Dans Jupiter Ascending, Jupiter Jones (Mila Kunis) est une fille d’immigrés russes qui survit tant bien que mal en récurant les chiottes des riches de Chicago. Sa vie craint jusqu’au jour où Caine Wise (Channing Tatum), un hybride homme-chien, descend du ciel en rollers anti-gravité pour la sauver des griffes de tueurs extraterrestres. Ceux-ci travaillent pour la puissante famille Abrasax, les propriétaires de la galaxie. Son code génétique donne en effet à Jupiter le droit de leur reprendre légalement la propriété de la compagnie familiale. Mais si Jupiter veut faire valoir son héritage, elle devra faire vite, car la Terre est en réalité une ferme naturelle et sera “moissonnée” dans quelques jours par les Abrasax…
Fidèles à eux-mêmes, les Wachowsky frère et sœur (urgh !) sont de retour pour un résultat qui va rassurer leurs détracteurs et alimenter les pipes à crack de leurs fans. Déjà, le retard de six mois de leur dernier blockbuster ne rassurait personne : officiellement, c’était pour peaufiner les SFX, et officieusement pour cause de producteurs catastrophés. A la vision du produit fini (toujours soi disant), on comprend un peu les deux raisons à la fois !
L’or ? J’adore !
La seule réussite indiscutable du métrage est clairement sa direction artistique (sa mise en valeur étant un autre problème). Le rococo est de mise, parfois à la frontière de l’absurde, mais l’absurde est bel et bien un moteur dramatique du métrage. Dans Jupiter Ascending, la galaxie est régie de main de fer par un trio familial pété de thunes et de vices. Chacun est à la tête d’un bout d’une corporation bâtie sur l’exploitation et l’esclavage, dont la seule raison d’être (dialogues à l’appui) est de faire toujours davantage de profit. C’est dans ce contexte que le spectateur témoigne d’un étalage de richesses à la limite du non-sens, voire de l’écœurement : on y voit moult palais royaux, croiseurs stellaires parés de statues et d’or fin et même… des lustres en cristal accrochés au plafond de la baie d’appontage ! Prends ça dans ta face, l’Empire ! La famille Abrasax (les méchants ricos du film) appauvrit tout autant la galaxie que la start-up de Palpatine, mais au moins, son argent, elle sait s’en servir !
Tout comme Matrix avant lui, Jupiter Ascending est un pot pourri de références de genre, une espèce de Star Wars malsain où se côtoient les univers de George Lucas et de Riddick, avec en plus le côté sado ambigu et vaguement érotique déjà à l’oeuvre dans la précédente trilogie des réalisateurs. Un exemple ? Les pseudo gardes impériaux de la famille Abrasax portent des masques à mi-chemin entre un catcheur mexicain et un dominateur SM. Charmant… A vrai dire, toujours fidèles, les Wachowsky possèdent à nouveau l’argent, l’influence et les contacts nécessaires pour faire un grand film… et font ce qu’ils veulent avec, c’est-à-dire n’importe quoi !
Des lustres en cristal dans le hangar ?! Salauds de riches !
“J’adore les chiens !”
Cette réplique seule est concrètement tout ce que j’ai retenu de Jupiter Ascending, étant à la fois drôle et mémorable. Difficile de s’y retrouver sorti de là tellement le film fait abstraction de toute cohérence, à force d’accumuler les emprunts. Là où le sabotage de Matrix pouvait facilement s’expliquer par un déséquilibre total de l’équation [Reloaded + Revolutions], à savoir tout dans le premier et rien dans le second, le même chaos narratif règne dans l’épopée galactique de l’héroïne homonyme, sauf que ce n’est qu’à l’échelle d’un seul film de deux heures !
Bien sûr, on peut facilement mettre ce travers sur le compte de la naïveté touchante des deux frangin(e)s, qui croient encore fermement aux contes de fée (la Jupiter du titre est une vraie Cendrillon). Sauf qu’ils sont les seuls à y croire, et malgré leur sincérité, ils ne maîtrisent pas vraiment leur art. Bien sûr, on retrouve leurs éternels gros sabots, leurs personnages grossiers et dialogues pesants. Seulement à cela s’ajoutent une mise en scène à la ramasse, un casting choc mal exploité, des SFX parfois foireux (Sans rire les gars ! Six mois ??) et une musique puisant là encore sa source un peu partout.
