge (Dwayne Johnson) et son escouade armée débarquent sur Mars après l’évasion d’une créature meurtrière. Ils se font vite décimer un à un par une menace qu’ils n’imaginaient pas…
Oubliez les démons de l’enfer, remplacés par un virus passe-partout. Oubliez aussi la tension oppressante de Doom 3. Le film préfère singer Aliens avec une escouade de trouillards, au lieu d’un super soldat badass. Doom réussit moins comme adaptation que comme émulation. Ambiance sonore, décors sombres, BO fidèle, bestiaire signé Stan Winston, BFG… Tout respire le jeu.
Malheureusement, ça reste un film de SF sans ambition, l’équivalent luxueux des séries B italiennes des années 1980 (Contamination, La Galaxie de la Terreur). Au moins, contrairement à Silent Hill, le film de Bartkowiak a l’intelligence de limiter la citation plan-plan de son modèle à une séquence en FPS n’excédant pas 5 mn. Cela seul prouve qu’il a essayé d’être un vrai film, même si les vrais films ont le droit d’être ratés aussi.
L’adaptation de Doom 3 au ciné rappelle les portages de Doom 1993 sur les consoles de l’époque. Il fait ce qu’il peut sur un médium moins immersif et permissif. Le résultat n’est pas une bonne adaptation, mais un pastiche honnête pour fans indulgents de la saga et de films bis.
 
											Resident Evil : Bienvenue à Raccoon City (Johannes Roberts, 2021)
Raccoon City, septembre 1998. Alors que le STARS, équipe de choc de la police locale, est envoyé inspecter un manoir dans les montagnes, la ville est en proie à une épidémie infectant la population et les animaux Les rares survivants vont devoir échapper aux monstres et quitter la bourgade, avant qu’elle ne soit rayée de la carte.
Johannes Roberts essaie de combiner les intrigues des remakes de RE1 et RE2, mais avec un budget rachitique. Résultat : la ville est réduite à un plan numérique, dix figurants forment l’armée de morts-vivants, et bien des personnages sont trahis par une écriture et un casting à la ramasse (Léon, Jill, Wesker).
Plutôt qu’une véritable adaptation, Resident Evil : Bienvenue à Raccoon City ressemble à une transposition cheap. Interprètes médiocres, ambiance kitsch, effets datés… Attendez une minute ! En fait, Roberts n’adapte pas vraiment les jeux. Il reprend à son compte la formule de la cinématique d’intro en FMV du tout premier Resident Evil, sorti sur PlayStation en 1996. Malheureusement, l’intro dure moins de 5 mn, alors qu’il faut subir le film pendant 1h30. Or, l’amateurisme, ce n’est drôle qu’à petites doses.
Entre nanar et navet, ce reboot au cinéma a au moins son mérite bien à lui : aucune autre adaptation de jeu vidéo n’a reproduit sa démarche. Mais c’est normal, puisque Roberts a puisé l’inspiration au mauvais endroit, trop loin dans le temps et des attentes des fans.
 
											Until Dawn : La mort sans fin (David F. Sandberg, 2024)
Clover (Ella Rubin) part avec ses meilleurs amis sur la piste de sa sœur disparue. La nuit tombée, ils trouvent un gîte désert en pleine forêt et sont tués brutalement. Quand la soirée « rembobine » au moment de leur arrivée, ils comprennent vite qu’ils sont prisonnier d’une boucle où leur mort ne sera jamais la même. Pour briser cette malédiction, ils doivent survivre jusqu’à l’aube.
Le jeu original reposait sur un concept simple, mais puissant : vos choix déterminent qui survit. Au lieu d’adapter l’intrigue du jeu, le film ose transposer cette mécanique à travers une histoire originale (reprenant quand même des motifs identifiables du soft).
Dans le film Until Dawn, chaque répétition est une nouvelle partie où les événements, et leur tragique conclusion, sont toujours différents. L’envie de savoir où cela mène, la bonne facture technique de l’ensemble, et des effets gores réussis assurent le spectacle. Toutefois, la formule a ses limites : une intrigue anthologique trop chargée, des enjeux qui patinent, et des personnages peu creusés peuvent finir par lasser. Mais en un sens, c’est aussi une réussite de l’adaptation. La plupart des jeux suivants de Supermassive Games étaient clichés, incohérents ou peu inspirés (Man of Medan, The Quarry).
Au final, Until Dawn n’est pas un grand film d’horreur, mais il tente réellement de transformer une mécanique vidéoludique en expérience ciné. C’est assez rare et partiellement réussi pour être souligné.
 
											Exit 8 (Genki Kawamura, 2025)
Un homme (Kazunari Ninomiya) se retrouve piégé dans une boucle de couloirs de métro sans fin. Pour en sortir, il doit suivre les règles. S’il repère une anomalie, il doit rebrousser chemin. S’il échoue à en voir une ou s’il se trompe de voie, il reviendra à son point de départ.
Adaptation d’un jeu indé sorti en 2023, Exit 8 reste fidèle au concept, mais ajoute une intrigue, avec paternité, vie professionnelle et rencontres récurrentes. Le héros devient un véritable protagoniste, dont l’errance prend des accents mythologiques dignes de Sisyphe et Orphée.
Le début est brillant, presque interactif. Le spectateur se sent impliqué, espérant déceler à l’écran une anomalie en même temps, si ce n’est avant le héros. Cependant, le concept a du mal à tenir sur toute la durée, et la répétition, malgré l’ajout d’enjeux, finit par user le procédé. Néanmoins, le film reste universel, accessible au-delà des joueurs du titre adapté, et démontre qu’on peut transformer un jeu au concept minimaliste en objet cinématographique solide.
Il n’y avait rien à tirer du jeu Exit 8 en particulier. C’est peut-être pourquoi le long métrage arrive à développer considérablement ses mécaniques, et à combler en partie son absence d’intrigue initiale. Au final, si le film n’est pas parfait, il reste prenant et sait se montrer force de proposition.
Le mot de la fin... et le début de quelque chose ?
Exit 8 est le plus récent effort dans le genre, et si l’on continue dans cette voie, il marque peut-être le début des vraies bonnes adaptations de jeux vidéo au cinéma, d’horreur ou pas. Mais il reste à donner naissance à des portages réellement ambitieux, réfléchis, efficaces, et surtout matures. Un mot clé que les producteurs et réalisateurs semblent encore ne pas avoir assimilé. Pas d’inquiétude, la sortie de Five Nights at Freddy’s 2 à la fin de l’année va très vite nous ramener à la triste réalité.
 
							 
							