Blofeld sous les verrous, Spectre n’existe soi-disant plus. Mais étant donné ses problèmes de confiance, après une ixième tentative de meurtre sur sa personne, James Bond (Daniel Craig) envoie balader Madeleine Swann (Léa Seydoux). Cinq ans plus tard, Felix Leiter rend visite à son pote british, à la retraite, pour lui demander un service : exfiltrer un scientifique russe planqué à Cuba. Les restes de Spectre veulent le récupérer ainsi qu’une arme biologique en sa possession, Héraklès. Mais très vite, un autre joueur apparaît, Lyutsifer Safin (Rami Malek). Ce mystérieux personnage semble très désireux d’éradiquer Spectre pour de bon, de s’approprier Héraklès et… de renouer des liens avec Madeleine.
Il serait peut-être temps de mourir
Quoi qu’on en pense (fascinant, déroutant, chi***), Mourir peut attendre est très long. Parfois trop, par rapport à ce qui se passe à l’écran. Même si Sam Mendes a jarté, depuis le succès de Skyfall, l’ère Craig de Bond est devenue irrémédiablement esthétisée, bavarde et un brin prétentieuse. Pour contrecarrer cela, cet opus a été pensé comme le champ du cygne, le départ en fanfare de Daniel Craig dans la peau de l’agent, hem, secret.
Après 18 mois de retard à cause de la pandémie de Covid, l’attente était grande. Il serait facile de dire qu’à cause de ça, Mourir peut attendre se montre en deçà des espérances. Et il semble que le film déçoive ou déconcerte. Certes, c’est à cause de choses encore jamais tentées au bout de soixante ans et vingt-cinq films. Mais on peut difficilement parler de révolution ou de choc. Surtout dans le cycle de Daniel Craig, si ancré dans son époque.
C’est vrai, dans la grande histoire bondienne, on n’a jamais (censuré) ni (censuré aussi). Pourtant, l’ère Craig s’inscrivait dès Casino Royale dans une volonté de moderniser, d’aller de l’avant. On avait, par exemple, M toujours jouée par Judi Dench, un Bond badass mais encore assez (fleur) bleu(e), et un exotisme, une mise en scène et une violence sèche venant de Jason Bourne. À partir de Skyfall, pourtant, ç’a été « marche arrière, toute ! ». Réinsertion de toutes les figures bondiennes (le retour du « vrai » M, Miss Moneypenny, Q), ambiance surannée et références appuyées (on ne peut vraiment pas oublier, un jour, cette p*** d’Aston Martin DB5 ?).
Mourir peut attendre, mais le reboot ne peut pas
On a quand même beau regarder le tableau dans son ensemble (les films James Bond existent depuis 1962), en 2006, la saga avait vraiment changé. À partir de Casino Royale, tout ce qui allait se dérouler pendant la période Craig était symptomatique de son époque. Or, les années 2000-2010 ont évolué vite.
Symptomatique, ce besoin de rattraper la concurrence en matière d’espionnage et d’action (Jason Bourne, puis les Mission : Impossible, et maintenant, Fast & Furious !). Symptomatique aussi, ce besoin de constamment regarder vers le passé. La nostalgie fait vendre, et le retour de vieilles gloires à la fin des 2000s l’a bien fait comprendre. Pas seulement les personnages (Indiana Jones, Rambo, John McClane, etc.), mais aussi les franchises, pour le meilleur comme pour le pire (Star Wars, Terminator, Alien, etc.). Le drame étant que le fan service, ou pire, le bashing l’emporte sur le vrai progrès.
Après la réussite de Skyfall, exercice de funambule en la matière, Spectre avait finalement confirmé que, oui, Bond était trop vieux pour ces conneries. Abus de références, de longueur, de stylisation, le 24ème Bond se croyait intelligent et pensait se moquer des clichés ayant forgé la légende. Mais au final, il se moquait surtout ouvertement de son public, peu importe sa génération. (Perso, une blague à 250M $, ça ne me fait pas rire.)
Faux Bond en avant et vrai surplace
Finalement, il y a plus à dire sur l’époque que le film. Vous connaissez ce sketch de Coluche, où l’humoriste met dix minutes à raconter la blague la plus courte du monde ? Mourir peut attendre ressemble à ça. Dans le fond, il a si peu à dire, et nous, si peu à en dire, qu’on va aller droit au but à partir de maintenant.