“C’est loin, mais… c’est beau.”
Jupiter Ascending est “plutôt descending”
Sorti d’un Eddie Redmayne possédé par Satan, le reste du casting de Jupiter Ascending n’est là que pour sa gueule, les Wachowsky leur ayant demandé de laisser leur conviction au vestiaire. Mila Kunis se contente de traverser le champ de la caméra, Channing Tatum ronronne… pardon, grogne pour nous faire comprendre qu’il est à moitié chien, et Sean Bean touche son chèque dans un rôle de mercenaire/mentor/traître qu’il connaît si bien maintenant qu’on jurerait ici qu’il le joue en dormant (question bonus qui mérite peut-être de voir le film : mourra-t-il cette fois encore ?).
Le manque de direction dans les scènes de parlote est contrebalancé par l’énergie excessive des scènes mouvementées, marquées par le syndrome Spider-Man 3 : les intervenants bondissent dans tous les sens en même temps que la caméra, ce qui rend l’action ABSOLUMENT illisible. Pire, lors de certaines séquences (notamment un raid sur le vaisseau de Titus Abrasax), la bouillie de pixels pâtit en plus d’un manque de finition des effets, les vaisseaux des héros ayant l’air, sur certains plans, d’avoir été modélisés sur Playstation 2 !
Toujours dans cette folie de vouloir tout faire sans raison dans Jupiter Ascending, l’atmosphère change de façon un peu trop contrastée d’un monde à l’autre, même si l’on retiendra une amusante mais finalement inutile bifurcation par une planète administrative, empruntant son décor et son découpage à Terry Gilliam (et accessoirement, le réalisateur aussi, le temps d’un caméo). Grosse déception enfin du côté de la bande originale, due à Michael Giacchino (le copain de JJ Abrams, mais c’est pas sa faute). Le compositeur singe tour à tour Hans Zimmer, John Williams et Danny Elfman comme s’il cherchait à déterminer à tâtons l’identité précise du film qu’il est en train de scorer. Quelle surprise du coup de voir son nom au générique.
Bilan catas-tronomique
Bas du front comme il est, Jupiter Ascending est tout à fait divertissant (désopilant ?), malgré ou grâce à tous ses défauts. Les Wachowsky y ont rassemblé tout ce qu’ils aiment personnellement dans le space opera, en le saupoudrant de leurs petites fautes de goûts habituelles (notamment le cuir et l’érotisme gratuit) et d’autres plus… originales.*
Mais bien que l’épopée spatiale de la belle Jupiter soit kitsch, bordélique et mal rythmée, les fans du duo risquent une fois encore de défendre leur génie incompris sous le prétexte un peu fade que leur dernier bébé est une critique virulente de la société de consommation et du contrôle des masses. Sachant que le film est lui-même un produit mal fini, c’est dire où notre société nous a conduits…
* Nesh, le pilote du vaisseau de l’Égide (les flics de l’espace) est un homme croisé génétiquement avec un éléphant ! La poignée de plans où ce personnage absurde est filmé face caméra en train de barrir pendant un dog fight est absolument irrésistible. On ne serait pas surpris que ce type existe à la fois en tant qu’hommage et pour damer le pion au copilote de Lando dans Le Retour du Jedi. “On peut tromper une fois mille personne…”
“Attention ! Derrière toi ! C’est horrible !”
LES + :
- Une générosité et une naïveté débordantes, qui au mieux vous surprennent, au pire vous font pisser de rire par des dialogues et idées aussi gratuites que surréalistes.
- Une épopée galactique qui n’est pas une suite ou un reboot, et surtout avec les moyens de ses ambitions. Ça fait mal de le dire, mais malgré ses défauts, les faits sont là et le spectacle aussi.
LES – :
- Une générosité et une naïveté beaucoup trop débordantes ! Y a trop de trucs qui n’ont rien à faire entre eux ! (Matez Interstellar à la place.)
- Une finition technique qui laisse parfois à désirer.
- Matrix 1 était un miracle et un accident à la fois. Et ça fait de la peine de le réaliser un peu plus à chaque film des Wachowsky.