Robert Langdon (Tom Hanks), l’expert en symboles qui a découvert le secret de Jésus et sauvé le Vatican, se réveille amnésique dans un hôpital de Florence, une blessure par balle sur la tempe et une jolie infirmière à son chevet, Sienna Brooks (Felicity Jones). Pas le temps de dire « WTF » qu’une gendarme vénère surgit au bout du couloir, dégaine son arme et essaie de le tuer. Sauvé par sa soigneuse, Robert se remet vite d’aplomb et découvre dans sa poche la preuve que Bertrand Zobrist (Ben Foster), un généticien millionnaire, fanatique et très récemment décédé, a programmé une pandémie meurtrière dans les prochaines 24h. Avec la CIA, pardon, l’OMS à ses trousses en plus de l’assassin mystère, Langdon ne fait confiance à personne. En compagnie de Sienna, il va suivre un jeu de piste de Zobrist inspiré de La Divine Comédie de Dante, censé mener jusqu’à la source de la propagation…

En mai dernier, je m’étais gentiment foutu de la gueule de Sony pour avoir diffusé la première bande-annonce d’Inferno en même temps que la sortie méga attendue du jeu vidéo Uncharted 4. Comme si la boite espérait passer sous silence l’arrivée du très peu excitant troisième opus adapté des romans de Dan Brown, après Da Vinci Code et Anges & Démons.

Inferno

La série au cinéma n’a jamais joué de chance. Le premier film (la quête du Saint Graal) était conformiste, paresseux et long, malgré sa réputation sulfureuse. Le second, plus friqué et hypothétiquement nerveux (une poursuite à travers Rome), était mou et rarement surprenant. De plus, les deux adaptations étaient plus frileuses et politiquement rangées que leurs avatars papier. Qui étaient déjà vains à leur façon, puisque simples page turners à défaut de littérature profonde. En bon réal catho et mainstream, Ron Howard avait sans doute un devoir de fadeur envers ses producteurs, mais aussi envers sa religion.

L’Enfer à souder

Ron Howard a eu du bol de gagner un Oscar un jour (pour Un homme d’exception en 2002). Au fil de cette franchise, sa réalisation académique a progressivement changé pour un travail de fonctionnaire. Même pas d’artisan : de fonctionnaire. Ni par le scénario ni par l’image les romans de Dan Brown n’avaient été réinterprétés, repensés par le réalisateur et ses scénaristes. Se reposant énoooormément sur le matériau d’origine, les intrigues de Da Vinci Code et Anges & Démons impliquaient des personnages et situations aux frontières du vraisemblable, même en termes cinématographiques.

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Malheureusement, les films étaient davantage des transpositions que des adaptations. Celui qui souhaite montrer un assassin albinos en soutane ou un prêtre sautant en parachute doit vraiment se sentir inspiré pour imposer une vision à une masse de spectateurs, quand un lecteur se représente toujours de manière convaincante, puisque personnelle, les trucs les plus absurdes.

[Un livre = mille puissance N représentations],
mais
[un film = une représentation / mille puissance N personnes]

Même avec l’éternelle excuse « tout le monde n’adhérera pas », il faut savoir assumer sa flemme ou son manque d’idées. Ce n’est pas un hasard si Le Symbole Perdu, troisième aventure de Langdon, n’a jamais été tourné : il était inexploitable en l’état. Il aurait fallu le réécrire en profondeur, se réapproprier l’œuvre pour en faire un « vrai » film. Mais comme l’ont démontré les deux premiers essais, le respect aveugle fait foi. Trop contraignant, cet ouvrage fut naturellement oublié sitôt publié le quatrième, Inferno donc.

Inferno

Enfer moins

Voir débouler Inferno n’est pas une surprise, tant il était calibré pour une adaptation “visuelle”. D’abord, l’intrigue était beaucoup plus linéaire et convenue : un point de départ abracadabrantesque à la limite du reboot de Jason Bourne (héros amnésique se réveillant en terre étrangère) et un jeu de piste plus simplet, orchestré par un scientifique mégalo à la lisière des pires James Bond. Le tout enrobé d’une préoccupation scientifique actuelle : la crise de la surpopulation, comparée à l’Enfer de Dante. Certes Ron Howard reprenait du service, mais l’absence de tout rapport à l’Eglise ne pouvait que libérer le tâcheron d’un sacré poids. A l’arrivée, le métrage parvient à surprendre, notamment car il désamorce le peu d’attentes qu’il pouvait susciter, après ce à quoi on avait été habitué.

Comme s’il avait assimilé les critiques qualifiant ses opus précédents de téléfilms friqués, Ron Howard n’a pas revu que son budget à la baisse, mais carrément ses ambitions artistiques. Finis les plans soignés d’Anges & Démons. Durant ses quinze premières minutes au moins, Inferno nous noie sous une caméra portée façon documentaire, un montage méga cut, une police de caractères dégueu, une image en 1:85 (pour l’immersion, diront les menteurs), des flashs sur l’Enfer si laids et déplacés qu’ils en deviennent drôles, et mille effets de style à la minute censés traduire la confusion du héros sorti du coma, mais qui agacent plus qu’autre chose.