Dans sa forme, il est (obligé d’être) dans la continuité de Spectre. Cary Joji Fukunaga égaye des fois l’aventure de jolis plans marquants, mais cela n’arrive pas tant. L’action et les empoignades sont souvent génériques, et seules une ou deux cascades resteront en tête. Le scientifique à l’accent russe est rapidement énervant à force de vouloir être drôle. La nouvelle 007 (Lashana Lynch) est bien le second rôle, et la bise forcée au MeToo, qu’on craignait. Rami Malek serait génial s’il n’avait pas un nom digne des pires Roger Moore (Lyutsifer ? Vraiment ?!), si son plan ou sa mentalité étaient plus clairs, et s’il apparaissait plus de 25mn. Ajoutez presque 3h au compteur, une agente cubaine hypersexualisée, des gadgets à la loufoquerie jamais vue chez Craig, une méga base secrète, deux Aston Martin (nan, mais sérieux, là !)… Mourir peut attendre, c’est l’overdose de James Bond, passé et présent.
Pourtant, beaucoup de choses tranchent avec les habitudes : la séquence pré-pré-générique (vous avez bien lu), le remplacement de l’agent favori de sa Majesté par une femme, la relation « stable » de Bond avec Madeleine, ou encore l’ombre de la Mort planant sur les figures majeures du mythe (ça se sent notamment via le personnage de Felix Leiter, disparu depuis Quantum of Solace mais qu’on nous vend ici comme s’il avait fait les 400 coups avec Bond-Craig). Et encore, on tait le meilleur, ou le pire pour les vrais nostalgiques. Dans la grande histoire bondienne, tout ceci est vraiment une (r)évolution. Sauf que nous faisons face au dernier opus avec Daniel Craig. C’est donc la fin d’un cycle qui n’aura pas de réelles conséquences pour la suite. On sait qu’à nouveau visage, nouvelle recette, nouvelles aspirations et, pourquoi pas, nouvelles trahisons.
Bon(d) voyage
Reflet de son époque, ce 25ème film est comme beaucoup de méga productions tirant parti d’une licence forte. Il fait beaucoup de bruit pour rien, que ce soit sur l’écran comme en dehors. Il se donne surtout des airs et tente vaguement des trucs pour répondre aux problématiques éphémères secouant essentiellement l’Internet. Parce que quand on y réfléchit, les femmes sont faussement flattées, ici. Ou plutôt, elles restent au seuil d’un changement qui n’arrivera pas encore (jamais ?) à l’écran, puisque le prochain épisode fera table rase.
Avec Daniel Craig, la saga n’a jamais vraiment su où elle allait, en plus d’avoir connu de grosses complications dans la production de trois opus sur cinq (Quantum of Solace, Spectre et celui-ci). Mourir peut attendre a l’intelligence de vouloir conclure avec justesse ce bordel. Même s’il le fait avec un peu de maladresse, l’effort mérite d’être salué. Aucun opus avant lui n’avait été aussi définitif. Dommage qu’il ne s’agisse « que » de la fin de l’arc avec Daniel Craig. Après tout, on le sait bien…
JAMES BOND REVIENDRA
PS : puisque la franchise a l’air acculée quand il s’agit de regarder vers l’avenir, et si le prochain Bond avait l’audace folle (= non, pas du tout) de revenir dans les années soixante ? Je vais parier là-dessus, tiens. Si ça arrive, je la ressortirai pour avoir l’air trop fort. Et si c’est non, personne ne se souviendra de ce que j’avais dit… 😛
LES + :
- L’effort louable de boucler l’arc Daniel Craig comme aucun autre avant lui.
- Le spectacle est bien là, même si ça peut parfois sembler long.
- La chanson de Billie Eilish.
LES – :
- Ca semble long parce que CA L’EST.
- Rami Malek est gaspillé en Lyutsifer Safin. S’il s’impose comme un méchant aussi pertinent qu’important dans toute l’histoire de la saga, l’acteur manque de moments pour exister. Son personnage est surtout installé dans un troisième acte qui semble improvisé. (Apparemment, le réalisateur a depuis avoué que… c’était un peu le cas ! Bravo, l’artiste.)
- Les fausses ambitions de secouer l’arbre en répondant au sexisme du personnage se retournent contre les auteurs. Avec l’arrivée du changement vient la fin de l’époque Craig. Les producteurs peuvent tout rebooter sans stresser…