JokerGotham City, les années 80. Arthur Fleck (Joaquim Phoenix) est un clown des rues qui vit chez sa maman psychologiquement diminuée. Il se laisse faire par tout le monde, de la racaille des bas quartiers à ses collègues de travail, et il souffre d’un handicap gênant, des crises d’hilarité incontrôlables. Rien ne va plus dans les rues : le crime bat des records et Thomas Wayne, futur candidat à la mairie, est perçu comme un sale c** par la plèbe énervée. C’est dans cette ambiance de cocotte-minute sociale que la vie d’Arthur bascule peu à peu, d’incidents malheureux en révélations déstabilisantes. Son état mental déjà enclin à la dérive va se dégrader progressivement, jusqu’à ce qu’il s’accepte vraiment et endosse, enfin, l’identité du Joker.

DC Warner s’étant enfoncé dans la mélasse pendant des années avec une tentative ratée de cinematic universe, la boîte tente doucement de se racheter. Elle poursuit toujours un peu n’importe comment son chemin, mais au moins, ils ont avoué ouvertement encourager des projets indépendants plutôt que de vouloir à tout prix poursuivre un univers partagé. C’est ainsi qu’on se retrouve avec Joker, qui faisait peur dès le départ malgré la participation de Scorsese, et celle de Joaquim Pheonix dans le rôle titre. En cause : la volonté de s’insérer dans la catégorie prequel/reboot sur le parcours d’un personnage phare, et le fait d’avoir confié la tâche au réalisateur de la trilogie Very Bad Trip. Surprise : la chute nous laisse sur le cul.

Joker

I am legend

C’est amusant de constater qu’à quelques semaines d’écart, on a pu témoigner du retour de deux personnages importants de la pop culture. Et l’un comme l’autre, ils ont provoqué une vague de protestation concernant leur ton et leur traitement. Avant le Joker, c’était John Rambo qui était revenu avec Last Blood, un film imparfait mais néanmoins noir, pessimiste et archi violent, qui s’affirmait comme le crépuscule de l’ex-soldat du Vietnam. Au contraire, Joker dépeint le commencement de l’anti-héros éponyme. Mais comme le cinquième Rambo, il montre la violente descente aux Enfers d’un personnage fortement perturbé, et ancré depuis peut-être trop longtemps dans l’inconscient collectif (Rambo depuis presque quarante ans, le Joker depuis le double de temps).

Bref, ces personnages appartiennent maintenant au public. Il est délicat de jouer à l’équilibriste entre ce que l’on en sait et ce que l’on attend. Rambo : Last Blood l’a prouvé à ses dépens. La relecture du Joker par Christopher Nolan dans le The Dark Knight était tout à la fois contemporaine et respectueuse de l’essence du personnage tel qu’il est dans les comics (un terroriste anarchique à l’imagination tordue). Mais il faisait l’impasse sur ses origines, superflues pour « apprécier » le personnage dans le film. Dans la peau de Joaquim Pheonix, le réalisateur Todd Phillips choisit de nous raconter comment le futur adversaire de Batman est devenu ce qu’il est. C’est déjà un risque en soi, mais en plus, il s’autorise le sacrilège d’adapter à sa façon les éléments des comics en la matière (sujets à débat). En clair, il réinvente le mythe du Joker comme Stallone a voulu donner un autre regard sur Rambo.

Il faut bien (mou)rire un peu

Joker est indéniablement réussi, en grande partie grâce à la présence folle de Joaquim Phoenix. Il interprète un nouveau clown tueur mémorable après Jack Nicholson et Heath Ledger, mais surtout plus crédible que jamais. Le problème, c’est que c’est maintenant la subjectivité du spectateur qui va lui donner ses qualités ou ses défauts suivant les cas. Mais il ne faut pas écouter ceux qui vilipendent sa violence (il est largement moins gore que Rambo 5) ou sa noirceur (sur papier, le Joker est un monstre encore pire). Ici, nous n’assistons « que » à la dégradation de l’état mental d’Arthur Fleck, simple quidam qui s’est inventé des chimères pour surmonter sa vie citoyenne, et qui va peu à peu les voir voler en éclats.

Sa moralité, sa capacité à s’attacher, ses inhibitions vont petit à petit lui être retirées au fil d’un récit sans pitié, dont l’écriture et la cohérence surprennent admirablement. Mieux, il joue avec nos attentes ou nos craintes des clichés concernant le traitement ou la conclusion de ses sous-intrigues (on ne saura jamais si Arthur a tué ou non un personnage important, par exemple, et il faut voir les rebondissements successifs liés à son passé familial). Et je préfère éviter de vous dire si oui ou non, il y a des références à Batman. À vous de découvrir combien ce film est intelligent par moments. Enfin, il ne recourt pas à des easter eggs faciles et inutiles, ce qui est franchement rafraîchissant. Joker existe par et pour lui-même.

Joker

Happy birthday

Arthur est donc un type lambda déjà gravement fêlé de la carafe. Mais au fil de ses tragiques mésaventures, il va endosser malgré lui l’identité d’un clown vengeur. On va le prendre pour un tueur de rupins politiquement engagé (coucou les fake news !). Il devient ainsi le symbole des pauvres et des opprimés, déjà à deux doigts de lancer la révolution. On comprend pourquoi les gens critiquent le film pour sa prétendue violence sociale et son message douteux. Joker se déroule dans les années 80, connues pour l’atmosphère anxiogène liée à l’explosion de la criminalité. Mais la tension à Gotham et ses raisons « politiques » rappellent un peu trop ce qui se passe en ce moment à la maison (càd aux USA).

Comédien de stand-up raté et fantôme social, Arthur Fleck prend plaisir à représenter subitement quelque chose. Il incarne un symbole, une grandeur qui lui échappe. Un cercle vicieux s’inscrit alors. Arthur encourage la révolte, qui encourage Arthur, et ainsi de suite. Ceci jusqu’au dénouement sacralisant littéralement la figure du Joker comme héros de Gotham. La ville est pourtant tombée plus bas que jamais. Surtout que ceci se produit après une intervention télévisée d’une hypocrisie et d’une tension extrême. Un rappel de certaines figures politiques douteuses sévissant actuellement au pays de l’Oncle Sam.

Joker

La chute

Comme Rambo : Last Blood récemment, on dénonce le film pour son recours à la violence et son prétendu message. Or, une dénonciation, il l’est déjà. Comme des enfants susceptibles, beaucoup de monde semble lui rejeter la faute, trop gênés sans doute de voir leur propre m**** en face. À la fin du film, le Mal gagne et ce n’est pas si mal. Il faut pourtant plus le prendre à la rigolade et en guise d’avertissement, que comme un encouragement à la violence et à la bassesse morale. Nous sommes déjà tous des victimes. Évitons de devenir des Joker.

LES + :

  • Joaquim Pheonix, bluffant.
  • Une ambiance noire et presque anxiogène.
  • C’est le même gars qui a réalisé les Very Bad Trip ? Eh ben, surtout, qu’il continue comme ça !
  • Un avertissement très efficace sur les dérives de la société actuelle, en particulier les médias et la quête de célébrité.

LES – :

  • Le film est plutôt nihiliste, en accord avec le personnage. Mais son ton ne plaira peut-être pas à tout le monde. Joker est à prendre au cas par cas.

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