Fort heureusement, après une heure de supplice et d’ennui, il est possible de sentir un progrès… dans le fameux renoncement évoqué plus haut.

Inferno

Enfer des caisses

Car le fonctionnaire aux manettes décide enfin d’embrasser sa cause bis, Inferno devenant un authentique thriller du samedi soir. Rétrospectivement, la première heure ressemble à une confession après le faux événement bling-bling qu’avait été Anges & Démons. L’humilité se retrouve dans un style hideux et miteux digne d’un DTV. Sans fard ni gloss, la formule Langdon se déroule avec la mollesse habituelle. Tom Hanks résout, en charmante compagnie, un jeu de piste dissimulant une conspiration. Il trouve le temps de trottiner un peu, puis de s’asseoir beaucoup pour parler, lire, réfléchir…

Mais plus tard, le temps d’une visite à Venise, Ron Howard semble enfin se dire « F*** IT ! ». Le jeu de piste s’essouffle. Les fils de l’intrigue se dénouent. Les révélations s’enchaînent à la queue-leu-leu. Le métrage sort des clous et propose enfin un produit correspondant à une adaptation. Certes, le twist final a été supprimé (pour des raisons anti-climactiques évidentes qu’on ne spoilera pas). Le discours alarmiste sur la surpopulation n’est en rien débattu. La psychologie des personnages et l’ambiguïté de leurs actes sont appauvris (comme Zobrist et Sienna). Mais on connaît depuis deux films les piètres ambitions de la saga. Toujours calée sur les mêmes rails que les livres, elle ne cherche jamais à s’émanciper dans le discours ni dans la narration

Inferno

Repompe d’enfer

Apprécions ainsi la fausse prise de risque d’Inferno. Le film est un Jason Bourne du pauvre, il en reprend donc le style (caméra portée et montage cut). On retrouve aussi les gimmicks (l’OMS est équipée et armée comme la CIA), ainsi qu’une certaine décontraction (le personnage campé par Irrfan Khan est une bouffée d’air frais, avec sa cool attitude et son humour tranchant avec le bouquin et nos habitudes).

Même le personnage de Langdon a un peu changé. Jadis, c’était une huître vide incarnée par un Tom Hanks plus éteint que jamais. Il a maintenant droit à un développement purement fonctionnel mais qui a le mérite d’exister. On parle de sa romance passée avec la cheffe de l’OMS (incarnée par la danoise Sisde Babett Knudsen). Cette liberté par rapport au bouquin permet par ailleurs de justifier plus de choses. POUR UNE FOIS, l’équipe du film suit une voie clairement sienne et inhérente à une adaptation. Cela ne sort pas des sentiers battus, mais on a enfin droit à un film de genre, et pas à un hybride foireux d’influences mal transmises du papier à l’écran.

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Inferno, c’est non ?

Inferno abandonne l’ésotérisme pour le thriller d’espionnage, et s’il la joue petit bras, c’est un choix parfaitement assumé. L’événement planétaire Da Vinci Code ne fait plus illusion aujourd’hui, et le troisième rejeton de la famille jouit ainsi d’un budget et une prétention très limités. Cela le sauve, puisque lui conférant les défauts de ses qualités. Ce qu’il perd en identité, il le gagne en appliquant la formule des autres, Bourne en tête.

Mieux vaut ça que rien. Ron Howard n’avait jamais semblé inspiré par le concept initial. Si la saga survit à Inferno, espérons que le cinquième livre (prévu par le romancier pour fin 2017) incitera davantage le réalisateur à explorer une veine “fun”. Sinon, plus rien ne sauvera la série ni lui-même d’un job devenu tristement alimentaire.

LES – :

  • Ce troisième opus ne fait plus aucun effort… de style.
  • Un casting en partie gâché, et des personnages appauvris.
  • Une première moitié qui sent la routine, malgré les visions de l’Enfer du héros. Mais bon, comme elles sont hideuses… Et pas à cause de l’horreur graphique, hein, mais parce que Ron Howard n’a pas su les filmer.

LES + :

  • Ce troisième opus fait enfin un effort… d’écriture.
  • Un casting en partie réussi ou surprenant, Omar Sy est marrant… Hein ? C’est pas une comédie ? Et alors ? Irrfan Kahn est marrant, lui aussi. Dans cette franchise remplie de prêtres en soutanes qui tirent la gueule, ça fait du bien, ça change.
  • Une deuxième moitié plus divertissante, malgré que ce soit au prix de toute originalité. Inferno pille les cadors de l’espionnage comme Jason Bourne, heureusement sans jamais franchir le pas de trop.

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